Invitée par le collectif Slikke à intervenir le samedi 1er juillet sur une table-ronde intitulée « À l’écoute du Vivant : une écologie sonore du Bassin d’Arcachon » à La Teste de Buch pendant le festival Les Scènes Musicales, Lou-Andréa Lassalle Villaroya revient sur sa démarche artistique abordant de plus en plus les problématiques liées au défi climatique.
Le Type : Comment décrirais-tu ta démarche artistique qui revêt de nombreuses dimensions ?
Lou-Andréa Lassalle Villaroya : Mon travail évolue en plusieurs grands récits qui parfois se rejoignent dans des pièces, des installations ou des performances. J’envisage chacune de mes expositions comme des épisodes, elles sont les décors de différentes scènes mystérieuses inspirées de narrations sous-jacentes. Il y a d’abord une dizaine de personnages que je conçois comme une fresque sociale inspirée de ma propre histoire familiale intégrant du réalisme magique et une mystique pleine de fantaisies syncrétiques.
Après la famille et la communauté, c’est le rapport au Vivant que j’aborde au travers de cette nouvelle histoire.
Lou-Andréa Lassalle Villaroya
Ensuite, il y a le Caylus Culture Club, une société secrète que j’ai imaginée autour de mon village natal, son histoire et ses paysages. J’invite régulièrement des artistes ou des artisans à collaborer à l’élaboration de ce faux folklore qui se charge de nouvelles couches théoriques et symboliques à chaque apparition. Son identité est construite autour d’un conte qui contient lui-même six personnages.
Enfin, plus récemment, tout ce monde fictionnel est venu prendre place dans un jardin imaginaire. Chaque recoin est une demeure, chaque endroit est un récit. J’ai dessiné une grande carte qui reprend la géographie de plusieurs lieux des gorges de l’Aveyron où j’ai grandi et dans lesquels j’intègre la fantasmagorie des jardins les plus grandiloquents, de celle des jardins italiens du XVIe aux rocailles d’art brut du XIXe. C’est le début d’une nouvelle grande réflexion : après la famille et la communauté, c’est le rapport au Vivant que j’aborde au travers de cette nouvelle histoire.
Le samedi 1er juillet, tu es invitée par le collectif Slikke pour intervenir sur une table-ronde intitulée « Pour une écologie sonore du Bassin d’Arcachon » dans le cadre du festival Les Scènes Musicales à La Teste-de-Buch. En quoi certaines de tes œuvres résonnent avec les préoccupations « écologiques » ?
Durant la création du Caylus Culture Club, j’ai commencé à réfléchir le paysage de manière culturelle et historique. Par ses habitant·es et leur interactions, par leur histoire et leur disposition. J’appréhendais beaucoup en terme de territoire pour créer des récits principalement anthropocentrés. Encore aujourd’hui, avec l’envie, et le besoin d’intégrer les réflexions du rapport écologique à ma création et dans les récits que je crée, j’y arrive par le biais de l’histoire du jardin : comment l’être humain a domestiqué l’espace sauvage pour pouvoir profiter de celui-ci sans le subir ?
Alors que j’avais entamé cette recherche, j’ai reçu de la mairie de Bordeaux l’invitation à réfléchir à ce que pourrait être aujourd’hui une fontaine pour la ville. Avec en toile de fond le contexte du changement climatique, la rareté de l’eau, le besoin de rafraîchir l’espace de vie ; cette problématique était hautement complexe. Ce qui était pour moi certain c’est qu’il fallait qu’elle intègre du végétal, mais aussi qu’elle génère elle-même son propre biotope et qu’elle évolue au fil du temps sur le cycle météorologique.
Pour ne pas qu’elle soit juste symbolique, il me fallait creuser davantage ce que pouvait réellement ce genre de monument, ce qu’il disait sur ce grand programme de renaturation des villes et la conscientisation des écosystèmes présents dans tous les recoins, même bétonnés. Rendre visible, accélérer et faciliter la force de génération intrinsèque au Vivant en dehors de l’humain pour que celui-ci prenne conscience de son appartenance à cette grande composition.
Le sensible et le merveilleux sont pour moi deux notions essentielles de l’écologie que peut l’art.
Lou-Andréa Lassalle Villaroya
C’est là qu’a commencé véritablement la conscientisation de l’engagement écologique possible dans la création artistique, de ce que ce statut d’artiste peut dans ce contexte, et plus de la sensibilisation, participer à la création d’espace laboratoire mêlant des formes fantastiques et théâtrales. Le sensible et le merveilleux sont pour moi deux notions essentielles de l’écologie que peut l’art. En tant que créatif·ves, nous sommes autorisé·es à produire de la fiction et des formes originales dans différents contextes, l’écofiction autant que la création d’espace qui mettent en scène un entre-deux entre l’humanité et le reste du monde peuvent être des espaces de reconnexion et de cohabitation avec un monde dont nous avons obstruer l’existence.
