Mercredi 28 octobre 2020, 18h. On avait pris rendez-vous dans un bar de La Victoire à Bordeaux avec Exoslayer pour notre entretien, mais il se fera finalement par vidéo sur Instagram. Deux heures après, Emmanuel Macron annonçait qu’un nouveau confinement aurait lieu dès vendredi. Pas un problème pour le jeune rappeur, âgé d’à peine 20 ans. Fruit de cette génération hyper connectée et qui fait tout par elle-même, il continuera à faire de la musique sans aucun problème : un micro, une carte-son, des instrus concoctées par son beatmaker Raiden, et c’est parti. « Je suis plutôt solitaire dans la musique » nous lâche-t-il, de toute façon. Ses premiers pas dans le rap, ses influences, son premier EP EXOIZEN… Portrait de l’une des figures les plus prometteuses de la nouvelle scène rap bordelaise.
Pour Exoslayer, les premier contacts avec le rap remontent à la primaire, à l’époque où son père lui fait écouter les gros hits de rap qui passent à la radio (« plutôt les trucs marrants, genre « Ta meuf » de Faf Larage »). Puis après une petite période James Blunt (« pour la partie mélodique. Je faisais de la guitare quand j’étais plus jeune »), Exo découvre les Suicideboys. Dès lors, dans sa tête, tout est clair : sa musique préférée, ce sera le rap. Il se met alors à écouter tous les nouveaux rappeurs américains : Plaiboy Carti, Rich the Kid, Comethazine, madeinTYO, 21 Savage, Vic Mensa… Mais sa plus grosse claque restera Deadstar de Smokepurpp, icône de la scène Soundcloud rap. « Il y a des sonorités super uniques. C’est plutôt calme et mélodique, très 2017 dans l’esthétique ».
Deux ans avant la sortie de Dead Stars, en 2015, Exoslayer a 15 ans. À cette époque, durant son temps libre, il fait principalement du skate, mais il écrit aussi quelques textes, et va les freestyler de temps en temps sur les petites collines de Mériadeck, à côté de La Poste. Puis un jour, il s’intéresse aux rappeurs de Bordeaux. Parmi eux, un certain Mohan l’interpelle : sa musique lui parle. Il le demande en ami sur Facebook, et lui envoie un message afin de savoir s’il peut lui donner son avis sur un de ses textes. Bingo : l’auteur de Rare EP valide son texte, et lui propose même de passer chez lui pour enregistrer le titre. Un morceau qui, depuis, a été supprimé des plateformes. « Il n’existe plus, et heureusement (rires). C’est l’époque où j’écoutais du Freeze Corleone à fond, et ça ressent beaucoup dans le son. Donc tant mieux s’il n’existe plus, même s’il a fait 5000 vues à l’époque. »
33+, z0ne et la rencontre avec Izen
Malgré le petit engouement que génère cette première incursion dans la musique, il laisse un peu le rap de côté, et se remet à fond dans le skate. Mais deux ans plus tard, l’envie de faire du son le démange à nouveau. Il décide alors d’enregistrer un premier EP, 33+, sorti en 2017. Qui lui aussi, sera supprimé par la suite. « Je l’avais enregistré avec mon micro, il était pas mixé, et ça allait dans tous les sens… J’étais pas prêt à sortir un projet. » Malgré ce qu’il peut penser de la qualité de ce premier projet aujourd’hui, il fait quand même son petit effet à Bordeaux à l’époque. Alors, fort de cette petite notoriété qu’il a acquis, il décide de monter un collectif avec des potes à lui, qu’ils appellent OOG LAB. L’aventure n’aura tenu qu’un an environ, entre 2018 et 2019, sans qu’aucun morceau ne soit sorti, mis à part un freestyle, introuvable aujourd’hui. « On n’avait pas tous les mêmes perspectives d’avenir, c’était un peu le bazar… » Pourtant, Exo a cherché à mettre de l’ordre pour permettre au collectif d’être un peu mieux géré. Il a donc contacté le label bordelais z0ne, sous-label du label Jeune à jamais, label sur lequel on trouve Wit. ou encore Zuukou Mayzie. Mais finalement, c’est à lui que va profiter ce contact chez z0ne. « Mon pote Raiden qui fait mes prods avait une amie qui travaillait chez eux. Je l’ai contacté pour qu’elle me donne des conseils. Finalement, elle est revenue vers moi en me disant qu’ils avaient parlé ensembles, et qu’ils étaient chauds pour gérer ma carrière à moi. »
