Les immersions sonores de Karina Ketz

Naviguant entre la musique et le théâtre, l’artiste Karina Ketz s’est dirigée au fil de son parcours vers la réalisation sonore. À l’occasion de sa participation au festival néo-aquitain Trente Trente avec l’installation Du luxe et de l’impuissance, zoom sur son travail autour de l’« AudioThéâtre ».

En 1990, Yvan Blanloeil fonde la compagnie de théâtre Intérieur : Nuit que Karina Ketz rejoint en 2000. Si les premières années d’activités de la structure permettent la mise en scène de pièces de théâtre vivant et de spectacles musicaux, à partir de 2008, les deux artistes se consacrent principalement à la création et à la diffusion de spectacles audio. Après son début de carrière en tant que comédienne et metteuse en scène, Karina Ketz s’oriente alors tout naturellement vers la réalisation sonore.

L’audiospectacle : le son comme outil narratif

Étant une grande consommatrice de musique, Karina Ketz nourrit quotidiennement sa créativité de références, nombreuses et variées. Mais l’origine de ses créations se trouve directement dans l’écrit. La lecture d’un livre vient éveiller cet imaginaire riche et lui permet de créer un paysage sonore autour du texte. Une image lui apparaît et elle l’habille d’un revêtement sonore comme elle l’explique : « Si je savais peindre, je serais peintre. Je vois des images et ensuite j’imagine l’ambiance. »

Nous avons établi des ponts entre nos pratiques de la fiction radiophonique, du théâtre et de la musique, pour aboutir à la forme de représentation que nous appelons audiospectacle.

Karina Ketz

L’objectif de son travail n’est alors pas d’apporter un environnement sonore réaliste, mais d’accompagner la narration vers l’imaginaire des auditeur·ices. Celui-ci est alors éveillé par l’absence d’images ou de personnages à observer : « En nous référant à ces processus, nous avons établi des ponts entre nos pratiques de la fiction radiophonique, du théâtre et de la musique, pour aboutir à la forme de représentation que nous appelons audiospectacle. » Une création finale qui demande un travail d’adaptation de cet environnement sonore aux conditions d’écoute pour rendre l’expérience aussi immersive que possible.

Un écrin pour le public

Pour favoriser l’immersion de l’auditoire, la compagnie Intérieur : Nuit a repensé toute la structure et l’aménagement de la salle de théâtre. Les deux artistes ont conçu un dispositif technique qu’ils transportent et installent eux-mêmes dans les salles les accueillant. En deux-trois jours d’installation, l’AudioThéâtre est prêt à accueillir 40 spectateur·ices sur des chaises longues pour permettre une relaxation optimale. Cette position permet d’être focalisée sur l’écoute. Plongé dans l’obscurité, l’auditoire tombe dans un état de rêverie. Ponctuellement, des images furtives sont projetées afin de recréer l’obscurité totale aux yeux habitués du public, ou encore d’illustrer un son dont le sens peut être obscur sans matérialisation.

Karina Ketz. Crédit : Eric Bouloumie

Le son en 16.1, projeté par des enceintes disposées dans toute la salle, dont deux petites sous chaque chaise, offre une immersion totale. Le montage sonore est pensé pour cette structure, le son se déplace autour des spectateur·ices. Cette utilisation de l’espace permet une mobilisation physique de l’auditeur·ice, placé·e au centre de cet environnement. Le bruit de gouttes de pluie va venir depuis le plafond, chacun·e s’attendant à les sentir tomber sur sa peau, enveloppé·e par la dramaturgie de la pièce.

Écoute collective et communion

Toute cette mise en scène acoustique dans une salle réduite permet un état d’écoute collective qui va lui-même influencer l’expérience. Le spectacle peut être nuancé selon le public et ses réactions. L’écoute sensible des spectateur·ices met parfois en lumière un son ou une sensation qui reste plus effacé durant d’autres représentations. Cette sorte de communion, de contagion dans la réception du spectacle participe à l’étrangeté de l’expérience et à l’implication de l’auditoire.

La structure de l’AudioThéâtre a vu naître en 2006 son petit frère, l’Igloo. Plus petit et donc plus mobile, il permet d’accueillir entre 4 et 6 personnes pour de courts extraits d’œuvres de son répertoire. Des médiathèques l’ont notamment accueilli pour faire découvrir les créations de Karina Ketz. Le jeune public qui s’est laissé tenter par l’aventure en est très souvent ressorti avec l’envie de lire les ouvrages découverts à cette occasion.

Une expérience hors du temps

Cette année, pour la vingtième édition du festival Trente Trente, Karina Ketz repense une nouvelle fois le format de son travail avec Du luxe et de l’impuissance. L’installation prend au Garage Moderne la forme d’une voiture des années 1990 accueillant quatre personnes devant un écran géant. Le cadre même éveille alors un certain imaginaire baigné de nostalgie et de références cinématographiques.

Le travail de Karina Ketz offre déjà un regard différent sur la littérature et le théâtre en liant toutes les possibilités technologiques modernes à l’héritage culturel de ces domaines artistiques. Plonger aujourd’hui les spectateur·ices dans un drive-in pour écouter des textes des années 1990 marque une volonté de créer un moment intemporel. La littérature nécessite d’accepter de prendre du temps pour s’y consacrer. L’expérience proposée dans ce cadre permet de se laisser aller le temps de la représentation et fait découvrir ou redécouvrir le plaisir et la stimulation que peuvent procurer les mots. Durant trente minutes, les textes de Jean-Luc Terrade et l’atmosphère créée par Karina Ketz emportent chacun·e loin de son quotidien. L’occasion de se laisser vaguer sur le flot des mots, des sons et des images qui vont emplir cet écrin.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *