Entretien : les nouveaux caps de l’IBOAT

Ouvert à nouveau après de longs (19 au total) mois de fermeture, l’IBOAT amorce un nouveau virage, aux lendemains de ses 10 ans. Alors que le club reprend son rythme de croisière avec des événements proposés les jeudis, vendredis et samedis de chaque semaine, on est allés à la rencontre de Thibault Laporte, nouveau programmateur de ces soirées, ainsi que de Marie Boidron, en charge de la communication du club. Nouveautés, design de l’espace, philosophie artistique et valeurs du projet : entretien fleuve sur les nouveaux caps de l’IBOAT.

Le Type : D’abord, qu’est-ce qui va changer concrètement pour le club de l’IBOAT ? Il y a eu des travaux ; doit-on s’attendre à une nouvelle disposition de l’espace, un dancefloor revisité, un nouveau système son ?

Thibault Laporte : Pendant cette longue période d’escale forcée, nous avons en effet pris le temps de repenser le projet, tant sur la forme que sur le fond. D’importants travaux ont été réalisés pour redonner un coup de neuf, réorganiser les espaces et permettre une vraie immersion à l’arrivée dans ce lieu artistique curieux et convivial. 

Au niveau de l’agencement, la nouveauté est que le pont supérieur ne sera plus accessible en nuit pour laisser place à un restaurant, Le Vogue, ouvert midis et soirs. De leurs côtés, les différents espaces du pont principal fusionnent et intègre un coin chill avec assises, qui lui sera ouvert la nuit. Le design et la décoration aux couleurs pop et à l’influence géométrique excentrique reprennent certains codes du courant du design et d’architecture italien des années 1980, le style Memphis. 

Globalement, l’ambiance sur cet étage se veut anticonformiste et le colorama installe un sentiment bienvenu de liberté. De jour, il accueille une activité de bar où l’on peut venir boire un verre et grignoter. De nuit, il est pensé comme un lieu de confort et d’interaction sociale avec des assises, un grand bar, une multitude de petits espaces favorisant l’échange et les rencontres. Sur ce « woodfloor », on retrouve aussi un tout nouveau dj booth imaginé et conçu sur mesure par Charl Zarl, sur lequel les artistes pourront s’essayer à un exercice à la croisée de la listening session et du dj set, le tout podcasté en digital. Une expérience d’endurance, riche et curieuse, qui pousse les artistes à dévoiler la profondeur de leur sélection en allant au-delà de leur zone « artistique » de confort. 

L’IBOAT, ambiances; Crédits photos Arthur Brémond

Pensée et voulue comme immersive, la cale conserve elle son allure originelle, à quelques détails près. Un nouveau plan feu a été réalisé et de nouveaux équipements sont prévus pour début 2022 afin d’optimiser encore l’expérience. Le système son reste chez L-Acoustics, sa polyvalence en fait un atout infaillible pour défendre le spectre large des musiques électroniques actuelles.

Quelle philosophie et direction artistique vont guider la nouvelle programmation de l’IBOAT ?

Thibault Laporte : Le club de demain est un projet global. Il est incarné physiquement en un lieu de diffusion qui résulte d’un effort continu de création, d’une sincère implication dans le développement de la scène émergente et d’une recherche perpétuelle de la nouveauté artistique.

Je pense que le club de l’IBOAT se doit d’être un état esprit, il doit ressembler à ceux et celles qui le font vivre quotidiennement. En 3 mots, ses fondements sont : créativité, convivialité et curiosité. Participatif et communautaire, nous avons placé le public au cœur du processus de réflexion pour en faire une expérimentation locale singulière et un repère pour toutes et tous. 

L’IBOAT veut tisser une toile vers les acteurs et actrices nationaux émergents et précurseurs, qui constituent l’avenir de la sphère électronique.

Thibault Laporte (programmateur de l’IBOAT)

Aussi, et au-delà du club, il sera important de tisser une toile vers les acteurs et actrices nationaux émergents et précurseurs, qui constituent l’avenir de la sphère électronique. Se placer au cœur de ces réseaux et faire de l’IBOAT un véritable « routeur » de la scène actuelle, en étant acteur plutôt que suiveur. C’est une réelle priorité.

