Depuis Bordeaux, quel soutien à l’Ukraine ? Rencontre avec Ukraine Amitié

Bientôt un an que l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie a démarré. Depuis Bordeaux, l’aide s’active. Associations, citoyen·nes et artistes se mobilisent pour apporter leur soutien au pays européen attaqué. Au niveau local, Ukraine Amitié coordonne plusieurs actions dans ce sens. Rencontre avec Katia Bokatova Vincent de l’équipe de l’association pour mieux comprendre les formes de soutien à l’Ukraine qui se sont exprimées à Bordeaux depuis février 2022.

Le Type : Cela fera bientôt que l’invasion russe de l’Ukraine a démarré. Dans quel état d’esprit se situent les équipes de l’association Ukraine Amitié ?

Katia Bokatova Vincent (Ukraine Amitié) : Toute et tous bénévoles, nous consacrons du temps libre à l’association. On essaie de se relayer pour ne pas perdre de dynamique, même si parfois on se sent essoufflé·es, ou pris par nos emplois et nos familles. Néanmoins, nous sommes conscient·es qu’il est important de continuer d’aider et de soutenir la population ukrainienne et surtout ses défenseurs ; de continuer à parler de la guerre en Ukraine afin que le sujet ne devienne pas banal aux yeux du public français ; de promouvoir la culture et l’identité ukrainienne qui existe et mérite d’exister indépendamment de la Russie. Nous maintenons ce vecteur coûte que coûte et à notre échelle. Nous sommes convaincus que l’Ukraine vaincra l’envahisseur russe, ou comme le dit Volodymyr Zelensky, que « La lumière vaincra l’obscurité. »

Vous avez lancé en décembre dernier un projet important : une cagnotte dédiée à lever des fonds pour l’achat de sous-vêtements thermiques pour les défenseurs de la ville ukrainienne de Kherson. Pouvez-vous nous expliquer cette démarche ?

Nous avons appris qu’une brigade d’infanterie motorisée basée à Mykolaïv (dans le Sud de l’Ukraine) avait besoin de sous-vêtements thermiques en nombre de 360 exemplaires complets. Afin d’évaluer les ressources nécessaires à l’achat des articles, nous avons lancé des devis auprès des marques de sport. Au moment du lancement de la campagne participative, la brigade était déjà à Kherson. Nous étions limité·es dans le temps car le besoin est immédiat. Nous sommes reconnaissant·es à toutes et tous les donateurs et à l’association La Maison Ukrainienne pour leur contribution. À la fin de la campagne de financement participatif, la brigade s’était délocalisée dans l’Est du pays. La commande a été reçue et elle est déjà en route pour l’Ukraine.

Chargement d’un camion d’aide humanitaire

Comment percevez-vous le soutien des Bordelais·es vis-à-vis de l’Ukraine, depuis le début de l’invasion russe du pays ?

Nous ressentons de l’empathie de la part des citoyens locaux : dons matériels et financiers, participations aux manifestations et actions culturelles. Malgré la diminution du nombre de participant·es aux manifestations et actions culturelles, nous continuons à recevoir des messages avec les propositions de dons ou des contributions à la cagnotte Helloasso. Cela nous réchauffe le cœur et nous encourage davantage.

Dans ce mouvement de solidarité, il y a le secteur culturel et artistique local qui a été actif (à l’Espace29 notamment…) ; quel rôle les artistes et les acteur·ices culturelles peuvent ou doivent jouer dans ce contexte ?

Le début de l’invasion totale de l’Ukraine par la Russie a été un choc pour tout le monde. Beaucoup d’entre nous avons ressenti le besoin de s’exprimer, de manifester. Les artistes n’étaient pas une exception, beaucoup d’entre elles·eux ne sont pas resté·es silencieux·ses. Pour certain·es, le choc était tellement violent qu’ils n’étaient pas capables de produire à ce moment-là. À mon sens, il n’y a pas de règles pour la création artistique en temps de guerre, chacun fait en fonction de ses propres ressources et émotions, ce genre de choses est impossible à anticiper. À l’occasion de la soirée de la culture ukrainienne au Palais de Tokyo à Paris en novembre 2022, nous avions eu l’occasion d’interroger plusieurs artistes ukrainien·nes sur l’art comme une arme symbolique et sur son rôle dans le combat pour la liberté et l’identité. Les réponses étaient très intéressantes.

L’histoire et la culture de l’Ukraine continuent de s’écrire aujourd’hui.

Pour Anton Karyuk, artiste basé à Vilnius, l’art et la culture transmettent un sens, une éthique. Néanmoins, il préfère à ne pas comparer la culture à une arme, car une arme peut blesser ou tuer. Selon lui, la culture est un outil qui donne de l’espoir pour baisser les armes.

Pour Yuliia Kyrychenko, artiste actuellement basée à Paris, un pays sans culture est comme une personne sans visage. L’art représente un pays et son identité. La culture est un maillon le plus fort d’une nation, mais aussi le plus vulnérable. La Russie a toujours cherché à bloquer nos moyens d’expression ou à usurper les artistes d’Ukraine et leur travail (exemple de Kazymyr Malevitch). Selon Yuliia, la culture est une arme symbolique, un discours vivant sur qui êtes-vous, à quoi ressemblez-vous et d’où venez-vous.

