Gender is Over : cultures queer et sororité en Corrèze

Du vendredi 24 au dimanche 26 mars, l’association Grive la Braillarde organise la deuxième édition de son festival Gender is Over. L’idée derrière ce festival ? Mettre en avant les questions liées aux identités de genres, de sexe et plus globalement les cultures queer. Du stand-up,du cinéma et des ateliers seront au programme, de même que la scène rap féminine avec Juste Shani, Uzi Freyja ainsi que la DJ Anh Onym. Le festival met également en place des moments en non-mixité afin de permettre aux personnes concernées de pouvoir participer sans crainte d’un jugement. Pour l’occasion on a posé quelques questions à Lisa, membre de l’association organisatrice Grive la Braillarde.

Le Type : Peux-tu commencer par nous parler de votre structure, Grive La Braillarde ? Qui est derrière cette association, quand a-t-elle été créée et dans quel but ?

Lisa (Grive La Braillarde) : L’association a été créée en 2014 par 3 membres fondateur·ices passionné·es de musique. Constatant qu’aucune salle de musique actuelle n’existait sur le territoire de Brive-la-Gaillarde, le projet était lancé ! L’objectif de base était de trouver un lieu dans Brive afin d’y organiser des concerts, mais aussi d’en faire un lieu qui pourrait vivre en dehors des concerts, avec des ateliers, soirées jeux de société, etc.

Après plusieurs visites de lieux ne convenant pas pour y aménager une salle de concert et le temps passant, les membres de l’association ont décidé d’abandonner ce projet et de créer avec l’existant. L’association est actuellement constituée de deux salariées et peut compter sur un réseau de bénévoles actifs.

Vous êtes basées à Brive-La-Gaillarde ; quel est l’état de la scène artistique dans cette ville ? Et qu’en est-il des collectifs queers ou associations qui s’intéressent à ces sujets ?

De nombreux et nombreuses artistes sont présent·es sur le territoire de la Corrèze. En partenariat avec l’association Le Cri du Papier, nous avons d’ailleurs participé à la création d’un agenda des concerts en Corrèze, dans lequel on peut retrouver les concerts organisés sur le territoire, mais aussi deux onglets, un “organisateur·ice de concerts” et l’autre “artiste” avec les groupes de Corrèze.

En termes de structures culturelles sur Brive-la-Gaillarde, nous pouvons compter sur la présence du théâtre l’Empreinte Brive-Tulle, scène nationale, avec qui nous co-organisons le festival de jazz « Du Bleu En Hiver » qui a lieu dans les villes de Brive et Tulle, en janvier. Il y a aussi l’association TRACES qui promeut « les artistes contemporains actifs de Brive et son agglo », ou encore « Les studios », équipement de la ville de Brive permettant aux artistes de musiques actuelles de répéter et d’enregistrer à moindre coût, mais également adapté à la danse.

Des studios d’enregistrement indé ont aussi vu le jour comme SNEX studio, composé de jeunes artistes (18-22ans). Nous avons aussi le conservatoire de Brive qui organise régulièrement des concerts et un centre culturel organisant divers événements tout au long de l’année. Le pôle Les Yeux Verts, rattaché à ALCA, avec de nombreux événements en lien avec le cinéma et l’éducation aux images comme la fête du courts-métrage qui vient d’avoir lieu. Et aussi le cinéma d’art et essai le Rex, qui accueillera, du 3 au 8 avril, le festival du cinéma de Brive pour la 20ème édition des rencontres internationales du moyen-métrage.

Avec le collectif Dégenré·e·s 19 il s’agit (…) de créer du lien, d’apprendre à connaître d’autres associations ou personnes engagées en croisant les réseaux.

Lisa du collectif Brive la Braillarde

Concernant les collectifs queers ou associations, nous faisons partie du collectif Dégenré·e·s 19 qui est un collectif de structures corréziennes organisant des événements queer et féministe. Il compte au total 8 structures, dont la nôtre, ainsi que la P’tite Fabrique Solidaire à Uzerche, le cinéma Le Véo, Over The Rainbow et le Centre Alice Guy de Tulle, La Maison sur la Place d’Ambrugeat, En Corps, et la FAL 19. Il s’agit d’avoir une communication commune sur les flyers de chacun·e avec la programmation de ces événements sur toute l’année, mais aussi de créer du lien, d’apprendre à connaître d’autres associations ou personnes engagées en croisant les réseaux.

Vous organisez bientôt la deuxième édition du festival Gender is over, un festival « féministe et queer ». Quelle est l’histoire de ce festival ?

L’association étant concernée principalement par le champ des musiques actuelles, nous ne pouvions passer à côté du fait que les femmes et minorités de genres étaient moins présentes sur scènes. Le secteur des musiques actuelles est évidemment marqué par les mêmes inégalités que dans le reste de la société. Pour ne citer qu’un chiffre, en 2019, les femmes représentaient seulement 14 % des individus programmés en festival (études du CNM de février 2023 sur l’état des lieux de la présence des femmes dans la filière musicale). 

De plus, au sein de l’équipe, nous nous sentons concerné·es par la question des rapports de sexes et de genres dans notre quotidien, dans notre façon de travailler et de nous exprimer : égalité salariale, répartition des tâches entre les bénévoles, répartition du temps de parole publique, écriture inclusive dans tous nos documents et dans nos supports de communication, oralité inclusive durant les émissions de radio, attention à ne pas véhiculer de stéréotypes de genre, etc.

En 2020, très peu d’événements en Corrèze abordaient ces questions, il y avait donc pour nous une nécessité de s’en emparer. C’est donc avec des personnes du coin engagées sur ces questions que s’est construite la première édition qui s’est finalement retrouvée annulée deux fois à cause du COVID-19 pour finalement avoir lieu pour la première fois en 2022 !

Deux jours et deux nuits pour (re)penser le genre et les rapports de genres. (…) donner un grand coup de talon sur les pieds du patriarcat…

Lisa du collectif Grive La Braillarde 

Peux-tu nous présenter la programmation de cette deuxième édition ? Quels sont tes coups de cœur ?

La programmation s’étale du vendredi 24 mars au soir jusqu’au dimanche en fin de journée, avec une pluralité de format artistique, du stand-up, de la musique, du cinéma et des ateliers/discussion. Deux jours et deux nuits pour (re)penser le genre et les rapports de genres, voir les scènes se remplir de femmes et de queers, se rendre compte qu’on n’est pas la ou le seul·e homo, trans, queer ou féministe en Corrèze, donner un grand coup de talon sur les pieds du patriarcat…

Le vendredi soir, c’est la soirée d’ouverture de la deuxième édition de Gender is Over et on commence avec du stand-up, une première pour le festival : le rire en toute bienveillance ! Sans blagues sexistes, racistes, grossophobes, homophobes, transphobes, validistes, etc… ? Oui, oui, c’est possible et ça se passera avec les fabuleux·ses Natacha Prudent, Lou Trotignon et Noam Sinseau ! Noam qui nous fera d’ailleurs la surprise de proposer un moment de voguing.

La soirée du samedi 25 est une soirée de concert de rap, celle de l’année dernière ayant été annulée, on remet le couvert ! On pourra y écouter Juste Shani, une jeune rappeuse de 29 ans, finaliste et souvent gagnante de nombreux tremplins comme rappeuses en liberté 2022. Elle sort un projet tout prochainement. Je vous recommande d’écouter le titre « Bonne fête » qui dénonce les abus/violences dont les femmes sont victimes. Le duo Uzi Freyja assurera la suite des concerts, avec un rap très énergique et des prestations live embrassées, leurs style est souvent qualifié de punk rap ce qui devraient séduire un public plus large. Enfin, la dj Anh Onym viendra clôturer la soirée avec 3 heures de set rap et réveillera même les plus timides danseurs et danseuses !

Pour les journées du samedi et du dimanche, on reprend la même formule que l’année passée : des ateliers, discussions, projections de courts métrages & cie gratuits. On y parlera consentement, sentiment de légitimité, intersectionnalité, travail du sexe grâce au docu-cul Les collègues d’Adélaïd Ella de la Grande Horizontale, de porno sonore, de parentalité, d’IVG au travers d’un jeu de rôles grandeur nature, de cinéma autour de la transidentité, de l’homosexualité, du sida, et des femmes et également un temps de discussion dédié aux personnes queer… Certains ateliers seront proposés en mixité (ouvert à toutes et tous), d’autres en non mixité (seulement ouvert aux personnes concernées) et pour finir en mixité choisie…

Quel·les sont les autres acteur·ices de la vie culturelle corrézienne impliqué·es sur cet événement ?

Sur cet évènement l’association « En corps » a largement participé à nous mettre en réseau avec bons nombres d’associations Les Affolé·es de La Frange, La Grande Horizontale, Tympan cucul , et certain·es de nos intervenant·es. Le planning familial Sud87, avec que nous avions rencontré pour un échange autour de VSS nous a aussi recommandé l’atelier d’un des membres de l’association Adelphi·e. Le centre culturel du centre de Brive, nous offre la possibilité d’utiliser leurs locaux sur toute la durée du festival.

