S’engager par l’art et l’art de s’engager avec Isulia

Pendant 4 jours, du jeudi 6 au dimanche 9 octobre, le festival Isulia de Fimeb propose dans divers lieux bordelais une multiplicité de propositions, entre débats, projection, concerts et DJ sets. Au service des cultures indépendantes et émergentes, l’événement donne la parole à une diversité d’intervenant·es. C’est à eux et elles (Victoria Guillomon, Margaux Rapin, Diboujone et Gin Tonic Orchestra) qu’on a posé quelques questions pour mieux comprendre la vision d’Isulia, qui entend conjuguer fête et engagement.

Crédit photo : Miléna Delorme

Le Type : Pourquoi est-il important, en 2022, de concilier fête et engagement selon vous ?

Victoria Guillomon (podcast Nouvel Oeil) : Mettre de la joie dans l’engagement, c’est indispensable pour ne pas s’essouffler sur le long terme. Les sujets de société qui nous frappent – notamment ceux liés à l’écologie -, peuvent vite être anxiogènes et clivants. Faire passer ces messages-là avec enthousiasme, c’est essentiel pour construire un monde de demain enviable et harmonieux !

Margaux Rapin (Marge Music) : Je pense qu’en créant un événement, il est primordial d’avoir conscience qu’on a de l’influence sur le public. Tout ce qui est mis en place a un impact, et plus encore, tout ce qui n’est pas mis en place se fait ressentir.

En 2022, nous sommes toutes tous au courant des enjeux, de chaque combat à mener, et de chaque point de vigilance, notamment pour les femmes qui pour beaucoup n’osent plus sortir de peur qu’il leur arrive une mésaventure, ou des situations qu’elles ont pour la plupart déjà vécues. Il est donc urgent de prendre nos responsabilités et de tout faire tout ce qu’on peut pour rendre les moments de fête plus safe.

Quai Richelieu, Maison écocitoyenne, Quartier Général d’Isulia

Diboujone : Faire la fête, c’est forcément investir un lieu. L’enjeu du respect de l’environnement dont nous disposons est crucial. Qu’il soit un lieu urbanisé, naturel ou synthétique. Comment investir un endroit tout en restant vigilant de cet espace ? Nous avons une responsabilité citoyenne de « bon vivant » (gestion de nos mégots, etc…) et de respect de l’espace que nous investissons au même titre que l’aspect préventif des organisateurs, avec des brigades vertes par exemple.

Gin Tonic Orchestra : Nous ne croyons pas que ce ne soit que maintenant qu’il soit important de concilier fête et engagement. Certaines fêtes ont toujours été liées à l’engagement. Que ce soit pour revendiquer l’appartenance à une certaine identité, un courant musical. S’engager, c’est accepter que nous sommes toutes et tous acteur·ices du monde dans lequel nous vivons, de se laisser chavirer par les autres, se questionner sur son comportement, mettre ses actes en perspectives, agir en conscience.

La musique, comme toute forme d’art, quelle qu’elle soit, est le médium du partage d’idées

Gin Tonic Orchestra

La musique, comme toute forme d’art, quelle qu’elle soit, est le médium du partage d’idées, l’intermédiaire entre l’artiste et son public. Et la fête, le théâtre pour mettre en confrontation ces idées. Néanmoins, et c’est là l’esprit de la fête, elle se détache de l’esprit de sérieux, en retrouvant une forme de légèreté. C’est aussi cette joie d’être ensemble et de s’accueillir les un·es les autres, les un·es chez les autres, de faire preuve de générosité, d’hospitalité, d’humour, de légèreté, de savoir surprendre, manifester sa gratitude, son originalité, bref, aller chercher quelque chose de bon au fond de soi.

C’est aussi de fêter un pur présent, et d’aller vers l’avenir. Nous donner une direction. Il y a déjà une forme d’engagement dans la fête notamment avec les contraintes que l’on a pu avoir avec la crise sanitaire, et quoi de mieux que célébrer la vie en faisant la fête. Il nous paraît tout de même important, dans notre musique, de relier les deux.

Transmettre la conscience écologique à travers l’art et la culture en touchant les émotions, c’est un puissant levier de changement !

Victoria Guillomon

Quels sont les grands enjeux contemporains que se doivent d’aborder les artistes selon vous ?

Victoria Guillomon (podcast Nouvel Oeil) : Tous les sujets de société ont leur place dans le secteur culturel. Celui qui me concerne prioritairement est celui de la crise climatique, puisqu’il en découle tous les autres. Aujourd’hui nous ne pouvons plus regarder ailleurs. Cette idée de croissance, de vitesse, est dépassée. Transmettre la conscience écologique à travers l’art et la culture en touchant les émotions, c’est un puissant levier de changement !

Margaux Rapin (Marge Music) : Selon moi, les sujets qui doivent être considérés comme des enjeux sont nombreux et ils doivent être traités le plus possible. Mais si je dois en citer 2, je prioriserais l’inclusivité et l’enjeu écologique.  Encore une fois, dans le secteur culturel, nous avons une voix et un devoir de faire passer les bons messages. Certains événements restent encore alarmant au niveau de l’éco-responsabilité. Nous n’avons plus le droit de faire comme si cela n’avait pas d’impact. Aussi, l’inclusivité me semble être un sujet de plus en plus traité, mais peut-être encore trop en surface.