Thibault Laporte, programmateur de l’IBOAT

Enfin, grâce au fruit du travail des différents programmateurs qui ont œuvré sur le projet, nous sommes reconnus pour notre programmation qualitative et défricheuse. Afin d’évoluer à nouveau et franchir une étape nouvelle après 10 ans, l’objectif assumé est d’arriver à révéler la scène locale, en accompagnant les dj bordelais et bordelaises vers une carrière nationale, voire internationale.

En termes d’esthétiques musicales, quels types de sonorités vont résonner dans la cale ? Doit-on s’attendre à des soirées thématisées, de nouveaux rendez-vous, résidences…?

Thibault Laporte : L’IBOAT est un projet qui se veut éclectique en termes de vision des musiques électroniques. Ce cap très 360° je le partage avec passion et le défend en programmation comme dans mes sélections en tant que dj. Je crois que ces 10 dernières années nous ont montré que l’hybridation des différentes esthétiques repoussent la créativité des artistes et donnent lieu à de nouvelles sonorités. C’est justement en débridant les cases conventionnelles que nous nous rapprocherons au plus près de la nouveauté artistique. 

Quelques nouveautés sont donc à noter sur nos formats. Nous allons privilégier des sets plus longs, allant parfois jusqu’à 3 heures pour certains guests, avec même plusieurs line up en all night long prévus sur cette fin 2021. Nous aurons aussi des labels nights et commencerons les résidences de projets live avec restitution en club, avec notamment à KayTV, artiste à la culture franco-shanghaienne installé sur le pays basque depuis peu, au style bien singulier. 

Notre but est assez clair : nous voulons valoriser et développer des artistes de Bordeaux, pour contribuer à notre manière à l’épanouissement de cette scène locale.

Thibault Laporte (programmateur de l’IBOAT)

Enfin, avec toute l’équipe nous allons travailler sur des résidences d’artistes locaux et nationaux. Le principe est un peu différent de ce que l’on a pour coutume de voir ailleurs. L’idée c’est de s’engager sur 7 dates à minima avec un bassin de 16 artistes prometteurs et confirmés. Ceux et celles-ci pourront s’essayer à différents exercices tels que la cale, le booth du pont principal en extended set podcasté, mais aussi être présents sur certains hors-les-murs ou dans le cadre de dates délocalisées. L’idée avec ces résidents est de constituer un effectif d’artistes qui, durant la saison 2021-2022, représenteront les couleurs du projet. Le but est assez clair : nous voulons les valoriser et les développer pour contribuer à notre manière à l’épanouissement de cette scène locale. 

La période de fermeture semble avoir permis à l’IBOAT de développer de nouveaux projets et d’élargir son public, la réouverture du club est-elle également fondée sur cette envie ? Si oui, par quels moyens ?

Thibault Laporte : Le projet de l’IBOAT ne se limite pas à son club, en effet. Depuis plusieurs années, il y a une réelle volonté d’être un opérateur régional et un lieu de vie culturelle pluridisciplinaire, destiné à toutes et tous. La direction du projet œuvre jour après jour pour développer nos activités avec sens et humanité. Que ce soit tant sur notre lieu que par nos actions à l’extérieur, il y a une vraie volonté de défendre notre idée de l’art et de la culture en général. 

Blonde Venus

Cet été vous avez sûrement pu visiter notre espace à quai avec la dalle du pertuis. On y retrouvait évidemment la plage de l’IBOAT avec une programmation DJ locale et nationale mais aussi un potager pédagogique et un espace de cinéma éphémère. La grande nouveauté concerne Blonde Venus, qui est un bal monté recyclé en un lieu de vie culturel aux allures de cabaret moderne. La programmation musicale y est réalisée par Benoit Guerinault, et se veut typée musique live, avec des concerts, mais aussi des dj sur un ton selector old-school.  Élodie Antonioli se charge d’y programmer des rendez-vous populaires et décomplexés, comme des lotos, de nombreux marchés et des boums. Régulièrement nous y accueillons aussi les clubbers de demain, les kids, pour des évènements adaptés entre jeu, pédagogie et culture. 

La réouverture du club s’inscrit dans une période de prise de conscience globale pour la scène (sur plusieurs sujets, comme les questions environnementales par exemple) : à quels changements s’attendre à ce niveau-là dans les pratiques de l’IBOAT ? 