Le pôle d’éducation aux images, Les Yeux Verts, présent au centre culturel, participe à la mise en place du ciné-débat du dimanche, notamment avec le film De la terreur mes sœurs mais aussi avec deux films du bac du lycée d’Arsonval. Également, le café brin de causette qui habituellement fermé le dimanche nous ouvre leurs portes pour le café queer. Nous avons aussi collaboré avec l’IREPS Nouvelle aquitaine, la médiathèque de Brive et le centre Alice Guy pour proposer un espace chill avec de la littérature et ludothèque queer et féministe.

L’association addictions France, nous fournit des alcootests et des préservatifs. Le planning familial de Tulle intervient également pour proposer un espace safe sur la soirée de concert, ils nous ont par ailleurs permis de réaliser pour nos salarié·es et nos bénévoles une formation de préventions contre les violences sexistes et sexuelles en milieu festif. De manière plus informelle, nous sommes membre du collectif dégenré·es 19, qui rassemble les associations organisatrices d’événements féministes et LGTQIA+ en Corrèze, ce collectif et les associations membres relais la communication de nos événements. Vous le remarquerez, le réseau des associations concernées par ces sujets, féminisme et LGBT, fonctionne plutôt bien et fait preuve de soutien. 

Avez-vous rencontré des défis en organisant cet événement à Brive ? Les pouvoirs publics locaux sont-ils réceptifs à ce festival et vous soutiennent-ils ?

Le défi est de trouver des artistes femmes et des personnes en minorités de genre, ces personnes sont moins présentes sur la scène comme dans les métiers de la technique. Nous n’avons d’ailleurs pas réussi à trouver une régisseuse proche de chez nous, comme nous le souhaitions et avons donc contacté le régisseur avec qui nous avons l’habitude de travailler. Aussi, le fait de revendiquer sur nos visuels que le festival soit féministe et queer peut freiner quelques personnes par son aspect militant.

Nous savons bien que ce type de manifestation attire plutôt un public averti, le véritable défi est donc de réussir à faire venir d’autres personnes, c’est pourquoi nous avons fait le choix de proposer différentes esthétiques pour sensibiliser à ces sujets. 

Grive La Braillarde 

D’ailleurs, nous constatons que nos flyers ne sont pas toujours très bien accueillis et pour nos affiches elles sont carrément arrachées. La faute au vent ? Je ne crois pas… C’est en effet militant, mais la défense du droit des femmes, l’égalité femme/homme et la lutte contre la haine anti-LGBTQIA+ font également partie des directives gouvernementales, c’est important de le rappeler ! Enfin, nous savons bien que ce type de manifestation attire plutôt un public averti, le véritable défi est donc de réussir à faire venir d’autres personnes, c’est pourquoi nous avons fait le choix de proposer différentes esthétiques pour sensibiliser à ces sujets.

Par ailleurs, nous proposons des places gratuites à destination des personnes accueillies au sein de structures sociales, comme le Service Habitat Jeune de Brive avec qui nous co-organisons un concert au mois de juin. L’année dernière, Marie Renard, déléguée départementale au droit des femmes et à l’égalité, nous avait accordé son soutien sur le festival et le reconduit à priori cette année. Nous avons également répondu à un appel à projet de la DILCRAH (délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT) et les préfets de département pour accompagner les deux plans nationaux pilotés par la DILCRAH, soutenir et encourager les initiatives de la société civile engagée contre les haines et les préjugés racistes, antisémites ou LGBTphobes. Nous avons également sollicité la région Nouvelle-Aquitaine, notre dossier passera en commission après le festival. Idem pour la commune. Les invitations aux représentant·es des pouvoirs publics sont lancées et nous espérons les recevoir pour leur présenter de vive voix notre festival.

 Vous organisez une soirée focus rap ; comment effectuez-vous votre veille de programmation d’artistes musicales dans la région ? Comment repérer les talents régionaux de demain ?

Nous recevons directement des propositions de groupes sur nos différents canaux de communication et également via le Cri du papier. Nous sommes également membre du RIM (Réseau des Indépendants de la Musique) qui nous permet lors de réunions d’échanger avec d’autres structures à ces sujets, mais également de rencontrer des groupes. La SMAC des lendemains qui chantent propose les jeudis les magics hours, concerts gratuits qui mettent en avant des projets musicaux émergents. Et puis tout simplement, nous aimons la musique, nous regardons, nous nous déplaçons sur les événements d’autres assos pour découvrir de nouveaux talents, en suivant la presse locale et régionale, etc.

