Entretien avec Opaline, figure artistique active de la scène bordelaise qui s’est petit à petit faite une place depuis ses premières scènes ouvertes au Sherlock Holmes. Musicienne depuis l’âge de 8 ans, c’est avec la guitare qu’elle a commencé à composer et à écrire ses premiers textes. Après avoir exploré une forme d’indie folk anglaise pendant quelques années, elle s’aventure maintenant dans une pop alternative française, sincère et prenante, qu’on peut pleinement apprécier sur son tout nouveau projet CŒUR A VIF. On revient ensemble sur son parcours, son évolution artistique et sur la création de son troisième EP.
Le Type : Tu as sorti ton troisième projet intitulé CŒUR A VIF le 14 juin dernier. Pourrais-tu revenir sur la conception de cet EP dans son ensemble ? Quels ont été tes choix artistiques et esthétiques, qui sont les personnes qui ont travaillé avec toi sur ce projet ?
Opaline : L’idée de CŒUR A VIF a commencé à germer à la fin de l’année dernière, après m’être rendue compte que j’avais envie d’écrire en français. Initialement c’était un blocage que j’avais depuis longtemps. J’avais surtout écris en anglais jusqu’à maintenant. Le peu que j’avais écris en français, je ne le trouvais pas assez bien écrit.
Mon déclic est arrivé après avoir regardé le documentaire sur Taylor Swift, Miss Americana. Il m’a vraiment donné envie de pouvoir écrire des chansons qui résonnent à travers les autres, que les gens peuvent chanter. C’est à ce moment là que j’ai écrit la chanson « Une Fille Honnête » où je dis très précisément que « J’aimerais écrire des rengaines, des trucs qu’on chante à tue-tête ».
En parallèle à ce moment-là, j’ai rencontré Adrian Giordano qui est producteur, un peu par hasard, à l’occasion de la sortie de mon EP en anglais Chapter One sorti en juin 2023. Suite à notre rencontre, on a directement commencé à travailler sur un premier morceau ensemble. Mais, cette fois-ci, sur une chanson pop en français, à l’opposé de ce que je faisais dans le registre folk anglais. Pour l’anecdote, on a enregistré le morceau en deux heures. Je n’’avais jamais fait ça aussi vite (rires).
J’ai découvert une autre manière de faire de la musique.
Opaline
C’était la première fois que j’enregistrais avec quelqu’un puisque, jusqu’à ce moment-là, j’avais toujours tout fait toute seule. Avec le recul, je voulais être trop indépendante, mais le fait d’accepter de s’ouvrir et de travailler avec de nouvelles personnes peut être extrêmement bénéfique, et souvent plus stimulant. J’ai découvert une autre manière de faire de la musique.
En octobre, j’ai sorti « Une Fille Honnête », notre seule chanson à ce moment-là. Puis, en février, « L’Atlantique » est sorti et tout s’est accéléré. On a tout terminé dans les mois qui ont suivi. Adrian m’a énormément aidé à trouver une identité sonore propre au projet, reconnaissable entre chaque morceau. Il a apporté une vraie patte en termes de production. « Ça changera » est un morceau important du projet, fortement inspiré de « Happier Than Ever » de Billie Eilish. Nous voulions une chanson où la tension monte crescendo, avec un son qui sature volontairement à la fin, pour retranscrire des émotions fortes.
Pour les choix artistiques et esthétiques, on a vraiment puisé dans nos inspirations respectives. On a juste énormément écouté de musique ensemble, beaucoup de choses différentes. Tout est venu de manière naturelle, que ce soit dans la composition ou la production. Si je devais citer une artiste dont j’aime beaucoup le travail et dont je m’inspire depuis longtemps, c’est Adèle Castillon, notamment tout ce qu’elle a fait avec Vidéoclub.
On sent une grande sincérité dans tes chansons, ce qui laisse deviner une écriture très personnelle et introspective. Pourrais-tu nous en dire plus sur ton processus d’écriture et la manière dont tu y reviens pour l’affiner ? Comment parviens-tu à équilibrer émotion et technique dans tes compositions ? Au-delà de ça, d’où tires-tu tes inspirations musicales et artistiques ?
Avant, j’écrivais en anglais car je trouvais que j’avais plus de liberté dans ce que je voulais exprimer. Quand j’ai commencé à vraiment écrire en français, je me suis rendue compte que c’était très différent, mais que j’avais tout autant – si ce n’était plus – de liberté artistique. Très souvent, j’écris après avoir composé. J’ai besoin d’une mélodie qui m’accompagne, parce que j’ai besoin de donner des liens entre les mots, qui sonnent juste et qui transmettent quelque chose, j’essaie aussi d’établir des rimes.
