Aujourd’hui marque le troisième anniversaire du début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie. Pour l’occasion, nous avons posé quelques questions à Katia Bokatova Vincent, membre de l’association Ukraine Amitié. La fatigue médiatique liée à l’enlisement de la guerre, les actions qu’a mené l’association à Bordeaux depuis le 24 février 2022, le rôle de la culture dans une telle période : rencontre.
Crédits photos : Oleh Vovk
Le Type : Aujourd’hui marque le troisième « anniversaire » du début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie. Quel est ton état d’esprit et celui des ukrainiennes et des ukrainiens que tu côtoies à Bordeaux dans cette période ?
Katia Bokatova Vincent (Ukraine Amitié) : Il y a une forme de stress lié au contexte politique actuel, notamment avec l’élection de Donald Trump aux États-Unis. Ces derniers jours, il a repris la propagande russe dans ses discours. C’est assez surprenant et cela provoque beaucoup d’émotions.
J’ai lu beaucoup d’articles pour essayer de comprendre la période actuelle. Je suis notamment tombée sur une publication de Dmytro Kuleba, ancien vice-Premier ministre chargé de l’intégration européenne et euro-atlantique de l’Ukraine. Il y écrit que la guerre se poursuit, qu’il faut continuer de résister. Ne surtout pas lâcher. Nous n’avons pas perdu, l’Ukraine n’est pas vaincue. Rien n’est joué, d’un côté comme de l’autre. Même si la Russie essaye de nous épuiser, il faut quand même continuer de résister, d’une manière ou d’une autre.

Au bout de 3 ans, ressens-tu toujours un soutien et un engagement des Bordelaises et des Bordelais par rapport à cette situation ? Ou au contraire, est-ce qu’une fatigue médiatique s’est-elle installée ?
On reçoit toujours quelques mails de soutien, notamment de nouvelles personnes, qui indiquent vouloir se joindre à nous, notamment lors des manifestations, y compris celle de samedi 22 février (l’entretien a été réalisé le vendredi 21 février, ndlr). Samedi, il y aura le Maire de Bordeaux et ses adjoints à nos côtés, notamment, Céline Papin (Adjointe au maire chargée des coopérations territoriales, européennes et internationales, ndlr) ainsi que des représentant·s du Département. On a toujours reçu un soutien politique de la ville de Bordeaux et de la ville de Mérignac.
Malgré tout, plus généralement, il y a quand même une fatigue générale. Par exemple, pour trouver des lieux pour organiser des événements, c’est plus difficile qu’au début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine. Les programmateur·ices de ces lieux sont moins enclin·es à bousculer leur programmation pour trouver un créneau pour une exposition ou un événement.
Quels ont été les temps forts, notamment culturels, de l’association Ukraine Amitié à Bordeaux, sur ces trois dernières années ?
War is not Peace à l’Espace 29 a été un projet important au début de l’invasion. Il y a eu beaucoup d’événements dans ce cadre ; des projections de films, une exposition, des débats. En 2024 on a réitéré le projet avec deux femmes artistes qui sont venues faire une installation et une performance artistique. Denys Zhdanov aussi y a fait une installation vidéo.
Nous avons aussi été intégré·es à la Fête de l’Europe par la Maison de l’Europe. C’est assez nouveau. L’Ukraine ne faisant toujours pas partie de l’Union européenne, cela n’allait pas de soi. C’est un symbole important et une belle fenêtre de visibilité pour l’association et pour l’Ukraine. Il y a aussi une réflexion pour intégrer la Géorgie sur cette fête de l’Europe ; c’est aussi important car le peuple de ce pays souhaite majoritairement adhérer à l’Union européenne. Il se bat aujourd’hui aussi pour la démocratie, contre Poutine.
L’Ukraine se bat pour nos droits, pour nos territoires, pour notre futur et celui de l’Europe.
Katia Bokatova Vincent (Ukraine Amitié)
Les Ukrainien·nes considèrent qu’aujourd’hui leur pays se bat pour défendre les idéaux de l’Europe, pour la liberté du continent et ses valeurs démocratiques. Pourquoi ?
Lors d’une manifestation, nous avions réalisé des panneaux avec des étudiant·es de l’école d’architecture. Ils avaient une forme de bouclier. C’était une façon figurative d’illustrer cette idée. L’Ukraine a un choix à faire entre d’un côté le passé : celui de l’Union soviétique. Et de l’autre, le futur : l’Europe. C’est un sentiment partagé largement au sein de la population, notamment chez les plus jeunes. Cette métaphore du bouclier est importante : on se bat pour nos droits, pour nos territoires, pour notre futur et celui de l’Europe.

