Les Nuits Magiques, festival unique de cinéma d’animation à Bègles

À Bègles, le cinéma Le Festival propose depuis 2008 une programmation de films d’animations d’une grande singularité. Parmi ses activités, le festival de films du même genre Les Nuits Magiques vient de voir sa 31ème édition se clôturer en décembre dernier. Rencontre avec le directeur d’un lieu et d’un festival unique en France qui s’apprête à passer le relai après plus d’une dizaine d’années de gestion.

En juin prochain, le cinéma Le Festival arrivera à la fin de son quatrième bail. Depuis 2008, ce cinéma de Bègles est le premier et le seul cinéma français – et même mondial – à proposer uniquement des films d’animations et d’effets spéciaux. Fabrice de la Rosa, son directeur, laissera bientôt sa place à un·e autre exploitant·e. Parmi les projets initiés par ce dernier, certains devraient malgré tout perdurer, à l’image du festival d’animation Les Nuits Magiques. La 31ème édition de ce festival s’est clôturée il y a quelques semaines. L’occasion de revenir sur la singularité de cette manifestation artistique et du cinéma qui l’accueille, aux côtés de son directeur.

Historique d’un lieu unique

Quand on passe en 2023 devant sa façade colorée et pop, il est difficile de s’imaginer que l’endroit a traversé autant d’histoire. Pourtant, bien qu’il ait subi de nombreux travaux et vécu divers changements de propriétaire, Le Festival a bien plus d’un siècle. Né en 1912, il est racheté en 1990 par la ville de Bègles après plusieurs péripéties. Il sera confié cinq ans plus tard à la société Artec. Pour cause ; la ville ne peut plus assurer économiquement et humainement sa gestion. Après délibération, ce seront désormais « des délégations de gestion de service public » qui géreront l’exploitation de la salle, explique Fabrice de la Rosa.

C’est ainsi que, le 29 mai 2008, le conseil municipal de Bègles confie la gestion du cinéma à Flip Book. Co-fondée et dirigée par Fabrice de la Rosa, cette association promeut depuis 1986 « le cinéma d’animation à des fins d’éducation populaire par la formation, la diffusion et la réalisation ». La structure entend décloisonner les pratiques liées au cinéma, comme le raconte son initiateur : « J’essaye de proposer des films à un public très varié, quelque soit l’âge, la catégories sociale ou le milieu culturel. » Le nouveau cinéma sera inauguré à la rentrée 2008, habillé d’une nouvelle fresque de Black Bunny invitant à l’évasion. 

Expérimenter un « cinéma différent »

Pour le directeur du cinéma, tout commence le soir du 24 décembre 1964. Alors qu’il regarde le dessin animé Merlin L’Enchanteur, Fabrice de la Rosa a un déclic. Du haut de ses 5 ans, il envisage déjà ce qu’il voudrait faire de sa vie. Quelque soit le chemin, l’animation et tout ce qui gravite autour devient pour lui une flamme à entretenir. Avant de devenir directeur du cinéma Le Festival, il revêtira plusieurs costumes : animateur en dessin animé dans des séries télévisées, réalisateur de ses propres films, distributeur, enseignant, écrivain de livre comme Le cinéma d’animation facile ! ou encore créateur de festival avec Les Nuits Magiques.

Lorsqu’il est placé aux commandes de la nouvelle direction du cinéma, Fabrice de la Rosa entend proposer une multitude de formats, au-delà des projections. « Sur les trois premières années, j’ai essayé beaucoup de choses pour être économiquement viable. Ça n’est pas un cinéma municipal ; certes les murs et le matériel appartiennent à la mairie, mais l’exploitation est privée. Il fallait que je trouve un équilibre entre l’aspect économique et ce que j’avais envie de montrer dans ce contexte particulier de « cinéma différent ». Après ces trois premières années où l’on a essayé beaucoup de choses, j’ai pu ensuite trouver la ligne directrice. » raconte-t-il lorsqu’il revient sur les début du projet.

Il faut se distinguer et proposer des choses que les autres lieux n’ont pas !

Fabrice de la Rosa

S’ajoutent alors aux films commerciaux, une multitude de projets tout au long de l’année. Son offre pointue lui vaudra d’ailleurs l’obtention du label « Art et essai – jeune public ». Beaucoup d’expérimentations de formats verront dès lors le jour au Festival, comme l’explique Fabrice de la Rosa : « Le but dans ce cinéma, ça n’était pas seulement de passer des films. On avait beaucoup de projets et on a fait beaucoup en 15 ans : on a fait venir des compagnies de danses contemporaines, des improvisations avec des comédiens, on a proposé des quizz, des séances déguisées, des projections plus indépendantes, des animations, des expositions, des soirées thématiques. Nous restons un petit cinéma qui s’inscrit dans la quatrième zone la plus chargée en lieu de projection après d’autres grandes villes. Il faut se distinguer et proposer des choses que les autres lieux n’ont pas ! ». 

