On a rencontré le groupe bordelais Chelabôm à l’occasion de la sortie de son premier album, Défile-moi. La genèse du projet, le parcours du sextuor, ses inspirations : entretien.
Cela fait un mois que Défile-moi, le premier album du groupe bordelais Chelabôm, se fraye un chemin dans les oreilles de son public. Pendant 10 titres, les 6 musicien·nes naviguent à travers des influences pop, néo-soul et groovy. Déjà avec son premier EP Mimosa, le sextuor avait démontré une dualité maîtrisée : force et douceur, ancrage et onirisme, éclats de voix et murmures, comme nous les décrivions déjà dans les 23 artistes à suivre en 2023.
Ce premier projet d’envergure explore cette fois-ci un rapport au vivant parfois immense et minuscule. Des dialogues entre le chant et les instruments, aux sonorités organiques flirtant avec l’electro, en passant par un chant exclusivement en français, Chelabôm impose une identité musicale renouvelée et constante à la fois. La couverture de l’album, un plexus de liens entremêlés, cristallise la volonté du groupe : mixer les genres et les perspectives. On s’est entretenu avec eux pour en savoir plus sur la genèse de ce projet. L’occasion aussi de revenir sur le parcours du groupe et ses inspirations.
Le Type : Le chanteur M a proposé une théorie musicale intéressante dans une interview. Selon lui, un premier album marque un point dans l’espace. Un deuxième album, en créant un deuxième point, trace une ligne entre les deux projets. Et, un troisième album, en ajoutant un troisième point, forme un triangle. L’espace contenu dans ce triangle représente l’univers musical et artistique de l’artiste. Avec ce premier album, donc ce premier point, quelle était votre intention ?
Chelabôm : Avant l’album, quand on faisait de la musique ensemble, on composait et on jouait sans trop se préoccuper de la finalité. On explorait ce qu’on avait envie de faire. Pour sortir notre EP Mimosa, on a intégré des morceaux qui existaient déjà, en se disant qu’ils feraient un bel ensemble. Mais on n’a pas composé l’objet en soi. C’était plus pour montrer ce qu’on faisait et sortir un projet.
Mais pour ce premier album, c’était différent. On est parti·es de zéro. On a commencé à composer sans préexistant, avec beaucoup de réflexion. On a fait des résidences où on jouait peu, mais on parlait beaucoup pour décider de ce qu’on voulait faire, en choisissant des sortes de thèmes sous-jacents à aborder pour la progression de l’album, des sons à expérimenter.
L’idée globale par laquelle on a été guidée pour ce premier album, ça a été la complexion. Ce sont les liens qui unissent chaque chose, les influencent, qui façonnent une personne, son environnement.
Chelabôm
L’idée globale par laquelle on a été guidée, ça a été la complexion. Ce sont les liens qui unissent chaque chose, les influencent, qui façonnent une personne, son environnement. Tout ce qui, de l’extérieur, peut influencer l’être que tu es aujourd’hui. Des sortes de fils qui se révèlent.
À travers l’album, on a cherché à rebondir entre ce qui se passe à l’intérieur et à l’extérieur, en tissant des liens entre tout, en explorant des sensations épidermiques comme avec « Parfum de l’Essence », et d’autres musiques avec un rapport sensible et sensuel à la nature, comme « Volcans » ou « Étangs ». On voulait casser la dichotomie nature/culture, en montrant qu’on fait partie de la nature, qu’on la vit et la ressent tout le temps.
C’est un concept dur à explique comme premier point, mais il se ressent à travers l’album : cette synergie et communion de multiples éléments.
Le orange et le violet sont des couleurs complémentaires qui apparaissent souvent dans vos visuels et votre identité graphique. Comment ces couleurs reflètent-elles la dynamique et les rôles au sein de votre groupe ?
