2020 vue par… les lieux à Bordeaux

Pour revenir sur cette année particulière et ses conséquences pour la scène artistique et la vie culturelle locale, on se lance dans une série bilan, donnant la parole aux premiers et premières concerné.e.s : acteurs et actrices du secteur culturel à Bordeaux. Interrogé.e.s, ils ou elles nous font part de la façon dont l’année s’est écoulée. Après un premier volet consacré au bilan des artistes, un deuxième à celui des collectifs et un troisième aux médias, ce sont les lieux bordelais qui racontent ici l’impact de la crise sanitaire sur leur activité, tout en nous parlant de leur futur projet dans les mois à venir. Merci aux Vivres de l’Art, à l’IBOAT, au Pourquoi Pas, à la Rock School Barbey, à la Voûte, au Mancuso et à la Crypte.

Crédit photo : William Millaud

Frustration, résignation & adaptation

Forcés de fermer leurs portes pour une période dont ils ne savent toujours pas jusqu’où elle s’étendra, les lieux culturels bordelais ont été, eux aussi, lourdement impactés par la crise sanitaire. Entre annulation d’événements et fréquentation du public en chute libre, si ce n’est inexistante, ils et elles expliquent la violence d’un tel contexte. « On a travaillé beaucoup pour rien et perdu beaucoup de temps avec les événements annulés au gré d’annonces gouvernementales imprévisibles. On a annulé quatre expositions d’artistes dans notre galerie, de nombreuses collaborations et une trentaine d’événements », se désole l’équipe des Vivres de l’Art. C’est aussi le regret de voir son travail réduit à peu de choses que raconte Le Pourquoi Pas, ayant fêté son premier anniversaire en janvier 2020 : « La jeune structure que nous sommes voyait l’effet de bouche à oreille bien prendre et une réelle augmentation de sa fréquentation. Cela a été très frustrant de voir le fruit de notre travail suspendu du jour au lendemain. »

Être à l’arrêt au niveau de Demain Kollectiv n’a pas aidé, j’ai dû réfléchir autrement, ma banque ne m’a pas suivie.

Une frustration partagée par la gérante de La Crypte, Lilith, alors en pleine création d’un nouvel espace alternatif à Saint Michel, visant à réunir différents corps de métiers artistiques. « Le fait d’être à l’arrêt au niveau des événements de Demain Kollectiv n’a pas aidé, j’ai dû réfléchir autrement, ma banque ne m’a pas suivie. J’ai dû faire les travaux solo avec parfois certaines personnes qui ont gentiment proposé leur aide […] ou quand, clairement, je demandais de l’aide. Je les remercie toutes d’ailleurs. Il me reste encore pas mal de rénovation à faire, par manque de moyen. Je suis un peu coincée car je ne peux pas rouvrir pour l’instant, nous sommes considérés comme non-essentiel. »

La Voûte, en mode répét’ et masqué

D’autres structures ont tenté de sauver les meubles entre les deux confinements, même si une relance sereine de leur activité semble encore compliquée. La Voûte explique par exemple : « Nous avons rouverts entre les deux confinements mais il n’y a pas eu de concert debout depuis mars. J’ai alors ouvert le lieu aux répétitions et pendant un moment ça a bien fonctionné. Des concerts assis ont été organisés sur la terrasse en haut, et à l’intérieur de la Brasserie mais on peut les compter sur les doigts de la main d’un irradié. Et comme tout le monde maintenant, c’est l’attente. » Pour limiter la casse, l’option de la vente à emporter s’est aussi démarquée, notamment pour les lieux culturels proposant un service de restauration.

Mais ce n’est pas le cas du Mancuso, pour qui l’expérience du public ne peut pas être complète sans son aspect musical. « La crise sanitaire a affecté particulièrement notre restaurant car nous n’avons jamais fait de livraison et de service à emporter. Notre projet de café audiophile ne correspond pas à ce genre de demande. Nous voulons que notre clientèle profite de l’instant présent, à l’une de nos tables pour une expérience musicale entre amis et autour de belles assiettes, de bons vins, spiritueux ou cafés. Nous avons donc décidé de ne pas ouvrir en période de confinement. »

Réconfort

Les lieux culturels de Bordeaux gardent quand même de bons souvenirs de l’année en mémoire, notamment le soutien reçu. « Les nombreux mots de soutien, d’encouragements de la part de notre public. Nous avions lancé un sondage lors du premier confinement et nous avons reçu une avalanche de mots doux et réconfortants dans la lettre ouverte. Ça nous a beaucoup touché et aussi remotivé dans une période où nous en avions bien besoin » raconte l’équipe de l’IBOAT, qui garde en tête également le pari risqué mais réussi de l’ouverture de Blonde Venus. C’est aussi le public qui aura fait tenir le Mancuso : « La reprise après le 1er confinement a été superbe, ça nous a fait plaisir de voir notre clientèle aussi heureuse de revenir dans notre lieu. L’été a été très bon et nous avons très bien fonctionné les midis ». 

Blonde Venus, nouveau lieu de l’IBOAT ouvert entre deux confinements

D’observer aussi que la clientèle a joué le jeu des normes sanitaires pas toujours simples à respecter a grandement facilité notre travail.