Thibault Laporte : La sphère électronique a toujours compté parmi les milieux précurseurs sur ces sujets. Pour autant, cela ne signifie pas qu’elle est irréprochable. Côté environnement, il y a aussi une effervescence positive avec une véritable prise de conscience et une volonté claire des différents acteurs et actrices de trouver des solutions concrètes pour réduire l’impact carbone des musiques électroniques.

Je pense notamment au fait de construire intelligemment les tournées des artistes pour réduire leur impact sur la planète. Mais aussi des solutions plus pragmatiques comme l’impasse sur les bouteilles plastiques. À ce propos, d’ici les prochains mois nous prendrons nous-même cet engagement et notre public ne pourra boire uniquement que dans une gourde ou un contenant recyclable.

Sur la question des tournées d’artistes, est-ce qu’une des solutions pourrait être de construire des échanges avec d’autres clubs de la région ?

Thibault Laporte : Nous y travaillons effectivement. Pour l’instant rien n’est confirmé mais nous avons la volonté d’aller fêter notre dixième année d’anniversaire chez nos homologues nationaux et européens. Affaire à suivre…

On sent aussi que l’IBOAT souhaite afficher un soutien fort aux minorités de genre et communautés queer. Quels procédés le club entend mettre en place pour favoriser le sentiment d’inclusion, à travers des safe spaces…?

Thibault Laporte : Oui, nous nous sentons proche de la communauté queer, nous en partageons les valeurs, les combats, et la musique ! Marie Boidron, chargée de la communication sur le club, sera référente de l’organisation et de la programmation des formats Queer Party sur le bateau. Je lui laisse la parole…

Marie Boidron : Tout cet été nous avons travaillé avec plusieurs collectifs promouvant la culture queer comme Maison Eclose ou La Bordelle. Avec eux, nous avons créé des formats récurrents comme des Pétanqu’eer, des runway des fiertés, des marché d’exposants queer… Ces rendez-vous ont remporté un franc succès. Nous voulions donc vraiment continuer dans ce sens à la réouverture du bateau. 

Nous proposerons fin 2021 à toutes nos équipes la possibilité de se former sur les questions d’inclusion et de bienveillance, pour pouvoir agir et réagir.

Marie Boidron (chargée de communication de l’IBOAT)

Grande nouveauté à l’ouverture, un médiateur sera à l’entrée pour s’assurer que le public adhère à nos valeurs d’inclusion et de bienveillance. Grâce à un nouveau personnel de nuit, toutes personnes entreprenant des actes déplacés, homophobes, racistes ou transphobes seront bannies du club. Nous sommes aussi adhérents Act Right et donc aussi acteurs sur notre propre lieu, où nous expérimenterons ses outils.  S’entourer et s’armer pour devenir acteur du changement est je pense le plus important. Il y a de nombreux sujets parfois plus complexes les uns que les autres qui peuvent intervenir la nuit, c’est pourquoi nous proposerons fin 2021 à toutes nos équipes la possibilité de se former pour pouvoir agir et réagir. 

Je profite de cette occasion pour vous parler du dispositif Angela auquel nous sommes affiliés et qui permet d’accueillir toute personne se sentant en situation d’insécurité la nuit ou en situation de harcèlement, quel que soit son âge, son genre ou sa condition. En cas de besoin, il suffit de s’adresser à un membre du personnel de notre établissement et de demander « Où est Angela ? »

Par ailleurs, une fois par mois, on programmera des soirées avec des drag shows, en collaboration avec Maison Éclose ! Pour ces occasions, le bateau sera entièrement redécoré et les maîtres mots de ces soirées seront : la fête libre et bienveillante ! Le but est que ce public puisse se sentir libre de venir danser dans la cale avec ou sans drag show. Notre volonté est qu’à l’année le club devienne une safe place où tout le monde se sent libre de danser habillé (ou non) comme il veut, sans avoir peur des jugements ou regards. On souhaite vraiment que l’IBOAT devienne un lieu ouvert à toutes et tous, plus inclusif et paritaire ! Et on va continuer à développer ça, par exemple avec l’organisation de formations et d’ateliers de mixes destinés aux femmes, notamment pour trouver nos prochaines résidentes !

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