L’IBOAT aux couleurs de l’Ukraine

Enfin, pour Alona Tokovenko, artiste actuellement basée à Berlin, la culture parle d’identité et du niveau de liberté d’un peuple. Dans le cas de l’Ukraine, sa culture exprime son besoin de liberté, mais elle n’est pas assez visible, notamment à cause de la stratégie de la Russie de colonisation et d’invasion. Le rôle des artistes est de faire vivre leur culture non seulement par le passé mais surtout par le présent. L’histoire et la culture de l’Ukraine continuent de s’écrire aujourd’hui.

Pouvez-vous nous parler de l’exposition Tout art contre la guerre qu’on a pu voir à Bordeaux ?

Tout art contre la guerre est une publication et un tirage d’affiches créé en avril 2022 à l’initiative de Pierre Ponant, historien et critique du design graphique, ancien enseignant à l’école des Beaux-Arts de Bordeaux. La publication, tirée en 10 000 exemplaires et distribuée gratuitement dans des lieux publics à Paris et à Bordeaux, est une réaction d’une cinquantaine d’artistes, de graphistes, de photographes, d’architectes, d’auteur·ices, de critiques à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. La publication et les affiches contiennent un QR code qui mène vers la cagnotte de l’association Ukraine Amitié. Cela nous permet de soutenir des projets humanitaires et l’armée ukrainienne.

Les affiches étaient exposées sur la Place Gambetta et cour Mably au printemps 2022. Une sélection d’affiches était visible au Muséum de Bordeaux jusqu’au 8 janvier 2023.

Votre association a elle-même été très active depuis le 24 février 2022. Pouvez-vous nous indiquer les grands temps marquants de ce mouvement de solidarité ?

Notre association a été créée en 2015 dans le contexte de guerre menée par la Russie dans le Donbas et l’annexion de la Crimée en 2014.  Le but principal d’Ukraine Amitié est de promouvoir la culture ukrainienne à Bordeaux et sa région, montrer son identité et éviter tout amalgame ou parallèle avec la culture russe. La pandémie du Covid-19 a nettement diminué nos actions. L’invasion totale lancée par les russes le 24 février nous a fait tous réagir. Plusieurs membres du bureau ont arrêté leur travail pour des raisons émotionnelles ainsi que pour pouvoir palier aux actions de l’association.

Les temps marquants sont multiples : des manifestations ; levée des drapeaux ukrainiens sur les institutions publiques dans les villes de la Métropole Bordelaise ; lancement de collecte humanitaire ; préparation et départ de premiers camions ; lancement de projets et événements artistiques ; lancement de cagnotte « Aider l’Ukraine, sauver des vies » ; soutien financier des projets humanitaires en Ukraine et aide aux défenseurs ; réunions avec les acteurs et pouvoirs locaux (mairie, région, préfecture, médecins, activistes) avec le but de structurer les sujets et l’information notamment pour l’arrivée de premiers déplacés depuis l’Ukraine.

Comment les Bordelais·es peuvent continuer d’aider l’Ukraine, les Ukrainiens et les Ukrainiennes ?

Je trouve important de souligner qu’en aidant l’Ukraine on préserve la paix en Europe. Aujourd’hui, l’Ukraine et un bouclier de l’Europe. La paix et la liberté sont fragiles et ne sont pas acquises pour toujours, surtout avec un voisin tel que la Russie d’aujourd’hui.

Préparation d’une exposition cour Mably à Bordeaux — Yuliia Kyrychenko et Katia Vincent

Il est important de contribuer. Notre cagnotte sur Helloasso est toujours active. Les dons financiers ont permis d’apporter un soutien énorme aux Ukrainiens. Sur la page Facebook et Instagram d’Ukraine Amitié nous publions régulièrement les informations relatives à nos actions : achat du matériel médical, une ambulance et trois voitures pour transporter ou évacuer des victimes, des filtres pour la purification d’eau, les produits de première nécessité, aide aux maisons de l’enfance etc. Ces besoins se multiplient et sont toujours d’actualité.

Manifester, parler. En effet, nous craignons que le sujet devienne une banalité, une routine. Découvrir la culture ukrainienne, son identité, comprendre l’envie des Ukrainien·nes d’être libres et indépendants. Pour être à jour des événements culturels ukrainiens à Bordeaux Métropole, suivez-nous sur les réseaux sociaux.

Quelles sont les prochaines actualités d’Ukraine Amitié ?

Pour ne rien rater, suivez-nous sur Facebook. Voici des actualité humanitaire et projets culturels à venir :

  • Préparation d’un camion d’aide humanitaire pour envoi à Kyiv en janvier.
  • Relai de communication autour du concert de DakhaBrakha, groupe de musique chaos-ethnique ukrainien, bien connu du public français. Le groupe a donné un concert caritatif au mois de mai à l’invitation de notre association. Ils reviennent le 13 janvier au Rocher de Palmer avec l’objectif de collecter des fonds pour les enfants, les médecins et les forces armées d’Ukraine,
  • Relai de communication autour de la pièce de théâtre « Les Géants de la montagne / MRIA » avec la participation de Dakh Daugters, groupe théâtral et musical,
  • Rencontre avec le Musée d’Aquitaine en vue d’organisation de l’exposition sur Holodomor, la famine artificielle organisée par Staline dans les années 30 en Ukraine.
  • Préparation d’un événement consacré à l’Europe médiane, organisé en partenariat avec la Maison de l’Europe à Bordeaux, au mois de mars. 
  • Échanges autour d’un événement Stand With Ukraine organisé par Darwin.
  • Relai de communication autour de la projection de films ukrainiens organisée le 4 février à l’Utopia.
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