Dans la foulée, Exoslayer (pour « tueur exotique ») lâche un nouveau clip, histoire de relancer un peu son actualité. Et comme à chaque fois, le public répond présent : à l’heure d’écrire ces lignes, « Bitume » cumule 30 000 vues sur Youtube. Pendant ce temps, Exo continue d’enregistrer des sons. Et c’est lors d’une de ces sessions qu’il rencontre le beatmaker Izen, à qui l’on doit la mixtape Agressive Distorsion, sur laquelle on trouve quelques noms plutôt connus dans le rap, tels que Slimka, Jordee ou encore Retro X. « On s’est rencontrés quand j’étais en train d’enregistrer un son chez mon ingé-son. On s’est rendu compte qu’on s’était parlé à l’ancienne. Il m’a dit qu’il allait m’envoyer des prods. Quelques mois plus tard, il m’a proposé de poser sur son projet Agressive Distorsion, le morceau « Por Favor ». Puis on s’est revus et j’ai enregistré « Vesqui ». À ce moment-là, on s’est dit que l’on pouvait faire un projet à deux. »
Ils enregistrent et produisent alors plusieurs morceaux à deux, Exo faisant aussi des prods. Ils en retiennent cinq, et décident d’en faire un EP commun, EXOIZEN, sorti le 23 octobre dernier, sur le label z0ne donc, et épaulé par son manager, Tes_max : « avec z0ne, ils s’occupent de tout ce qui est promo, mise en ligne des morceaux… ce qui me permet de me consacrer uniquement à ma musique, donc c’est cool ». Mais au fait, c’est quoi le son d’Exoslayer ? De la trap ? De la drill ? « Je fais du Exoslayer : je peux poser un flow trap sur une instru drill, un flow drill sur une instru trap… Je n’aime pas qu’on mette les gens dans des cases ». Une chose est sûre, on reste dans ce qui se fait de plus moderne : des morceaux aux prods minimalistes, aux rythmiques drill et trap, courts (« quand le BPM est plus rapide, tu dis autant de choses en moins de temps »), et souvent sombres. Sauf pour le dernier morceau, « 33+ feeling », qui, sans dépareiller avec le reste du projet, est un titre dont la prod est plus douce et ensoleillée. Il est par ailleurs affiché comme un bonus. « C’est un peu une prise de risque, dans le choix de la prod comme dans le thème (« 33+ feeling» est un titre qui parle d’amour, ndlr). Ça peut être étonnant de ma part, mais je n’allais pas dire des trucs sombres sur une prod comme celle-là… Je marche beaucoup à l’instinct maintenant. Je trouve que les premières intuitions sont toujours les bonnes. C’est plus brut, plus spontané. »
Il faut savoir prendre des risques : quand Diddi Trix fait un son West Coast sur « Chien de la casse », il fait un choix fort. Mais au final, ça paye.
En ce qui concerne sa voix, alors que l’on pourrait penser qu’il applique plusieurs effets pour la modifier et donner un effet presque ASMR comme diraient certains, il dit n’en mettre aucun, et que sa voix est naturellement comme ça. Enfin, côté lyrics, il parle principalement de gagner un maximum d’argent, entre deux allusions à la consommation de psychotropes et des punchlines egotrip bien senties. D’ailleurs, lui qui se définit lui-même comme « le prince de la ville » dans l’un de ses morceaux, il en pense quoi de la scène rap bordelaise ? « J’ai écouté pas mal d’Écoute ta ville (mixtapes réalisées par l’émission de radio Le Grand Feat réunissant plusieurs morceaux des rappeurs de la région bordelaise, et avec qui Le Type a réalisé un panorama du rap bordelais, ndlr). Bah je peux dire que je suis pas inquiet… Je trouve que tout se ressemble un peu ». Pareil pour ce qui est de la scène rap nationale ? « Oui, à quelques exceptions près. Il faut savoir prendre des risques : quand Diddi Trix fait un son West Coast sur « Chien de la casse », il fait un choix fort. Mais au final, ça paye. J’ai été déçu par Freeze Corleone sur La Menace Fantôme par exemple. C’est un très bon album, je dis pas le contraire. Mais j’ai l’impression d’entendre le même son depuis l’époque de « Lampadaire » et « ABC ». Alors que sur le dernier album de Koba la D sur lequel il est en feat, il pose sur une instru différente par exemple, et ça change. C’est dommage. »
Et lui alors, après « 33+ feeling », va-t-il à nouveau prendre des risques à l’avenir ? Avec un morceau engagé par exemple, comme le font Kalash Criminel et Damso dans « But en or », titre qu’il nous dit avoir bien aimé ? Pas vraiment : « c’est important ce qu’ils disent dans ce titre. Mais moi je préfère donner mon avis dans une discussion, plutôt que dans un son. Ça peut être pris dans un certain sens, et je préfère expliquer directement mon avis, et le corriger si besoin. » Bon, peut-être dans les sonorités alors ? Ou en faisant des featurings inattendus ? « J’ai posé sur une instru boom-bap il n’y a pas longtemps, j’ai bien aimé… On sait jamais ! Et pour les feats, vous verrez au moment où ça sort. » Réponse donc dans les mois à venir sur les prochains projets qui sortiront, à commencer par un EP commun avec cette fois-ci Raiden, son acolyte beatmaker qui le suit depuis ses débuts dans le rap.