Il se dit aussi beaucoup qu’il s’agit d’une guerre culturelle…
La Russie s’attaque à la culture pour effacer l’identité des nations. Ça s’est vérifié en Tchétchénie, aujourd’hui avec la Géorgie, avec l’Ukraine. Il y a beaucoup de peuples au sein de la Russie qui ont été lissés. C’est une politique soviétique ; Staline le faisait, tout comme ses successeurs.
C’est un sentiment que j’ai aussi connu en tant qu’ukrainienne ayant fait mes études en Ukraine. Même après la chute de l’Union soviétique, il y a eu de grosses ingérences russes en Ukraine. Les meilleures écoles étaient les écoles russophones – sauf dans la capitale. Les écoles ukrainiennes étaient perçues négativement.
La culture est donc une arme très puissante dans la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. Si on efface ou qu’on lisse notre culture, on détruit notre identité. Il est ensuite facile de manipuler le peuple. De lui faire croire que nous sommes les mêmes, russes et ukrainien·nes, de renier notre droit à disposer de nos territoires.

Quel rôle peut jouer la culture ici en France et à Bordeaux pour soutenir l’Ukraine ?
Elle permet d’attirer l’attention du public français. C’est notre manière modeste de faire parler de l’Ukraine. Ça peut aussi passer par des manifestations, où les élu·es sont convié·es. C’est aussi via des plaques commémoratives, il y en a une sur le parvis des Droits-de-l’Homme à Bordeaux. Elle est d’ailleurs régulièrement vandalisée, il a fallu la reproduire plusieurs fois. Il y a donc quelqu’un qu’une telle plaque embête ; ça nous fait plaisir que ce soit le cas ! Par ce genre d’actions très modestes, on essaye de montrer qu’on existe, que l’Ukraine existe. C’est une façon de résister.
C’est important que les associations et les municipalités mettent l’Ukraine dans le programme des expositions et des événements culturels.
Katia Bokatova Vincent (Ukraine Amitié)
Comment peuvent faire les structures culturelles bordelaises ou tout·e citoyen·ne pour œuvrer à ce soutien ?
Il est toujours possible de faire des dons. Nous avons des donateur·ices régulier·es. Il est possible aussi de se renseigner sur les convois qui partent en Ukraine. Ça nous arrive d’avoir besoin de mains libres pour les chargements de ces camions humanitaires.
Le soutien passe aussi par la participation aux événements en lien avec l’Ukraine, visiter des expositions pour en savoir plus sur le pays, pour essayer de mieux comprendre pourquoi le soutien est important. Et c’est une façon de découvrir la culture ukrainienne. C’est important que les associations et les municipalités mettent l’Ukraine dans le programme des expositions et des événements culturels. C’est une manière de faire en sorte que les Européen·nes se sentent plus concerné·es. D’éviter de faire des parallèles entre la Russie et l’Ukraine.
Quels sont les rendez-vous culturels en lien avec l’Ukraine à Bordeaux dans les prochaines semaines ?
Le vendredi 28 février, il y a un musicien rock qui joue à 19h00 au marché des Douves. Il va aussi y avoir le 13 avril un repas caritatif de Pâques organisé au château Château Dauzac, entre plusieurs associations ukrainiennes : Laurent Fortin (consul honoraire d’Aquitaine et directeur général du château Dauzac), association Pont de l’Espoir, association Maison Ukrainienne et Ukraine Amitié. Il y aura des ateliers artistiques pour apprendre le petrykivka, un art de la région de Dnipro. Il y aussi le groupe ukrainien Ragapop qui vient jouer aux Vivres de l’art le 3 avril.