Actuellement, je travaille donc sur la création d’un jardin de rocailles et de mousse qui abriterait de nombreuses espèces végétales et animales au cœur de Bordeaux, dans le bassin abandonné d’un bâtiment brutaliste. Je travaille sur ce projet dans les Landes que je développerai plus tard et je suis sur plusieurs conception de sculptures extérieures dans la lignée de cette réflexion de cohabitation entre la représentation fantasmagorique et le support d’un biotope au sein de sculptures.
Qu’évoque pour toi la notion d’ « écologie sonore » ?
Personnellement j’ai grandi dans un moulin alimenté par une cascade pétrifiante dont le débit et la présence animale varient selon les saisons. Le bruit de l’eau en mouvement y est constant, les grenouilles, les oiseaux. La nappe sonore de l’extérieur qui nous relie directement avec l’environnement, son mouvement et ses fluctuations serait pour moi ce que m’évoque cette « écologie sonore ».
Récemment j’ai appris, autour d’une lagune des Landes, qu’une race de grenouille locale était en train de diminuer parce qu’une espèce invasive croassait plus fort qu’elle. Du coup, les anciennes grenouilles ne s’entendaient plus et se retrouvaient moins et n’arrivaient pas à se reproduire. Poétiquement je trouvais le récit superbe, écologiquement plus triste. Ce sont ces interactions invisibles pour nous, ce que signifie le chant d’un oiseau qui insiste, le crissement des grillons… Cette couche dense d’ambiance sonore avec lesquelles nous vivons comme si c’était une musique relaxante, un espace apaisant qui serait dédié à notre appréciation alors que chaque son révèle une histoire complexe de survie, d’interconnexion et de langage. C’est à ça que me fait penser le terme quand j’y réfléchi.
Quel est ton niveau de connaissance du territoire du Bassin d’Arcachon ?
Depuis que j’ai commencé à travailler sur la commande pour la Forêt d’Art Contemporain, je suis plus sensible au paysage du Bassin, et plus particulièrement du Parc régional des landes de Gascogne. Son histoire, sa faune, l’évolution fulgurante de son paysage au travers du XIXe siècle et du développement de la sylviculture de pin.
En quoi consistait ce projet sur lequel tu as travaillé pour la Forêt d’Art Contemporain dans le Parc Naturel régional des Landes ?
C’est un projet que je mène parallèlement à ces recherches sur le jardin et la visibilité et création de biotopes. Ils se nourrissent l’un l’autre. En 2021, La Forêt d’Art Contemporain m’a invité à imaginer une œuvre pour un village particulier du territoire des Landes : Solférino. C’est un village emblématique de la politique qu’engagea Napoléon III sur les landes. Il a directement était conçu par l’empereur avec une volonté de rentabilité et de civilisation d’un territoire jusque là considéré comme hostile et inexploitable.
En travaillant avec les villageois·es et me renseignant pas mal sur les contes et légendes, les modes de vies ainsi que les animaux, végétation, paysages et usages de l’ancienne Landes, j’ai voulu créer l’occasion d’une réminiscence mais aussi la possibilité d’une nouveau récit qui intégrerait avec lui les transformations qu’il va encore subir dû au changement climatique et à ce qu’on appeler la méditerranéisation inexorable du paysage qui va advenir.
J’ai proposé une création intégrant possiblement une dynamique sociale et événementielle ; aussi ai-je choisi de concevoir des sculptures qui soient aussi des hampes et qu’une fois par an on puisse les sortir de leur socle et défiler avec. Elle représente la faune et flore de l’ancienne Landes dans le style Second Empire. En intégrant les nouveaux récits des enfants de l’école avec lesquels j’ai mené plusieurs atelier d’écriture et de sculpture afin, tous et toutes ensemble, de réinventer des contes, des chimères et des hybridations pour un territoire aux couches multiples. Réensauvager l’utopie productiviste, retrouver la connexion aux chamanismes des lagunes en adoptant le style du ‘civilisateur’. Peupler les pins des monstres aperçues dans les brouillard de l’esplanduda disparue.
Pourquoi est-il important que les artistes et plus largement le secteur culturel se saisissent de l’enjeu de la protection du Vivant ?
Parce que nous n’avons pas le choix si nous voulons continuer de vivre et évoluer dans un monde où nous partageons l’espace avec des êtres tout à fait fascinant. Parce que c’est de notre responsabilité que de révéler la complexité de ces espaces naturels, surtout quand nous agissons dans l’espace public. Sans exiger que ce soit une priorité d’engagement pour les artistes, il est désormais importants d’avoir une charte de matériaux et de conduite pour les sculptures publics comme il est d’usage désormais dans les projets architecturaux publics.
