Un festival artistique féministe par et pour les étudiants : rencontre avec le FFAME

Le 10 et 11 avril, l’association Médusé·e·s organise la première édition du Festival Féministe des Arts Militants et Étudiants (FFAME) au (S)Pace Campus à Pessac. Organisé « par et pour des étudiants », l’événement fait le choix d’une programmation pluridisciplinaire (musique, improvisation théâtrale, drag show, projections…) en non-mixité choisie. Pour mieux comprendre la logique du projet, nous avons rencontré son équipe. Entretien.

Le Type : De quelles volontés est né ce festival ? Quelle en est la genèse ?

FFAME : L’association est née, entre autres, du constat que les femmes et minorités manquent cruellement d’espaces de représentation dans le milieu artistique, encore aujourd’hui dominé par les hommes.

Chacune des membres de l’association est animée par un attrait pour la culture dans des domaines divers. Nous avons également le goût de l’événementiel. Nous souhaitions organiser un événement dans lequel les oublié·es des festivals se sentiraient à l’aise et representé·es.

Les festivals ne sont pas pensés pour les femmes et les minorités de genre.

L’équipe du FFAME

En effet, les festivals ne sont pas pensés pour les femmes et les minorités de genre. Les événements festifs sont des événements à haut risque en termes d’insécurité. On parle ici de violences sexistes et sexuelles, qui continuent de survenir dans les festivals qui n’échappent pas aux dynamiques patriarcales. Nous avons à cœur d’organiser un événement festif et culturel qui pense à toutes et tous dans son organisation pratique et dans sa programmation.

Qui est l’équipe derrière cette initiative ?

Nous sommes aujourd’hui six, toutes membres de l’association Les Médusé·e·s, qui porte le projet du FFAME.  C’est une association qui est née de l’amitié entre des femmes militantes, qui ont voulu créer quelque chose de fort qui parlait de la sororité qui est née entre elles, de la façon dont elles se sont aimées et découvertes. Et ce en traitant d’un sujet important : celui des violences sexistes et sexuelles. Trois membres sont à l’initiative de l’association, qui est à l’origine un projet d’école. Elles ont réalisé dans ce cadre un court-métrage qui aborde le sujet du parcours de reconstruction après une violence sexuelle grâce à la sororité et l’écoute. 

Trois autres femmes ont rejoint l’association cette année, animée par le désir de participer au projet du FFAME et de s’investir dans l’association autour duquel nous avons toutes gravité l’année passée. En parallèle des Médusé·e·s, nous sommes toutes actives dans des associations autour de l’art : cinéma, art plastique, musique électronique, photo, théâtre d’improvisation…

Comment avez-vous travaillé à l’organisation d’un tel événement ? Celui-ci a-t-il été soutenu par d’autres structures ?

Nous sommes toutes dans des parcours de management de projets à Sciences Po. Grâce au corps associatif de l’école dans lequel nous baignons depuis 4 ans, nous avons une formation de terrain qui nous pousse constamment à organiser des événements. Fortes de nos expériences passées, nous avons pu nous embarquer dans l’organisation de ce projet d’ampleur.

Nous avons pu trouver du soutien auprès de certain·es enseignant.es, qui connaissent le terrain bordelais et nous ont conseillé. Nous avons également trouvé du soutien auprès de nos proches et ami·es qui ont soutenu le projet depuis sa création. Aussi, nous avons également pu nous appuyer sur les employé·es du pôle culture du Crous Nouvelle-Aquitaine, qui sont presque des collaborateur·ices à ce jour. Ainsi, nous ne sommes donc pas seules, mais nous avons la main sur toute l’organisation et nous nous répartissons à six l’intégralité des tâches nécessaires à la réalisation du projet.

Nous considérons notre projet comme militant.

L’équipe du FFAME

Quelles sont les valeurs que vous souhaitez transmettre à travers le FFAME ?

Notre projet est fondamentalement politique. L’art est au cœur du projet mais les réflexions qui le traversent sont influencées par le contexte social dans lequel nous évoluons. Nous considérons notre projet comme militant, s’associant à diverses luttes de manière à nous y engager de la façon la plus inclusive qui soit. 

Nous sommes portées par les valeurs d’adelphité, de tolérance et de partage. Par ailleurs, nous appliquons la tolérance zéro face aux violences sexistes et sexuelles, violences racistes, classistes et LGBTQIA+phobe.

En termes de ligne artistique, que cherchez-vous à valoriser ?

Nous souhaitons défendre une ligne artistique qui célèbre la diversité des voix et expressions des femmes et minorités de genre. Nous mettons en avant, au travers de différentes disciplines artistiques, les récits, les expériences des artistes, tout en promouvant des valeurs d’égalité, d’inclusivité et d’émancipation.

Nous sommes déterminées à utiliser l’art comme un outil puissant capable d’encourager le dialogue, susciter la réflexion pour construire un monde plus juste et équitable

L’équipe de FFAME

Aussi, notre ligne artistique repose sur des valeurs de justice, de solidarité et de résistance et nous sommes déterminées à utiliser l’art comme un outil puissant capable d’encourager le dialogue, susciter la réflexion pour construire un monde plus juste et équitable pour toutes et tous.