Mes chansons sont très introspectives. J’ai toujours des bouts de phrases, des petits poèmes et des réflexions qui me passent par la tête, que je note. Quand j’écris, je réutilise beaucoup ce que j’ai noté. Parfois, je reviens dessus pour compléter les paroles. D’autres fois, j’assemble et je fais des liens, c’est un processus très naturel. Par exemple sur « Ça changera » je dis « Comment on fait pour être heureux » ; en réalité c’est juste une réflexion que j’avais noté il y a longtemps et que j’ai voulu intégrer quand j’ai écrit la chanson.
Tout ce que je vis au quotidien, je le mets petit à petit dans mes chansons, que ce soit positif ou négatif, et ça peut être autant actuel que passé. J’ai écrit beaucoup de chansons sur mon ex, même si ça fait trois ans que nous ne sommes plus ensemble. Mettre les choses à l’écrit m’aide à passer à autre chose et montre que j’ai pris du recul. C’est très cathartique, mais ça m’aide à me libérer d’un poids. Par exemple, dans « Faudrait peut-être », je parle de mon ex qui m’a manipulé émotionnellement. C’est ma psy qui m’a conseillé de tout écrire pour me libérer. C’est ma façon à moi de gérer mes émotions.
J’ai toujours eu du mal à écrire en français. […] J’écrivais en anglais aussi car je ne voulais pas que mes parents comprennent ce que je racontais (rires).
Opaline
Tu as commencé à publier tes chansons en ligne depuis 2019 et, jusqu’à courant 2023, tu composais principalement en anglais. Pourquoi as-tu choisi initialement d’écrire et de chanter en anglais ? Te sentais-tu plus à l’aise pour exprimer ce que tu voulais dire dans cette langue, tant dans l’écriture que dans le chant ? Et qu’est-ce qui t’a finalement poussé à passer entièrement au français aussi « tard » ?
C’est bizarre à dire, mais j’ai toujours eu du mal à écrire en français. C’est pour ça qu’au début j’écrivais en anglais, à l’âge de 14/15 ans. Comme je l’ai dis, je trouvais que je pouvais exprimer les choses d’une manière différente qu’en français. J’écrivais en anglais aussi car je ne voulais pas que mes parents comprennent ce que je racontais (rires).
J’avais beaucoup de mal à écrire en français car je trouvais toujours que c’était mal écrit, que ça semblait bizarrement moins naturel. Mais depuis que j’ai eu le déclic, je me suis rendue compte qu’il y avait tellement plus de choses à faire avec la langue française. Rien que faire des jeux de mots ou des rimes me paraissait d’un coup moins difficile. C’était plus un défi que je me mettais, alors que maintenant je peux simplement plus m’amuser à écrire en français qu’en anglais.
J’écoutais énormément d’artistes anglophones et à l’époque ça m’a sans doute poussé à écrire en anglais. J’étais très admirative de leur écriture qui me semblait très affinée. Mais au bout du compte, je me suis dis que je pourrais tout autant affiner mon écriture en français, qui est quand même ma langue natale, et par ce biais prendre plus de plaisir dans le processus d’écriture.
Je n’ai jamais écris en anglais dans le but de toucher un public plus large, même si indirectement c’est ce que je faisais. J’ai juste appris à écrire. Au final, je me suis rendue compte que je recevais plus de retours qui me demandaient pourquoi je ne chantais pas en français et que c’était dommage, car tout le monde n’est pas bilingue, mine de rien.
Je me suis recentrée sur moi même en passant au français, notamment car je suis passé d’un style assez folk à un style beaucoup plus pop, mais aussi car je souhaite mieux m’intégrer à la scène francophone. Naturellement, ça passe dans un premier temps par faire des chansons en français. Au final je me suis vraiment prise au jeu et j’aime énormément écrire en français, au point ou je n’arrive presque plus à écrire en anglais comme avant (rires).
Je suis hyper reconnaissante envers toutes les personnes qui ont pris le temps d’écouter ma musique à ce moment-là.
Opaline
Tu possèdes un compte TikTok où tu postes très régulièrement depuis plusieurs années, et tu as accumulé plus de 120 000 abonné·es. Quel type de lien entretiens-tu avec ton public ? On sent que tu tiens à rester proche des gens qui t’écoutent, notamment grâce à tes compositions. Pourrais-tu nous parler de ton expérience sur TikTok en tant qu’artiste musical et des opportunités qui peuvent en découler ?
