Les quêtes artistiques de Jeune Deep

Jeune Deep évolue au sein de la scène rap bordelaise depuis plusieurs années. En duo (avec IGee) et maintenant en solo, l’artiste trace depuis plusieurs années un chemin et une identité singulière dans cet écosystème musical. Avec ses multiples casquettes – il a notamment lancé son propre studio de production audiovisuelle -, le musicien est un témoin de l’évolution du rap au niveau local. Portrait de celui qui vient de sortir son nouveau projet, Le monde est down, pour mieux comprendre ses différentes quêtes artistiques.

Premiers pas et développement de l’identité musicale

Il a un pseudo à venir du Québec ou de Bruxelles mais c’est pourtant de France que nous arrive Jeune Deep. Originaire de Bordeaux, le lyriciste n’est pas un inconnu de la scène musicale locale. Pour lui, ses premiers pas avec le rap remontent à la primaire lorsqu’avec ses amis ils découvrent l’album Ouest Side de Booba.

Il commence alors à explorer les arts urbains liés à ce courant musical. Passionné par le basketball, c’est près des playgrounds, au fil de son adolescence, qu’il développe un lien avec la culture américaine. Dès lors, il porte son attention sur les figures emblématiques du rap US, notamment ceux de la East Coast. Nas, Notorious B.I.G, Mobb Deep : l’adolescent vit une période de découverte musicale intense.

Ses débuts en écriture et les premiers morceaux qu’il enregistre ont été partagés avec son ami d’enfance IGee, marquant le début de leur aventure musicale Al’Ancienne. Scènes locales, open-mics, collaborations : le duo est très actif sur la scène rap bordelaise. Leurs performances musicales leur ont permis d’établir rapidement des contacts avec des programmateur·ices et des acteur·ices de l’écosystème musical de la ville, leur ouvrant ainsi l’accès à des infrastructures. Des débuts prolifiques qui leur permettent d’accumuler une multitude d’expériences en un laps de temps réduit.

« La scène a été ma meilleure école »

Alors, quelles réflexions Jeune Deep retient-il de cette période ? « La scène a été ma meilleure école. Rien ne me stimule autant que de me produire en concert. C’est là que je ressens le plus de satisfaction artistique et je dirai qu’ à terme, c’est l’objectif ultime pour moi »  explique le rappeur.

Et son goût pour l’écriture dans tout ça ? Bien qu’il soit doué en français, le bordelais ne se voit pas comme un grand lecteur. Cependant, il a une facilité naturelle à exprimer ses émotions et à jouer avec les mots et les phrases : « Depuis toujours, j’apprécie les poésies et les dictées. Enfant, je me rendais au foyer de ma ville pour participer à la dictée annuelle. J’étais le seul jeune parmi les personnes âgées (rires). En y repensant, c’est vrai que j’ai toujours eu ce goût prononcé pour l’écriture. » Après avoir publié les EP Juste Milieu et Retrofutur, ainsi que les singles « Classic » « Le Match » et « Pas un mot »pour ne citer qu’eux, le duo Deep & IGee, auparavant connu sous le nom d’Al’Ancienne, a choisi de poursuivre des chemins musicaux distincts.

Recul & développement de l’identité musicale

Suite à cela, Jeune Deep sortira NPA (Né Pour Avancer – Nouvel Page Artistique), un projet 6 titres paru en 2020. Et après ? Quelques singles seulement. La raison ? Pas évident de se retrouver seul quand on a passé quelques années en duo. Une prise de recul par rapport à la musique s’effectue. Le rappeur bordelais a mis du temps à trouver l’énergie suffisante pour mener à bien son projet solo correctement : « J’ai ressenti le besoin de prendre du recul pour découvrir mon propre univers et affirmer mon identité musicale. Pour moi, il était essentiel de me fixer des standards élevés. Si je m’engageais dans un projet, je voulais le faire pleinement et sans compromis. » 

Entre 2020 et 2024, Il explique également s’être focalisé sur sa deuxième passion qu’est le cinéma : « J’ai toujours aimé les films, les clips, les séries, c’est pourquoi J’ai effectué un BTS dans les arts visuels. À l’époque, je réalisais déjà des clips pour notre duo et des potes, ce qui a renforcé mon désir de me concentrer sur cet aspect. Aujourd’hui, je tire profit de cette expérience pour intégrer mes compétences audiovisuelles dans mes projets musicaux, enrichissant ainsi mon approche artistique. »

C’est avant-tout une quête personnelle et artistique. Ça me permet d’extérioriser des choses que je ne peux pas forcément faire dans la vie de tous les jours. 

