Entretien : La Molécule, 5 ans de fêtes bordelaises

Le 4 mai prochain, La Molécule fêtera ses 5 ans. Pas n’importe où, puisque le collectif de musiques électroniques bordelais investira pour l’occasion ni plus ni moins que l’Arkéa Arena, sur la rive droite. Une première pour une entité de la scène électronique locale. Une façon d’asseoir définitivement la légitimité de ce courant artistique ? On a rencontré le fondateur du projet, Léo, pour évoquer cet anniversaire, faire le point sur l’évolution de La Molécule, sur ses engagements et discuter de la scène bordelaise.

Le Type : Est-ce que tu peux nous raconter la genèse du collectif Molécule ? Comment est-ce que l’équipe s’est rencontrée ?

Léo : Ça fait cinq ans que La Molécule existe. On était un groupe de quatre potes, Mathew, Olivier, Yousri – qui a choisi de vivre un autre projet – et moi-même. On a créé l’association en mars 2019, dans le but de pouvoir faire des évènements dans des lieux atypiques et donner une visibilité à des artistes de la scène locale, tout en leur donnant la possibilité de mixer sur d’autres lieux, des festivals, des clubs, des open air. L’idée est aussi de faire venir d’autres DJs de la scène internationale. Aujourd’hui, on est vingt-quatre dans l’association, avec dix membres dans l’administration.

Quelle est la spécificité de La Molécule au sein de la scène électronique bordelaise ?

Nous avons des DJs qui sont plutôt orientés dans des genres house, techno voire hard techno ; on se veut inclusif. L’idée pour nous est de créer une expérience musicale le temps d’une soirée.

On est ouverts sur les cultures LGBTQIA+, queer, pour que tout le monde puisse venir sur nos événements comme ils ou elles le souhaitent. Nos DJs sont investis sur ces questions, ils viennent avec des drags par exemple sur nos événements. Il y avait à l’époque SLZ chez La Molécule, qui est maintenant parti pour suivre ses projets individuels. On s’inscrit également sur des évènements comme la Pride où on va avoir un char. On travaille aussi avec L’Entrepôt…

Cela se traduit également avec le public que vous attirez ?

On a un public vraiment particulier, qui nous est propre, à la différence d’autres collectifs qui ont plutôt un public hard techno. Nous, c’est un public plutôt house, techno, tech house, hard techno, on a vraiment tout. Et on a tous les âges aussi, ça c’est cool – de 18 à 30 ans on va dire.

Vous fêtez le 4 mai vos cinq ans. Comment le projet a évolué depuis ses débuts ?

On a commencé au Central Hostel, c’était un petit bar et auberge de jeunesse où je travaillais à l’époque en tant que veilleur de nuit. On a fait une soirée de promo pour se lancer. À partir de là, on a fait des évènements à droite, à gauche, et on a commencé à se démarquer. Sur une petite période, on s’est même essayés aux raves, avant de revenir à des soirées plus encadrées.

Il y a eu une certaine continuité dans nos soirées et on a eu un public un peu particulier, qui regroupait autant des gens de la scène underground ainsi que des théâtreux·ses. On a réussi à garder ce public-là et on avance là-dessus. On a fait des soirées au Hangar FL, à L’Entrepôt, au Redgate (club devenu plus tard le Parallel, aujourd’hui fermé). Après, on a commencé à faire des soirées open air pendant l’été. Là, on va avoir des dates en juillet, août et octobre.

Et à Bordeaux, comment la scène a-t-elle évolué ces dernières années ?

Il y a énormément de collectifs pour moins de place en termes de lieux qui accueillent du public. Ou bien ce sont des soirées qui sont dans des lieux qui ne sont pas prévus pour recevoir autant de monde. Donc, on se marche parfois un peu dessus, il n’y a pas beaucoup de lieux comparé à une certaine époque. Ça fait 2-3 ans que c’est très serré.

C’est pour cela qu’on essaye de travailler tous ensemble, avec d’autres collectifs. On a par exemple travaillé avec Vice, L’Orangeade, avec Bordeaux Open Air… ça nous permet de montrer qu’on est toutes et tous ensemble, qu’on ne travaille pas de manière séparée. C’est important pour nous.

Mais on arrive au point où c’est un peu saturé. À Bordeaux, il y a une population assez âgée et une population plus jeune. L’été, beaucoup de jeunes partent, sauf les saisonnier·es. En termes de lieux, c’est le Quai Deschamps, le Square Dom Bedos… Là, il y a L’Orangeade qui investit les Quinconces – ça c’est grave cool, mais il leur a fallu quand même dix ans pour faire un évènement là-bas.

Avant, la mairie donnait beaucoup de lieux qu’on pouvait exploiter. Maintenant, les gens appellent de plus en plus par rapport au tapage nocturne. Donc c’est de plus en plus compliqué de se produire tranquillement. La population âgée, qui est là depuis longtemps, ne veut pas forcément de musique ni changer ses habitudes. Ça fait six ans que je suis ici et je vois vraiment la différence entre ces deux populations.

La musique électronique, la techno, le public qu’on fait venir : il y a encore tous les stéréotypes qui y sont associés.

Léo (La Molécule)

En bref, c’est quand même compliqué de se démarquer. La mairie fait beaucoup de travail en amont pour faire en sorte qu’on puisse s’exprimer sur des lieux. Elle est coopérative jusqu’à un certain niveau. Mais on sent que ça bloque, qu’il y a un retard… Il y a la possibilité d’organiser des évènements, mais on en revient toujours à la même chose : la musique électronique, la techno, le public qu’on fait venir : il y a encore tous les stéréotypes qui y sont associés.