J’ai commencé à publier ma musique en 2020 sur TikTok, durant le confinement. Même si au début je n’avais aucun objectif en tête, au fur et à mesure j’ai pu faire découvrir ma musique à beaucoup de gens. C’est bête à dire, mais mine de rien ça a vraiment changé ma vie du jour au lendemain d’avoir des auditeur·ices et des personnes qui prêtent attention à ce que je fais. J’ai reçu une énorme vague d’amour et pleins de retours positifs. Je suis hyper reconnaissante envers toutes les personnes qui ont pris le temps d’écouter ma musique à ce moment-là.
TikTok est un super tremplin pour les artistes, même si maintenant ça devient beaucoup plus compliqué de se démarquer des autres.
Opaline
J’ai toujours essayé de croire en ce que je faisais parce que si je n’y crois pas, ça ne sert à rien. Le fait que d’autres personnes se sont mises à y croire aussi autour de moi ça m’a fait beaucoup de bien. C’est de cette manière que j’ai commencé à me développer en tant qu’artiste sur les réseaux, parce que de base je ne suis personne et je n’ai aucun contact dans la musique (rires). TikTok est un super tremplin pour les artistes, même si maintenant ça devient beaucoup plus compliqué de se démarquer des autres.
J’ai l’impression que maintenant c’est devenu un peu saturé dans le sens où tous les jours il y a énormément de personnes qui publient de la musique. Ainsi, malheureusement, gagner en visibilité est devenu plus compliqué. Après, il faut toujours tenter, on ne sait jamais ce qui peut arriver et j’en suis le parfait exemple, surtout quand tu es un·e artiste indépendant·e. C’est un des meilleurs moyens de se lancer.
Comment est ce que tu perçois la scène musicale bordelaise ? Quelles sont tes relations et affinités que tu entretiens avec les autres artistes de cette scène locale ?
Je suis arrivée à Bordeaux il y a cinq ans maintenant. À l’époque, j’étais vraiment toute nouvelle et ce n’est que récemment que j’ai commencé à m’intégrer à la scène musicale, et à rencontrer d’autres artistes. Cela s’est fait naturellement lorsque j’ai participé au tremplin des Deux Rives par exemple, où j’ai découvert que la scène locale était finalement assez riche et diverse.
Il y a pas mal de gens qui veulent monter sur Paris pour se développer en tant qu’artiste, mais je ne suis pas forcément d’accord. Ça peut être aussi une bonne chose de se construire en dehors de la capitale, de se faire un petit nom et de commencer dans une sphère plutôt mince.
Opaline
Quand j’ai commencé, je faisais des scènes ouvertes un peu partout, sans chercher à m’intégrer ou à rencontrer des personnes qui faisaient la même chose que moi. Je restais dans mon coin, concentrée sur mon projet personnel. En 2021, j’ai rencontré Thomas Chinarro, et c’est un peu la première personne à Bordeaux avec qui j’ai vraiment noué des liens musicaux. Grâce au tremplin des Deux Rives, j’ai pu découvrir toute la diversité musicale de Bordeaux et m’ouvrir à de nouveaux horizons. Si tu te baignes un peu dedans, tu te rends compte qu’il y a beaucoup de gens qui font de la musique et que c’est assez petit. On est toutes et tous amené·es à se rencontrer, à un moment ou à un autre. C’est vraiment sur cette dernière année que j’ai rencontré le plus de personnes sur la scène bordelaise.
Il y a pas mal de gens qui veulent monter sur Paris pour se développer en tant qu’artiste, mais je ne suis pas forcément d’accord, dans le sens où ça peut être aussi une bonne chose de se construire en dehors de la capitale, de se faire un petit nom et de commencer dans une sphère plutôt mince. Bordeaux a beaucoup à offrir, surtout si on se lance, c’est une super ville en ce sens.
Qu’est ce que tu écoutes en ce moment ? Aurais-tu des recommandations de tout genre pour nos lecteurs et lectrices ?
Je me suis mise à écouter beaucoup d’artistes français justement pendant la création de mon projet, j’écoutais pas mal Claude, Johnny Jane et Zélie, entre autres pour m’imprégner du style de pop alternative que je voulais moi même faire pour CŒUR A VIF.
En ce moment je les ai un peu délaissés pour des artistes pop anglophones ; Chappell Roan que j’écoute beaucoup, je saigne aussi pas mal les sons de Sabrina Carpenter, Taylor Swift, et bien sûr le dernier album de Billie Eilish HIT ME HARD AND SOFT.