Chacun a une position et un rôle défini, mais ça reste très horizontal. Sur cet album, on composait majoritairement toutes et tous ensemble. La musique est donc écrite à six. Même s’il y a une idée apportée à la base par quelqu’un : tout se construit et se déconstruit à six. Pour ce qui va être des paroles, c’est Périne qui les écrit. C’est elle aussi qui va le plus réfléchir à l’identité visuelle. Elle nous a posé pas mal de questions pendant des discussions, pour pouvoir ensuite interpréter et créer l’univers graphique du groupe.
Si le orange et le violet reviennent aussi beaucoup pour cet album, c’est parce que son interprétation l’englobe. Il y avait cette idée un peu crépusculaire du violet, avec des morceaux qui sont assez sombres, un peu plus nocturnes. Et d’autres qui sont un peu plus solaires, lumineux, avec le orange.
Pourquoi et comment cet album est-il arrivé maintenant, en 2024, après toutes ces années de musique ensemble depuis 2019 ?
Ça ne pouvait venir que maintenant parce qu’au début, on ne se posait pas trop la question de notre identité musicale. On jouait librement, lors de sessions où on improvisait beaucoup. Ce qui venait, on le prenait.
Ce projet a été une grande aventure. De la première résidence jusqu’à l’enregistrement, il y a eu environ un an (à partir d’août 2022, ndlr). Pendant cette période, on avait une résidence chaque mois. C’était une étape cruciale pour nous retrouver, composer, peaufiner nos morceaux. Puis, petit à petit, tout a avancé jusqu’au résultat final. C’était long, il a fallu trouver une méthode qui convienne à tout le monde. Mais travailler en collectif était essentiel.
On a dû trouver le point central de cette toile d’araignée qui est composée de nos univers respectifs.
Chelabôm
L’album parle aussi de nos liens, entre nous, de nos diverses influences qui sont très différentes d’une personne à l’autre dans le groupe. On a dû trouver le point central de cette toile d’araignée qui est composée de nos univers respectifs. Tout ça, ça a été un cheminement logique dans notre parcours musical. Un aboutissement naturel de ce qu’on avait construit depuis 2019.
L’autrice Amélie Nothomb dit que pour bien écrire, il faut énormément lire. En tant que musicien·nes, quelles sont vos influences et inspirations, que ce soit pendant la période de composition de l’album et en général ?
On écoute beaucoup de musique, et on écoute des choses très différents. Par exemple, Thibault, le bassiste, va être très à l’affût et au courant de ce qu’il se passe dans les hits, l’univers du hip-hop et du rap, comment ces styles évoluent, les genres qui apparaissent… Léo, le batteur, va être plus un digger de pop-musique et de hip-hop aussi. Lucas, le guitariste, est plus orienté vers la musique afro. Titouan c’est beaucoup de musique trad, et Périne aussi. On se retrouve aussi sur la new jazz et la new soul. Des groupes comme Nubiyan Twist, Hiatus Kaiyote ou Bonnie Banane nous inspirent beaucoup.
Pour l’album, on a vraiment essayé de trouver notre son à nous six. Faire en sorte que la voix soit un peu à la même place que les autres instruments, avoir des duos qui sonnent, avoir des sons qui se retrouvent sur plusieurs les morceaux, ou plusieurs instruments qui jouent la même chose pendant un moment. Les claviers synthés nous ont par exemple permis de créer cet effet de fil rouge, qui lie les instruments entre eux. C’est vraiment ces sonorités-là qui soudent tout le monde ensemble. Et on s’est nourri·es de plein de styles différents pendant ce temps de création.
Comment le projet fait-il écho avec ce que vous vivez en tant que groupe et aussi en bande d’ami·es ? Et comment est-ce que vous l’avez incorporé dans le projet, la musique ou les paroles ?
C’est sûr qu’on a vécu une aventure un peu initiatique à nous six. On a essayé de faire ça ensemble et de rester horizontal, de se comprendre tout le temps. Dans la musique, c’était aussi de nous dont on voulait parler. On essaie d’être assez narratifs, de poser un décor, de jouer avec les points de vue. Des fois, on est très loin. Des fois, on est très près du sol. On regarde des choses qui sont toutes petites et un peu microscopiques. Et des fois, on est très haut, avec un plan plus large.