Nous n’avons pas de ligne artistique à proprement parler, même si nous avons choisi les artistes programmées car nous apprécions leur travail, tant dans leur démarche artistique que les messages portés dans leur art.

Pourriez-vous nous parler du choix de programmer uniquement des femmes et des minorités de genre sur l’événement ?

Quand nous avons eu l’idée d’organiser un festival, programmer uniquement des femmes et minorités de genre fut la première décision que nous ayons prise pour le festival. Nous avons rapidement fait le constat que les hommes cis sont omniprésents dans le milieu de l’art, qu’ils y perpétuent des violences et qu’ils ont moins de mal à rendre visible leur travail que les femmes et minorités de genre. Nous voulions alors prendre le contrepied des festivals traditionnels où les têtes d’affiches sont des (cis)boys clubs et partager avec le public différent·es artistes femmes et minorités de genre, qui nous inspirent au quotidien.

Les espaces en mixité choisie n’ont plus à prouver leur importance et leur utilité dans la lutte féministe

L’équipe du FFAME

C’était à peine une décision tant cela tombait sous le sens. Les espaces en mixité choisie n’ont plus à prouver leur importance et leur utilité dans la lutte féministe. Nous voulions alors construire notre programmation autour de cette logique : encourager la diversité, assurer la représentation des femmes et minorités de genre, et construire un espace de création dicté pour l’écoute et l’adelphité.  

Le FFAME ne prétend pas s’apparenter à un groupe de parole et ne remplace pas le rôle de ce dernier, mais il s’inscrit dans la démarche de réserver certains espaces aux femmes et minorités de genre qui en ont besoin.

Quels sont les événements ou artistes qui vous inspirent dans la création du FFAME ?

Le WOW Festival, un festival féministe ayant lieu à Bordeaux chaque année qui est construit sur un format similaire à ce que nous souhaitions proposer. Nous avons cependant axé la programmation et l’organisation sur quelque chose de plus festif, dédié aux étudiant·es en étant directement implanté sur le campus de Pessac. Nous avons aussi envie de construire un festival avec davantage de concerts et de DJ sets.

En ce qui concerne nos inspirations artistiques pour la programmation, nous avons avant tout cherché à mettre en avant des artistes bordelais·es et certain·es artistes parisien·nes, pour lesquel·les nous avons eu un coup de cœur. Pour la sécurité de nos événements, nous nous sommes beaucoup inspirées des campagnes de Consentis, qui militent pour plus de sécurité en milieu festif.

Quels conseils donneriez-vous à des associations étudiantes souhaitant organiser elles-mêmes des événements « par et pour des étudiant·es » ?

Le campus de Pessac comporte des infrastructures intéressantes, accessibles et pas chères. Nous avons commencé par là. Les employés du service culturel nous apportent un soutien technique sur des questions de logistique. Nous avons également demandé quelques conseils à des ami·es ayant une petite expérience dans l’événementiel.

Cependant, sur bien des aspects nous nous sommes débrouillées seules et avons parfois eu du mal à surpasser la méfiance et prouver que nos capacités étaient à la hauteur de nos ambitions. Trop souvent nous avons subi du mépris, de l’ignorance ou de l’irrespect à cause de notre statut d’étudiant·es. 

Je dirais qu’il ne faut pas se cacher de son statut, et que ce n’est pas parce que nous sommes étudiant·es que le FFAME est un projet amateur, ou peu abouti. Nous avons fait de notre mieux et espérons que ce festival aura une envergure professionnelle.

Comment arriver à concilier la création d’un tel événement avec des études ?

Évidemment, c’est compliqué. Nous sommes toutes en master, et toutes dans une autre association en parallèle. De plus, certaines d’entre nous ont aussi un emploi étudiant. Nous avons réussi à trouver un créneau de réunion hebdomadaire qui nous permet d’avoir au minimum 2 heures dans la semaine consacré au projet, le faire avancer et évoluer, débattre ensemble et se motiver à sa réalisation.

Nous avons chacune nos missions et nous travaillons dessus depuis septembre. Le travail accompli depuis est immense et nous y prendre assez tôt a permis que nous ne soyons pas prises de court.

Le campus de Pessac a beaucoup de potentiel mais il est peu exploité.

L’équipe du FFAME

Quel type de public souhaitez-vous atteindre ? 

Nous visons en premier lieu les étudiant·es. C’est pour cela que nous avons organisé notre événement en semaine, sur le campus. Les journées commencent assez tôt pour pouvoir venir directement après les cours. Le campus de Pessac a beaucoup de potentiel mais il est peu exploité. Le café culturel du Crous pourrait être un lieu de rendez-vous quotidien pour les étudiant·es s’il fermait plus tard et proposait des consommations tout le temps. 

Au-delà du public étudiant, nous sommes ouvertes à une audience plus large, militante ou se sentant concernée par nos combats et préoccupations. Nous souhaitons que notre public soit respectueux, vigilant, ouvert et à l’écoute des un·es et des autres.