Avec la possibilité de « faire une fête de la musique avec 4 groupes et artistes locaux que sont Waagal, Titouan, Mother Cover et Santa Machete », le Pourquoi Pas reconnaît avoir pu retrouver quelque peu le moral. Il précise : « D’observer aussi que la clientèle a joué le jeu des normes sanitaires pas toujours simples à respecter a grandement facilité notre travail. Cela a participé à nous rassurer rapidement et garder notre énergie et volonté de faire vivre ce lieu malgré les circonstances très complexes. »

Comme l’ont aussi constaté certain.e.s artistes, collectifs et médias de Bordeaux, cette période particulière a été synonyme de remise en question ou de prise de recul. « Cette crise a permis, plus que tout autre action, de rassembler le réseau Rockschool composé d’un quinzaine de structures réparties sur l’ensemble de la Nouvelle Aquitaine, auxquelles il convient d’en ajouter deux autres à l’international : l’Ampli de Québec et le Vox à Wuhan en Chine » explique la Rock School Barbey, avant de compléter « cette crise qui persiste laissera donc un besoin de croisement d’informations, de solidarité, de recherche de solutions permis par cette mise en réseau, et qui devrait se poursuivre quand nous en serons sortis ».

Certaines structures insistent tout de même sur la difficulté de l’année, sans pour autant en oublier les petites bouffées d’air de cet été. Les Vivres de l’Art racontent notamment : « On a pu s’adapter cependant cet été pour proposer des événements en plein air dans notre parc ! Dj Sets, concerts, théâtre, on a passé de bons moments. Mais il y en a eu trop peu. C’était globalement une année chaotique, on va pas le cacher. » De son côté, La Crypte relativise comme elle peut : « Cette pause forcée me permet également de produire du son et de m’occuper de mon label, donc dans un sens ça va plus ou moins, il ne faut pas que ça dure trop. Au vu du contexte, même si j’ai eu une période de gros doute, de remise en question, mon souvenir positif de cette année est l’aboutissement du projet La Crypte ».

Projets/envies 2021 ?

Si l’avenir est encore incertain, notamment en ce qui concerne les dates de réouverture des lieux considérés comme non-essentiels, il n’en reste pas moins prometteur en termes de projets. « Ce serait mentir que de dire que nous n’espérons pas entrevoir la lumière au bout du tunnel en 2021 » admet l’IBOAT, qui espère rouvrir le bateau dès avril prochain, à la fin des travaux de rénovation des deux ponts. Un peu moins optimiste pour la réouverture du club, il poursuit : « Nous avons envie de rouvrir Blonde Venus dès qu’il le sera possible aussi et dans de bonnes conditions. Enfin, poursuivre notre projet de développement, en accueillant de nouvelles embarcations sur l’eau comme sur la terre. Nous y travaillons dur, en redessinant le projet depuis mars, et avançons avec les institutions sur sa mise en œuvre. » 

Les confinements ça nous a fait cogiter, les prochaines années risquent de vous surprendre.

Signe plutôt rassurant, Les Vivres de l’Art montrent aussi une capacité et une envie de se projeter. « On travaille déjà sur notre programmation estivale. Et j’espère qu’on pourra reprendre petit à petit les événements en intérieur l’automne prochain au moins. On a pas mal d’autres projets dans la tête, les confinements ça nous a fait cogiter, les prochaines années risquent de vous surprendre. » De son côté, Le Pourquoi Pas souhaite organiser à nouveau de petits concerts et les Battles de compliments de Ta Mère La Mieux, mais pas seulement. « On prépare également la 1ère édition du Festival du Bonheur en physique avec, au programme, arts de rue, concerts, et animations multiples. »

Le café Mancuso

Pour d’autres, l’année à venir marque l’occasion d’étendre ou d’enrichir son activité. Le Mancuso explique par exemple les prochains changements auxquels s’attendre pour le café. « Nous avons l’intention de développer notre service de prestation hifi (vintage haut de gamme) à l’extérieur du Cafe Mancuso pour des évènements d’entreprises ou éventuellement privés. Nous allons aussi relancer nos soirées intimistes « wabi sabi » dans différents lieux. Une potentielle ouverture en 7/7, nous étions en 6,5/7 auparavant. Et enfin toujours plus de musiques pour oublier ce qu’était 2020 ! » Pour La Voûte, l’heure est encore à la réflexion pour organiser les concerts au mieux : « Dès que l’on va rouvrir, comme les concerts debout ne seront pas possible, essayer de reprendre une petite prog assise, et peut-être des événements alternatifs de type ateliers/masterclass. »

Il est cependant toujours difficile de se projeter pour certain.e.s, comme c’est le cas pour Lilith de La Crypte. « Mes projets pour 2021 sont assez flous, je ne sais pas quand je vais pouvoir rouvrir La Crypte. En attendant, je suis en train de finir les travaux pour rouvrir au plus vite quand il sera possible de le faire. Néanmoins, l’envie la plus chère à mon cœur est de rejouer en warehouse ou en club, cela me manque terriblement. » Et l’équipe de la Rock School Barbey de conclure, dans un style simple et efficace : « Pour 2021 tordre le coup à cette crise et recommencer à vivre vraiment ».

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