Portrait : Élise Girardot, commissaire d’exposition indépendante

Commissaire d’exposition indépendante à Bordeaux, Élise Girardot nous parle dans ce portrait de son travail, des artistes avec qui elle collabore, de la façon dont elle traverse la période de confinement mais aussi de la scène bordelaise… Une ville culturellement riche et où elle a basé son association, Föhn.

Photo : portrait devant une œuvre de Léa Belooussovitch au Centre d’art Image Imatge à Orthez

Le métier de commissaire d’exposition reste, pour certains peut-être, un brin opaque. Élise Girardot opère en tant qu’indépendante dans ce domaine. Son travail se tourne essentiellement vers les événements culturels : « J’organise des expositions, ce qui consiste à écrire un projet en choisissant des artistes mais aussi un lieu, des financements et des partenaires pour mettre en œuvre l’exposition. » Ces activités représentent un travail colossal pour les commissaires comme Élise qui exercent en tant qu’indépendant.es – activités enrichies, pour elle comme pour beaucoup, du métier de critique d’art.

Travailler dans le milieu de l’art et dans la mise en place d’expositions, c’est aussi être en contact permanent avec différents interlocuteurs que sont les artistes, les institutions culturelles, les revues d’art, les galeries, les collectionneurs… « Le réseau privé compte beaucoup dans notre milieu » souligne Élise Girardot.

Föhn et scène bordelaise

En plus de son travail, Élise Girardot fonde en 2018 sa propre association à Bordeaux qu’elle nomme subtilement Föhn en référence à « un vent montagneux, fort, sec et chaud ». L’association consiste à ancrer dans le territoire son projet, solliciter les collectivités et collaborer activement avec les acteurs implantés à Bordeaux et en Nouvelle-Aquitaine. « Les projets sont souvent ouverts sur l’extérieur, ils déploient une cartographie et invitent à la déambulation du spectateur. Je crois beaucoup en l’approche sensible et en la narration qui sont des outils inclusifs ».

Une association à la fois ancrée sur son territoire et ouverte sur l’extérieur, donc, pour un partage qui s’opère au-delà des terres. Föhn est aussi liée à la volonté qu’a Élise Girardot de faire connaître les pratiques curatoriales (le milieu du commissariat d’exposition, NDLR), afin de mettre en avant un corps de métier peu connu. L’un des projets fondateurs de Föhn est l’exposition « Auloffée », déployée dans trois villes et à travers de multiples partenaires locaux : l’Artothèque de Pessac, le CAPC, l’Espace 29, la Cité Frugès – Le Corbusier… « L’exposition réunissait des artistes de différentes scènes, en majorité français et de générations distinctes autour du motif des dunes, de leur construction et des métaphores qui en découlent. »

Une relation permanente avec la scène artistique et culturelle bordelaise qui se trouve être très vivante.

Une relation permanente avec la scène artistique et culturelle bordelaise qui se trouve être très vivante. Mais pas toujours soutenue comme il le faudrait : « Il y a beaucoup d’artistes ici mais pas toujours les soutiens nécessaires pour rendre leurs pratiques visibles. Bordeaux n’a pas encore parié sur les artistes vivants en mettant en place des ateliers-logements municipaux, contrairement à Marseille, Paris ou Rennes. » Et ce malgré la multitudes d’artistes, ateliers et centres artistiques présents dans la métropole de la région bordelaise : « Beaucoup d’artistes sont regroupés en ateliers collectifs à la Réserve, Continuum, la Fabrique Pola. Il y a aussi des ateliers métropolitains, comme à Floirac, avec l’atelier Raymonde Roussel. »

D’autres associations culturelles œuvrent activement au développement de la scène bordelaise. C’est le cas par exemple de BAM Projects, qui accompagne des projets permettant aux artistes la réalisation de nouvelles productions. Föhn s’ouvre également à divers horizons, développant son activité autour d’artistes plasticiens vidéastes, mais aussi auprès de performeurs, photographes, peintres, sculpteurs, et dessinateurs.

Nervures, vue d’exposition © Alice Raymond, 2019

Impacts du confinement

Le confinement est une forte source d’inquiétude pour ces acteurs phares de la scène culturelle : au sujet des projets en cours, notamment,  ainsi que pour la précarité à venir. « Des aides exceptionnelles sont proposées mais elles ne conviennent pas à tous. Les commissaires sont habitués à travailler “confinés” car nos activités sont de l’ordre de la recherche fondamentale. Malgré tout, nous restons connectés au monde, les pratiques artistiques sont très influencées par les bouleversements de la société. » Toutefois, les artistes et organisateurs continuent de produire et de créer. Les albums sortent, les œuvres fleurissent, les événements online s’invitent chez nous. Les offres en ligne se multiplient, auxquelles s’intègrent la mise en place d’expositions virtuelles.