La question écologique n’est plus une option ou un thème, elle doit être intégrée dans les réflexions de tous les secteurs.
Lou-Andréa Lassalle Villaroya
Je pense que la question écologique n’est plus une option ou un thème, elle doit être intégrée dans les réflexions de tous les secteurs. Par contre, je pense aujourd’hui que la préservation des espèces ou des biotopes endémiques est totalement pertinente mais qu’elle ne doit pas avoir peur de son évolution, de sa transformation, sinon c’est se voiler la face et retarder la prise en compte de sa transformation. Ça va arriver, on va devoir faire avec cette crise climatique.
Différentes possibilités, différents scénarios vont devoir, doivent déjà être pensés et les artistes, s’ils et elles s’en trouvent le courage, sont des acteur·ices clefs de l’accompagnement à ces transformations, soit par leur lien direct à la fiction, soit par leur moyen de rendre sensible les préoccupations. Par exemple la présence des trois flamants rose dans la Réserve Ornithologique du Teich recèle pour moi déjà bien assez de poésie pour imaginer un futur paysage possible. Mais je ne connais pas les conséquences de leur présence si elle devait se pérenniser sur le biotope et les espèces endémiques…
Peux-tu revenir sur la notion de « mimèsis » sur laquelle tu travailles ?
Précisément, c’est la façon dont la sculpture, l’architecture où la conception paysagère se sont emparés de modèle de la nature pour concevoir leur forme. Par exemple dans certaines fausses grottes de jardins il y a cette volonté de reproduire le processus de création de la concrétion en scellant de vraies stalactites sur lesquelles des dispositifs de goutte à goutte vont venir développer la sédimentation qui existe dans les vraies grottes. Ils vont intégrer à ce dispositif des sculptures animales qui vont donner cet effet de magma d’où naissent les formes vivantes, comme la boue primitive de laquelle s’extraie peu à peu les différentes espèces animales de l’évolution.
De même la rocaille de béton du parc Majolan, ou encore celui des Buttes chaumont entre dans une volonté de donner à un paysage artificielle une ambiance naturel en imitant le rocher, en travaillant le béton en faux bois, en exagérant le rapport à la forme naturel. On use d’allégorie, de mise en scène, de vrai faux bassins dans lesquels le vivant vient s’installer. La mimésis fut une de première volonté de l’art, représenter la merveille de la nature avec un soucis de réalisme, au fur et a mesure de l’histoire de l’art, des courants et des évolutions de l’image la mimésis c’est peu à peu détaché du modèle pour parfois prendre des aspects baroque et grandiloquent, démiurgique quand il s’agit de créer des immense parc de toute pièce. C’est ce rapport entre une sentiment, une sensation face à la nature et la volonté de le reproduire de façon poétique, à retranscrire cette poésie non pas en imitant mais en rejouant quelque chose de sensible.
Quel·les sont les acteur·ices avec lesquel·les tu as l’habitude de travailler sur toutes ces questions au niveau local et régional ?
Je travaille donc avec la Forêt d’art Contemporain, dont la coordinatrice principale Lydie Palaric Vignau a organisé récemment un colloque : « Aménager/Imaginer, Sciences de l’environnement et création artistique en proie à l’urgence climatique » où était invité notamment les passionnant·es Nathalie Madrid, écologue et géographe au Conservatoire du Littoral et William Caudron, ingénierie agro/environnement pour le PNR Landes de Gascogne.
Je mène beaucoup de projets et notamment cette résidence de recherche avec L’Agence Sens Commun, qui, en plus de tout un volet très social et « public empêché » se forme peu à peu à toutes ces questions environnementales. Au travers des projets que nous partageons mais aussi en collaboration avec BAM projects qui mène actuellement le projet Prisme sur la métropole bordelaise qui invite 9 artistes en résidence de territoire sur des secteurs naturels et urbains très disparates.
Je me suis liée d’amitié avec Christophe Doucet, artiste et sa fille Maylis Doucet qui sont des acteur·ices culturel·les du paysages des Landes qu’il et elle exportent à l’international. Ainsi qu’Isabelle Loubère, spécialiste des contes et légendes gascons. Je travaille aussi régulièrement avec Zébra 3 et l’artiste Camille Benbournane avec qui nous partageons ces réflexions. Et enfin la mairie de Bordeaux pour ce projet de possible parc de mousse urbain.
- Lou-Andréa Lassalle Villaroya interviendra à La Teste-de-Buch le samedi 1er juillet lors d’une table-ronde organisé par Slikke, « À l’écoute du Vivant : une écologie sonore du Bassin d’Arcachon », dans le cadre du festival Les Scènes Musicales.