La Guinguette Alriq, un des lieux où se déploie d’Isulia

Diboujone : La fête est un moment de libération et de connexion entre public et artistes, public et public et artistes à artistes.  On a toutes et tous eu écho d’histoires sombres (live ou réseaux sociaux) quant aux drogues et au consentement : la banalisation d’actes liés au GHB et la frayeur des piqûres. Il y a malheureusement une responsabilité sur les organisateur·ices et les lieux – qui sont beaucoup moins nombreux que pré-covid – accueillant du public.

Ces acteur·ices mettent petit à petit en place des moyens plus solides pour résoudre ces graves problèmes qui sont des raisons valables de bloquer le développement de la fête, donc de la culture. La responsabilité est aussi citoyenne car la liberté de la fête ne rime pas avec faire n’importe quoi. La fête fait sortir le pire et le meilleur de nous. Le but est que le public et les artistes se sentent dans un espace viable dans lequel ils ne risquent pas leur vie et où ils peuvent s’exprimer comme ils sont, sans jugements ou agressions verbales et physiques. 

Gin Tonic Orchestra : Le jazz, celui qu’on connait aujourd’hui en France, institutionnel, académique, définit par quelques « bien pensants », est, nous trouvons, enlevé de toute sa substance première. C’était une musique de fête, qui se jouait dans les dance hall. Comme pouvait l’être l’opéra de Vienne aussi, où les gens venait se retrouver, que ce soit d’une sphère mondaine ou populaire. La musique électronique a su définir ce qu’était la notion de partage, de part les raves, les clubs.

Mais les réalités politiques et économiques ont aussi détruit cette idée-là. Les Anglais·es arrivent très bien à mélanger et ont su garder tout ça, du moins dans la musique et le sens qu’ils veulent donner à la fête. C’est du moins ce que l’on essaie de faire aujourd’hui, à notre petite échelle, à Saint-Étienne. Redéfinir les codes d’une musique qui sera la nôtre, d’une fête qui sera la nôtre, avec tout les enjeux contemporains qui en découle : le mélange, l’inclusion, l’environnement, le partage, etc.

Quelle vision portez-vous sur la scène artistique bordelaise et son écosystème culturel ?

Victoria Guillomon (podcast Nouvel Oeil) : Les initiatives émergent et on sent un élan collectif à agir positivement sur le monde. La preuve en est avec l’événement d’Isulia !

Margaux Rapin (Marge Music) : Je suis revenue à Bordeaux il y a 1 an, et la dernière fois que j’y ai habité c’était en 2015. Je suis donc témoin de l’explosion culturelle qui s’est produite ces dernières années. Je trouve qu’aujourd’hui Bordeaux ouvre ses portes à la nouveauté, et que le public est présent dès lors qu’il y a un message sincère.  Maintenant, la question de la culture n’est jamais simple, et je pense que l’entre-soi est assez présent. Pourtant, Bordeaux a le potentiel de rayonner bien plus que ça en France.

Diboujone : Je trouve que cet écosystème est en pleine migration et qu’il y a de belles propositions culturelles. Cependant, je pense qu’il est malheureusement trop éclaté malgré son éclectisme. On a énormément de talents à travers nos collectifs et artistes mais on est pas mal dans nos coins à pas trop se tendre la main au niveau de la ville. Cela évolue grandement ces derniers temps et nous tendons à nous associer plus facilement ainsi qu’à valoriser la scène locale qui parfois est individualiste.

Certains lieux ou événements ne sont parfois accessibles que par connaissance, et non par opportunités présentées et appels à projet. On laisse encore trop peu la chance à des artistes en développement qui finissent rapidement par quitter la ville par manque d’opportunités ou de nouveaux lieux pouvant accueillir des artistes et du public. 

Je suis moi-même parti à Paris pendant 4 ans, avant de revenir au port de la lune. C’est aussi une ville qui n’aime pas la fête intra-muros. Les lieux sont un peu excentrés et on a vu de nombreux clubs ou lieux culturels fermer leurs portes dans le centre-ville ces 10 dernières années. Le public bordelais apprécie fortement la culture hip-hop, afrobeat, jazz, soul : je souhaite que nos programmateur·ices de lieux s’attardent davantage sur cette culture très large pour laquelle il y a beaucoup d’artistes de toute forme. Je crois bien que les Bordelais·es sont friand·es de nouveaux types de formats au vu de l’évolution post-covid des pratiques festives. Par exemple incorporer plus de musicien·nes, de danseur·euses et de chanteur·euses rap dans nos clubs qui sont à mon sens la base de la fête. 

Gin Tonic Orchestra : Nous connaissons déjà ce que fait le label Broken District depuis un certains temps, et nous sommes ravis de pouvoir partager enfin cette scène avec eux. Ils maintiennent une identité musicale qui est la leur, et ce sont des valeurs qui nous correspondent, qui prouvent qu’une scène est en train de se créer en France. Nous avons en tout cas très hâte de venir jouer sur Bordeaux, et venir rencontrer notre public bordelais !

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