Le rapport de notre corps à l’œuvre d’art est physique et matériel, il est quasiment impossible de le transposer à l’écran.

« Je suis sceptique sur le rapport “virtuel” à l’œuvre d’art, je ne propose donc pas d’événement virtuel. C’est différent avec la musique qui se pratique et s’écoute beaucoup chez soi. Mais le monde des arts visuels est très lié à l’espace. Le rapport de notre corps à l’œuvre d’art est physique et matériel, il est quasiment impossible de le transposer à l’écran. » Élise Girardot n’exclut cependant pas la nécessité de garder le lien avec les artistes, véritables locomotives des commissaires d’exposition et critiques d’art : « Je m’intéresse en ce moment à la pratique du dessin, la plus élémentaire et légère, avec le projet « Dessins de palier » publié sur Facebook. Il vise à relier deux artistes en montrant leurs dessins du jour. Il s’agit davantage d’un journal d’atelier que d’une exposition virtuelle. J’ai aussi appelé des artistes en visio-conférence pour organiser des visites d’atelier virtuelles, ou simplement pour prendre contact avec de nouveaux artistes. Mais le rapport à la matérialité du travail est biaisé, rien ne remplace la vraie rencontre, bien sûr. »

Toujours en lien avec les artistes, Élise met en avant les difficultés rencontrées par les plasticiens dans ce contexte particulier. Si certains vivent le confinement de façon sereine, d’autres sont dans l’obligation d’écarter pour un temps leurs pratiques artistiques. Pour beaucoup, se rendre à l’atelier est impossible et les délais d’attente du matériel s’amplifient : « Selon la pratique de l’artiste, son activité est freinée. Les conditions de vie ont aussi un impact : en appartement ou en maison, avec des enfants ou non, on ne produit pas de la même manière. » Le partage et l’art restent toutefois indispensables en cette période. « Nous avons une maîtrise assez spectaculaire des situations de crise. Les artistes sont habitués à être laissés de côté, à devoir faire de la recherche approfondie à l’atelier, à affirmer une pratique même quand elle n’est pas rentable. »

L’une des solutions de survie serait la mobilisation active et immédiate des collections publiques nationales et privées, pour l’achat de nouvelles œuvres (à l’échelle locale)

De même, les aides pour les artistes restent aussi très maigres. Mais la demande auprès du CNAP (Centre National des Arts Plastiques) reste possible. Pour Élise : « L’une des solutions de survie serait la mobilisation active et immédiate des collections publiques nationales et privées, pour l’achat de nouvelles œuvres (à l’échelle locale), à l’image du Centre Pompidou. L’entrée dans une collection inscrit la pratique de l’artiste de manière pérenne et constitue une reconnaissance valorisante, tant d’un point de vue économique que symbolique. »

Auloffée, un itinéraire, vue d’exposition © Olivier Giboulot, 2019

Projets passés et à venir

Avec de nombreux projets à son actif, de publications de textes et expositions sur son site, Élise Girardot a déjà démontré une mise œuvre rigoureuse de ses activités. Elle a notamment travaillé sur le projet « Bardo », une co-écriture d’une performance avec les artistes Céline Domengie et Véronique Lamare en Lot-et-Garonne, en 2018 et 2019. Autre preuve de la passion qui motive Élise : son texte écrit pour Rebecca Brueder. « Son travail de sculpture et de dessin utilise le motif des pierres, des montagnes, des volcans et des carrières. Ça m’a fait un bien fou de me projeter avec elle dans ces espaces depuis mon lieu de confinement ! »

La pandémie aura toutefois empiété sur certains projets, restant « sans dates fixes pour le moment, ce qui est assez étrange puisque j’étais en plein montage de projet depuis le mois de janvier pour une exposition consacrée à l’artiste marseillais Nicolas Daubanes, aux Glacières (Bordeaux Caudéran). Je préparais aussi un projet-parcours dans trois villes de la Métropole avec 15 artistes. » Elle travaille également sur une étude auprès de la Biennale panOramas, un projet ayant lieu sur la rive droite de Bordeaux.

Un petit mot pour nos lecteurs Élise ? « Bon courage pour la suite de ce confinement et pour ceux qui ne travaillent pas à l’extérieur, profitez-en pour prendre le temps de rêver ! »
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