Les Nuits Magiques, rendez-vous unique en France

Le festival Les Nuits Magiques reste un des événements forts qui marque chaque année ce lieu singulier. S’étalant sur un peu plus d’une semaine, il est un des rares festivals à proposer des films d’animation en France. Ce genre de cinéma subit encore des préjugés en ce qu’il serait réservé aux plus jeunes. Pourtant, il existe aujourd’hui des films d’animation dont le fond et la forme ne s’adressent pas aux enfants. « La majorité de la programmation des Nuits Magiques est pour adulte » rappelle Fabrice de la Rosa. « Il faudrait que les gens soient un peu curieux ! C’est une réunion de films qu’ils ne verront nul par ailleurs et une expérience particulière. Grâce au format du court-métrage, de 10 minutes en 10 minutes, on passe d’un univers à un autre avec des histoires très différentes. De l’humour, aux sujets de société, à l’émotion, au sérieux, au fantastique, en passant par des esthétiques très différentes, on obtient un mélange assez fou. »

Une expérience riche pour le public, invité à découvrir une grande diversité d’univers, et une autre approche du cinéma comme l’indique le directeur de l’événement : « On y observe des techniques différentes, des marionnettes à l’imagerie synthèse. Il ne faut pas avoir peur. Les personnes qui viennent aux Nuits Magiques ne sont pas déçues. Et les lauréats et prix sont décidés par le public, nous n’avons pas de jury professionnel ! Ce qui m’intéresse, c’est de faire découvrir aux gens quelque chose de singulier et qu’il puisse donner leur avis dessus. »

Une 31ème édition riche en propositions

Lors de la 31ème édition, qui s’est déroulée du 30 novembre au 11 décembre dernier, deux compétitions françaises, deux compétitions internationales et une compétition jeune public étaient proposées. Également à l’affiche, des focus sur les réalisateurs Fréderic Back, « à l’aspect très écologique » et Satoshi Kon, un des porteurs du rayonnement de l’animation japonaise. Une programmation thématique, des masterclass, des ateliers, des quizz et des improvisations étaient aussi au programme. Lors des compétitions non destinées aux enfants, pendant près d’une heure, des films hétéroclites et fragmentés sont projetés. L’ascenseur émotionnel est aussi visuel, sensoriel et acoustique. Rien ne se ressemble et tout se suit, à la sortie de la salle, les spectateur·ices semblent avoir vécu 1000 autres vies. Le public en ressort reconnaissant et bouleversé. Celui-ci est par ailleurs sollicité pour voter via un bulletin à glisser dans une urne à la sortie de la séance.

Pour mener à bien cette aventure, l’équipe du projet autour de Fabrice de la Rosa reste assez limitée pour toute l’organisation : « Aussi bien au niveau du cinéma qu’au niveau des Nuits Magiques, c’est moi et mes deux projectionnistes qui faisons tout à trois. Certes, nous n’avons pas le même budget que le FIFIB ou le Festival du Cinéma d’Histoire, mais cela fait 31 ans que Les Nuits Magiques existent. Et je trouve ça magnifique ! »

Opérer dans un contexte complexe pour l’industrie cinématographique

On peut rappeler ici le contexte particulièrement complexe pour le milieu du cinéma actuel. Et ce plus spécifiquement lorsqu’il est spécialisé, au sortir d’une crise sanitaire qui a fragilisé un équilibre précaire. Le cinéma Le Festival se distingue et s’efforce de cultiver sa différence et son éclectisme. Il incarne un lieu culturel et cinématographique aux propositions fortes. Malgré les difficultés dans lesquelles il évolue, Fabrice de la Rosa a toujours pu rémunérer toutes ses équipes et collaborateur·ices, et a réussi à faire grimper les audiences de son cinéma années après années. Cependant, « comme tous les cinéma, nous n’avons pas retrouvé la fréquentation que l’on faisait avant. Nous avions 1000 personnes de plus chaque année et ça n’est plus le cas. » raconte-t-il.

En cause selon lui, la multiplication des plateformes : « Entre les films et aussi les séries que les gens aiment beaucoup maintenant, il est dur de rivaliser. Désormais des plateformes comme Disney ne sortent même plus leur film au cinéma mais directement en ligne ». D’un autre côté, le contexte économique rend la fréquentation des salles parfois secondaire pour une grande partie du public « Nous sommes dans une période d’inflation, et bien que l’on pratique des prix abordables, les gens économisent. J’espère que cela va s’améliorer : les cinémas perdent 30% de leur fréquentation en ce moment. C’est énorme. »

Bien que le système d’aides et de subventions soit assez important et qu’il existe une multitude de réalisateur·ices et structures, une résistance semble opérer quant au soutien et à la pérennisation du milieu de l’animation. Sur ce champ-là, Bordeaux ne foisonne pas encore d’autant d’opportunités que Paris ou Angoulême. « Nous sommes actuellement sur des bails de 4 ans. J’en ai fait 4 et je vais m’arrêter en juin prochain. Le cinéma gardera dans tous les cas une forte spécialisation en animation. Je trouve cela dommage de ne peut-être pas rester 100% là-dedans mais ça ne m’appartient plus. Les Nuits Magiques, elles, resteront. Il y a grand intérêt qu’elles perdurent encore ! ». Pour signer la fin de sa direction du Festival, Fabrice de la Rosa proposera une « presque » dernière séance de projection en milieu d’année prochaine. Elle sera gratuite et ouverte à toutes et tous, et offrira un beau panorama de ce qu’il a découvert et apprécié tout au long de ces 15 années au Festival.

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