Malgré cela, vous fêtez vos cinq ans dans une grande salle, à l’Arkéa Arena…

On a justement voulu marquer le coup à l’Arena, parce que c’est nouveau. On a vu un projet passer au Zénith à Montpellier, où ils ont fait un projet un peu similaire au notre, sauf qu’ils ont plutôt fait venir des artistes de la scène internationale. Ça a super bien marché.

Notre idée est de montrer que l’Arkéa n’est pas seulement pour les gros concerts.

Léo (La Molécule)

Nous avons plutôt voulu la jouer local, en faisant venir notamment A5KM, Fenrick, plein d’artistes de la scène locale, nos artistes à nous. Notre idée est aussi de montrer que l’Arkéa n’est pas seulement pour les gros concerts. On peut venir s’amuser dans ce genre de salle de concert aussi.

Est-ce que cela ne marquerait pas aussi une certaine légitimation du genre ?

Oui tout à fait. C’est un premier projet qui se fait à l’Aréna. Mais si on arrive à faire venir beaucoup de monde à cette salle-là, la direction de l’Arkéa va peut-être se dire que c’est un modèle qui marche. On pourrait proposer même des festivals…

La salle de l’Arkéa Arena a été réceptive à vos propositions ?

Les équipes ont été assez d’accord au premier coup. Il y a aussi dans l’équipe de l’Arkéa du public qui vient chez nous. Ces personnes savaient déjà qui on était quand on est venu les démarcher. Elles ont donc été réceptives vis-à-vis du projet.

En termes de format, les gradins ne seront pas accessibles, seulement la place centrale où on sera debout. Mais c’est déjà 7000m2, ce qui est énorme… La scène va être incroyable. Il y a l’envie de proposer des choses nouvelles à Bordeaux, au niveau acoustique, au niveau visuel… On aura du laser, du mapping : on cherche vraiment à dépasser nos limites, on a mis un budget conséquent là-dessus. On a envie que ces artistes bordelais·es qui viennent puissent s’amuser et que le public puisse en prendre plein les yeux.

L’idée pour nous aussi est de pouvoir réinvestir l’Arkéa pour d’autres évènements avec d’autres DJs, peut-être faire des évènements avec d’autres collectifs…Et puis cette salle est quand même cool, elle n’est pas vraiment exploitée par le milieu de la musique électronique.

On fait des soirées en open air où il y a 4000 personnes, donc on peut très bien remplir un Aréna…

Léo (La Molécule)

Pourquoi selon toi ?

On peut dire que c’est ultra risqué pour une petite association locale de se lancer dans un tel projet. La salle est pensée pour accueillir des événements avec une amplitude horaire inférieure et un prix d’entrée bien plus élevé. Économiquement parlant ce format n’est pas intéressant pour une entreprise à but non-lucratif. Nous, on le fait pour le plaisir en espérant ne pas perdre d’argent à la fin. Mais si cela réussi, on espère ouvrir la voie à d’autres afin de faire vivre cette salle avec des projets locaux.

En l’occurrence, on compte bien sûr sur notre public habituel, mais là on veut attirer tout le monde. On veut fêter notre anniversaire déjà, mais on veut aussi voir les projets de chacun, voir si on peut travailler ensemble, et faire émerger de nouveaux collectifs – parce qu’il y en a peut-être beaucoup, mais il y en a d’autres qui méritent leur place aussi, pour pas que ce soit toujours les mêmes. Par exemple, on fait venir un petit collectif, Bleu Verdure, qui sera sur la deuxième scène.

En fait, il y aura deux scènes. Il y aura la scène « Atome », c’est-à-dire la scène principale, où il y aura A5KM, Fenrick, Bordeaux Open Air, L’Orangeade, Les Viatiques, Martin Sanka, Mac Milio. Sur la deuxième scène, on aura plutôt HouseWork, Distill, Bruit Rose, Bleu Verdure, ainsi que des artistes qu’on n’a pas l’habitude de jouer, plutôt house, Bassner par exemple.

On a aussi organisé un DJ contest, pour donner la chance à des jeunes DJs émergents de pouvoir se produire. C’était au Délirium Café, le 13 avril, il y aura eu six finalistes. Le gagnant pourra mixer à l’Arena, sur la scène principale.

Je suis content de travailler avec des nouveaux collectifs, comme Narcre, qui sensibilise aussi à la protection des océans. J’aime bien quand il y a aussi un projet derrière. Et puis l’écologie est une question à laquelle tient la mairie…

Tu as évoqué aussi la sensibilité du collectif aux cultures queer. Quel est le lien entre votre musique et cet engagement ?

Dans mon cas, cet engagement est aussi personnel. Mais l’idée est de venir faire la fête sans qu’on soit dévisagé, qu’on puisse venir comme on est… On met aussi des choses en place dans l’organisation. A l’Arena, il y aura une brigade « safety » formée, dont les membres auront un t-shirt fluo et pourront réagir si des situations malsaines se présentent. On aura aussi une « safe zone » au niveau du poste de secours, où les gens peuvent se retrouver s’ils sont un peu perdus, s’ils ou elles ont besoin de se poser. On veut vraiment créer un évènement où tout le monde peut s’amuser et se sentir à sa place.

Après cet anniversaire, à quoi s’attendre pour La Molécule ?

On a de bons projets en tête. Il y a déjà un partenariat avec l’Osmose Festival les 26-27 juillet où on gère les afters. Ensuite, l’idée est de créer notre propre festival, on a déjà quelques idées, encore plus folles que l’Arkéa… Mais, avant ça, rendez-vous au cours de l’été, car on bosse sur plusieurs beaux open air