Jeune Deep

Dans sa musique, Jeune Deep n’a jamais suivi les tendances, ni cédé à la popularité croissante du rap ces dernières années. Rester fidèle à soi-même reste très important pour lui. Il préfère se prendre la tête à développer son « truc » qu’il pourra potentiellement adapter sur tous types de productions. Inutile d’avoir un doctorat en psychologie pour comprendre que l’artiste est un serial-digger, un vrai amoureux du rap, et qu’il n’exerce pas art parce que c’est tendance : « C’est avant-tout une quête personnelle et artistique. Ça me permet d’extérioriser des choses que je ne peux pas forcément faire dans la vie de tous les jours. À travers ce projet musical, je prends aussi en confiance et en maturité. » 

Le monde est down

Et alors, où en est-il maintenant ? Sorti le 14 juin 2024, son projet Le monde est down, composé de cinq titres – dont 999 Problems et Worldwide – est une étape importante sur le plan artistique de son projet musical. Le natif bordelais explique : « Je le vois vraiment comme un point de départ d’une nouvelle carrière, d’un nouveau moi, avec une identité audiovisuelle originale et moderne : c’est l’aboutissement de toutes ces phases de recherches. »

Les sonorités digitales, les effets vocaux marqués et l’univers futuriste représentent un nouveau virage dans son identité musicale. Sur cet EP, il brouille les pistes entre supertrap, et new-wave, s’imprégnant de musiques électroniques pour produire une forme moderne de rap. De manière générale, dans les sons qu’il écoute, Deep aime beaucoup quand le mix est marqué. Ainsi, il cherche à travailler avec des personnes capables d’amplifier les effets musicaux et vocaux, explorant des directions artistiques audacieuses et dynamiques.

Inspiré par divers genres musicaux – allant de la funk au rock en passant par les musiques électroniques – , il a rapidement compris l’importance de la symbiose entre voix et instrumentation. Le choix des prods et la sound-selection sont maintenant très importants pour lui. Il s’est même mis à faire des prods pour appréhender le processus de création :  « Je me suis mis sur FL Studio, j’avais besoin de comprendre comment les instrus sont créées. Maintenant, quand je parle avec des beatmakers, je peux affiner ma demande en fonction de ce que je souhaite. »

Réflexions existentielles

À travers Le monde est down, ses réflexions existentielles et ses thèmes universels, tels que le rapport aux réseaux sociaux, l’image de soi et les relations humaines, sont perceptibles. Son nom d’artiste résonne alors parfaitement avec cette démarche, un véritable retour aux sources pour Jeune Deep. Dans ses textes, il utilise souvent la langue anglo-saxonne pour marquer ses refrains et ses couplets comme l’on peut entendre sur 999 Problems et sur le reste du projet.

Sans aucun doute, l’EP est une sorte de work in progress, un univers très maîtrisé de l’artwork jusqu’au processus, ouvrant la porte aux nouvelles influences, un constant travail de veille. Les morceaux qu’il lâche porte véritablement la marque d’un artiste mature qui transcende et mélange ses influences au lieu de simplement vouloir les « copier ».

Multi-casquette & culture locale

Polyvalent, Jeune Deep exerce les métiers de rappeur, vidéaste et graphiste, trouvant du plaisir à combiner ces compétences pour ses singles, vidéoclips et projets : « J’ai cette image des entrepreneurs américains qui combinent cinéma, musique, art et mode. J’essaie de m’inspirer de ça. Si j’ai envie de faire quelque chose, je ne vais pas m’en priver. » Pour lui, chaque forme d’art à son moment dans la journée, il prend autant de plaisir à visionner un très bon film qu’à écouter un album de qualité.

Il y a quatre ans, il a par ailleurs fondé Fragment Rose, un studio de production audiovisuelle spécialisé dans le motion-design, la réalisation, le montage et l’étalonnage. Il répond également aux demandes de graphisme lorsqu’elles se présentent. Pour les vidéoclips, il travaille essentiellement avec des rappeurs indépendants : « Ils n’ont pas forcément de structures qui leurs permettent d’avoir des financements ou des avances. J’apprécie de collaborer avec des artistes émergent·es car cela me permet de développer mon imagination malgré des budgets plus modestes. » Il est également impliqué dans des projets plus corporate, comme avec le musée des Beaux-Arts de Bordeaux et le restaurant Krousty Sabaïdi – pour ne citer qu’eux -.

Le dynamisme dans la scène rap est hyper positive, ça me stimule et je le vois aussi comme une compétition supplémentaire.

Jeune Deep

Une scène musicale dynamique

Artiste émergent, Jeune Deep a pu voir l’augmentation du nombre d’artistes de rap et la prolifération de sorties de projets ces dernières années. Alors, qu’en pense le principal l’intéressé ? « Maintenant, c’est vrai que l’on est un peu noyé. Même pour les auditeur·ices, ils et elles ne savent plus où donner de la tête avec tous ces choix ! » Selon lui, il y a aussi des points positifs à retenir comme l’augmentation des styles de rap, les sonorités innovantes et les nouveaux flows : « Globalement, c’est hyper positif, ça me stimule et je le vois aussi comme une compétition supplémentaire. »

La croissance du nombre d’artistes entraîne ainsi l’émergence de talents bordelais. Qu’en est-il des collaborations avec les rappeurs locaux ? « Pourquoi pas, peut-être que ça se fera dans un futur proche… Dans mon cercle rapproché, je pense notamment à Malcolm, Azura, Sir Reda et Théos. Je suis aussi proche des membres du Tunnel, un collectif composé par exemple de Ricky Bishop et Implaccable. » Pour le rappeur de Bordeaux, l’avenir s’annonce prometteur avec des singles, des collaborations et d’autres vidéoclips en perspective. Dans les cartons également, un second EP qui devrait finir de convaincre les retardataires de rejoindre ce Jeune Deep.