En réfléchissant à la partie DJ set, nous avons tout de suite pensé au collectif Medusyne pour leurs DJ et l’univers hip-hop, et particulièrement à Jade parce que j’apprécie ses propositions musicales hyper riches ! J’ai effectué une formation culturelle à Bordeaux, j’ai donc croisé l’hyperactif collectif Medusyne et aussi un stage à l’accompagnement de la scène locale à la Rock School Barbey l’année dernière, en plus d’avoir rédigé un mémoire sur l’accompagnement des artistes en voie de professionnalisation. C’est un sujet qui me tient à cœur et qui aide pas mal pour de la programmation.

Aussi, nous suivons les différents tremplins musicaux, particulièrement ceux de rap dédiés aux femmes pour la programmation de la soirée concerts de cette année et aussi le média madame rap dédié aux femmes et LGBT dans le hip-hop. 

L’un des événements organisés dans le cadre du festival est proposé en non-mixité ; pourquoi est-il important selon vous de mettre en place ce genre de dispositif pour « uniquement les personnes concernées » ?

Il était important pour nous de créer des espaces pour que les personnes concernées puissent s’exprimer et échanger entre elles. Plusieurs enjeux sont au cœur de la non-mixité ou de la mixité choisie. En premier lieu, vient la question de la répartition de la parole.

Les personnes appartenant à des minorités de genres et de sexes se retrouvent facilement interrompues lors de discussion de groupe et prennent moins de temps de parole.

Lisa du collectif Grive La Braillarde

Les personnes appartenant à des minorités de genres et de sexes se retrouvent facilement interrompues lors de discussion de groupe et prennent moins de temps de parole. Il est aussi potentiellement plus compliqué pour une personne appartenant à un groupe opprimé de partager ses avis ou opinions en présence des personnes représentant le groupe oppresseur, et ce, par crainte du jugement. Parfois aussi, en fonction du sujet abordé, la non-mixité ou la mixité choisie permettent de ne plus être dans la pédagogie ou dans l’explication et d’avancer plus efficacement sur ledit sujet entre personnes directement concernées. 

Pour finir, vous avez également organisé « un festival 100 % sans électricité », Le Disjoncté, dont on va parler dans le troisième numéro de notre revue papier Akki qui traite des liens entre art et écologie. Selon vous, quel est le rôle des structures culturelles, des artistes et plus particulièrement des festivals dans cette transition écologique ?

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le Disjoncté n’est pas un festival écologique à proprement parler. Nous utilisons d’autres sources d’énergie pour monter ce festival sans électricité qui ne sont pas des énergies plus « propres ». Il nous faut du pétrole pour les lampes ou encore du gaz. Il en est de même pour ce qui est des systèmes ou décors mis en place à l’occasion du festival. Pour la grande majorité, nous les fabriquons nous-mêmes et utilisons donc beaucoup d’électricité en amont avec l’utilisation des outils.

Le rôle des structures culturelles, des artistes et des festivals est majeur dans la transition écologique, mais aussi le rôle public

Lisa du collectif Grive La Braillarde

Le festival n’étant qu’expérimentations, nous effectuons aussi de nombreux allers-retours sur le site tout au long de l’année afin d’effectuer des essais de ce que nous avons fabriqué ou construit. De plus, le lieu du festival étant dans une petite commune rurale, les festivaliers est festivalières viennent pour le plus grand nombre en voiture. Nous ne sommes donc pas un modèle en termes d’écologie. Ce festival permet néanmoins au public ainsi qu’aux bénévoles de se rendre compte et de réfléchir à notre dépendance à l’électricité.

Festival Le Disjoncté

Le rôle des structures culturelles, des artistes et des festivals est majeur dans la transition écologique, mais aussi le rôle public. Nous devons repenser nos modèles pour proposer des alternatives moins polluantes et moins énergivores pour nos programmations tout en maintenant une ambiance qui puisse émerveiller le public. Notamment en faisant jouer des artistes qui passent proches de chez nous et en construisant des tournées qui évitent des allers-retours énergivores… Cela n’empêche pas non plus d’inviter des artistes internationaux, mais venir jouer en France pour 3 dates n’a pas de sens.

La question de la mobilité est cruciale du côté des artistes, mais également pour le public notamment sur de gros festivals qui déplacent l’équivalent de ville entière… Le rôle des structures culturelles est aussi de sensibiliser le public à la nécessité de la transition écologique. Nous connaissons toutes et tous le gobelet réutilisable, les gourdes (pas toujours acceptées), le tri des déchets, les cendriers de poches, etc. Il faudrait que nous puissions pousser le curseur plus loin en consommant moins d’énergie pour la lumière, le son par exemple, en trouvant des alternatives. Pour cela, nous devons également nous former pour adopter les bons gestes et penser l’écologie comme enjeu central d’un festival au même titre que la programmation ! 

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