Pour les paroles, jusqu’à l’album, c’était plus de l’expérience personnelle de Périne dont elle parlait, des choses plus intimes. Et là, il a fallu qu’on cherche des sujets ensemble du début à la fin. Donc elle est repartie de zéro, elle aussi, sur les paroles et sur sa manière d’écrire. Selon le sujet de la chanson, Périne choisissait une langue dont la sonorité lui semblait correspondre au thème. Par exemple, pour exprimer la colère féminine et les combats féministes, comme dans « Dame Rabbia », elle utilisait parfois l’espagnol, en raison de liens avec l’Amérique du Sud. Pour d’autres chansons, elle optait pour l’anglais. On avait déjà quelques chansons en français, mais c’était plus compliqué.
Au moment d’écrire l’album, c’est devenu une décision assez collective. Périne est arrivée à un stade où elle se sentait capable et avait envie d’écrire en français. Nous aussi, on voulait que ce soit en français. Ça nous permettait à nous cinq d’avoir aussi une voix commune, un point d’ancrage. Écrire en français donnait plus de cohérence à nos histoires, rendait le sens des textes beaucoup plus accessible.
Tout ça a fait qu’elle a choisi de le faire en français et de ne pas parler de trucs forcément personnels, mais de toucher à quelques chose de plus universel et de parler aussi de choses qui, nous, nous ont touchés, dont elle est consciente. On a essayé de faire infuser dedans toutes ces réflexions de thèmes qui nous touchaient, qui nous concernaient, comme la sécheresse, les feux de forêt, tout l’impact humain, les infrastructures humaines… Ça va de l’intime au plus global et au plus mondial dans les récits.
Maintenant que votre album est entre les mains du public, comment comptez-vous le faire vivre sur scène ? Avez-vous prévu des éléments spécifiques pour cet album ou allez-vous rester fidèle à votre style habituel ? Quelles idées avez-vous envisagées pour vos futures lives ?
On a déjà commencé à travailler le live depuis quelques mois. En fait, ça nous paraît plus simple maintenant, les morceaux de l’album coulent de source, on arrive plus rapidement à un résultat qui nous plaît. Avant, c’était parfois compliqué de faire cohabiter des influences différentes et de jouer entre les ambiances variées de nos morceaux.
On est arrivé·es à une narration globale du live qui nous plaît beaucoup.
Chalebôm
Assez vite, on est arrivé·es à une narration globale du live qui nous plaît beaucoup. On a choisi de ne pas chercher le festif à tout prix, comme on se forçait un peu à le faire avant. Là, on a décidé que ce serait un peu moins festif, plus groovy, avec des moments calmes, parfois longs et assumés, parce que l’album est comme ça.
Pour l’instant, on mélange peu les anciens morceaux avec les nouveaux. On fait vraiment un bloc live avec quasiment tous les morceaux de l’album, et si le temps le permet, on joue des anciens morceaux après. On a 3 dates avec Polylogue From Sila en septembre et octobre, un groupe qu’on aime beaucoup. Le compositeur principal de ce groupe nous a aussi aidés à finir d’arranger des morceaux sur l’album. Ils ont sorti un album en avril, donc on fait en commun nos dates de release parties.
Et pour l’instant, en festival, on adapte un peu notre set parce qu’on n’a pas forcément le temps et les conditions idéales pour faire cette narration-là. Mais pour les concerts en salle, on va plus assumer cette approche. On a commencé à travailler avec une technicienne de lumière pour réfléchir à l’ambiance graphique et aux couleurs en concert. Pour les tenues, on va continuer avec les patchworks de couleurs. On a un peu fini sur tout ce qui était le son, l’enchaînement des morceaux, l’arrangement musical… Là, on commence vraiment à réfléchir à l’aspect visuel et scénographique du live.