Malgré une année 2020 dont on n’entend pas redire ici à quel point elle fut particulièrement éprouvante pour l’ensemble du milieu artistique (et plus largement évidement), certain.es semblent avoir trouvé l’énergie de s’investir dans de nouvelles aventures. C’est précisément le cas du duo bordelais Modern Collapse, qui malgré la tempête a continué de s’investir sur Ola Radio, dans le cadre d’une résidence, mais aussi lors de différentes dates, en stream et IRL. L’aboutissement de 2020 pour Hugo et Gabriel arrive néanmoins en ce début de nouvelle année, avec Anti-Club Music Club (ou ACMC, comme ils aiment à l’appeler), nouvel album qui entend bien mettre un pas de côté par rapport à la musique club. Rencontre avec le duo qui nous explique la démarche derrière le projet.
Crédit photo : Miléna Delorme
Le Type : Ça va faire bientôt une année que nous sommes privé.es de clubs et très limité.es en termes de festivités… Dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Hugo : Salut ! Alors en effet le contexte actuel ne se prête pas trop aux festivités et à l’univers du club en général, mais on essaye de rester optimistes autant que possible en misant sur le retour à la normale un de ces quatre. Personnellement je profite de cette période spéciale pour me replonger dans mes classiques et prendre aussi du recul sur la musique club de manière générale.
Gabriel : Salut Le Type ! Oui, on peut maintenant malheureusement souffler la première bougie de cette situation. On est – comme tout le monde – touchés par notre période, mais on essaye au maximum de voir l’avenir et on en profite pour se recentrer en même temps. J’ai vu cette période évoluer rapidement, j’ai eu beaucoup de travail donc c’est passé assez vite.
La fermeture des clubs marque la fin d’une habitude hebdomadaire et d’un quotidien où on était toujours à l’affût du moindre line up ou actualité touchant de près ou de loin le club, donc oui le moral en a pris un coup. Néanmoins le petit coup de déprime a été relativisé par l’appréciation d’une période calme et saine permettant de ralentir la cadence et d’avancer avec sérénité.
Malgré le contexte, vous avez quand même été assez actifs depuis mars 2020, entre votre résidence sur Ola Radio, le Club Maison de l’IBOAT où vous avez joué pour les 9 ans du bateau, Club 360 de la Fimeb… Et même un changement de nom entre votre ancienne résidence à l’Iboat Syndrome et maintenant Modern Collapse : pourquoi ce choix ? Et quel bilan vous faîtes de 2020 ?
Hugo : Oui on ne peut clairement pas se plaindre, on a eu la chance d’avoir de l’actualité à proposer tout au long de l’année 2020, et d’être invités sur des formats innovants comme le Club 360 et le livestream pour l’anniversaire de l’IBOAT. On est super touchés d’être maintenant suffisamment reconnus et établis pour être invités à performer sur ce genre de formats ! On a aussi eu la chance de sortir deux morceaux sur des compils de labels, un pour Tustance et un pour Comic Sans Records, on les remercie pour leur confiance !
Et concernant le changement de nom de notre résidence, c’est suite aux discussions qu’on a pu avoir avec Florian Levrey, le DA de l’IBOAT, au cours desquelles on a fini par se dire que créer une résidence où c’est le duo Modern Collapse qui invite des artistes ça avait plus de sens qu’un nom de résidence générique, et que ça nous permettait de mettre notre identité artistique au centre de notre processus de curation sur ces soirées.
On n’a pas voulu vivre la période autrement que par la création
Gabriel, Modern Collapse
Gabriel : C’est vrai que 2020 était une période très compliquée car nous sommes arrivés en janvier avec plein de nouvelles idées pour notre résidence club évidemment annulées, donc c’est un versant sur lequel on est tristes. Mais on a été super contents de pouvoir continuer à se produire par le biais de formats, innovants qui plus est. On a aussi joué au festival Super Camp de SUPER Daronne qui nous a rempli de géniaux souvenirs.
Niveau production on a été proactifs, on n’a pas voulu vivre la période autrement que par la création, car plus centrés sur nos quotidiens, nos familles on ne vivait plus une vie mouvementée urbaine. Cette année on a commencé à signer des morceaux et à se pencher sur d’autres approches de la musique pour finir par produire notre premier projet en septembre.
Donc un bilan de 2020 serait le suivant : tout – mais également rien – ne se passe comme prévu. D’ailleurs 2021 arrive très fort on vous a préparé pas mal de surprises.
Est-ce que vous diriez que l’année écoulée vous a permis d’avoir une autre approche dans votre façon d’aborder la musique ?
Hugo : Au-delà de l’année qui s’est écoulée, je pense que c’est avant tout notre manière de produire et notre maturité artistique qui ont évolué. Je pense qu’après plusieurs années à tâtonner, on a enfin réussi à définir ce qui fait notre patte, et ça nous a beaucoup aidé à avancer rapidement sur nos productions, on hésite beaucoup moins sur les arrangements et on est beaucoup plus à l’aise avec nos prises de risques.
Gabriel : Oui, ce qu’on peut dire c’est qu’on a atteint un palier pendant 2020, mais comme dit Hugo c’est un processus qui date d’il y a longtemps et qui devient visible cette année. La patte qu’on a est le fruit de labeur et d’écoute. L’approche qu’on a de notre musique s’est peaufinée surtout cette année je dirais, il reste encore du chemin et évidemment on va remettre en question tout notre processus pour en créer de nouveaux plus tard.
Vous sortez donc vendredi votre premier album Anti-Club Music Club. Vous le qualifiez d’ « expérimental et immersif ». Pouvez-vous présenter un peu le projet ?
Hugo : Anti-Club Music Club, ou ACMC comme on aime l’appeler, c’est un projet à la fois déconstruit et cyclique selon nous. On a essayé de le décliner comme un voyage auditif, un patchwork de mélodies, d’éléments de sound design et de voix qui reviennent de manière récurrente pendant l’écoute. C’est un peu une transposition de la répétition qu’on retrouve dans la musique club, mais dans une temporalité complètement différente.
On a essayé de confronter des éléments pas forcément conçus comme complémentaires, c’est pourquoi on peut retrouver des éléments de harsh noise, de spoken words, de trap, d’ambient et de classique durant l’écoute du projet. C’est aussi un projet relativement court malgré le nombre de pistes, on a voulu amener les morceaux de manière brute, sans transition, pour qu’elles s’enchaînent de manière cohérente.
Gabriel : Je pense que Hugo a très très bien présenté le projet. Je pense que ACMC se présente comme un 8 titres qui est ancré dans son temps. Avec le titre on peut le re-situer dans une période précise sans qu’il y ait écrit frontalement « covid music » mais on a essayé de jouer un maximum sur des sonorités qui peuvent traverser les périodes. On espère que le projet pourra être écouté même après la réouverture des clubs. Plus personnellement c’est un projet qu’on a produit dans un court laps de temps, très compact et qui nous a permis de fonctionner pour la première fois entièrement en présence ce qui est assez ironique pour la période.
Il marque aussi pour nous nos années de collaborations avec un talentueux artiste plasticien qui est inspiré et qui nous inspire beaucoup pour notre musique : Maceo GC. Pour la sortie il a sculpté un buste qui nous représente et dont la photo sert de couverture à l’album. Je le connais depuis des années et il est vraiment un frère pour moi. C’est lui qui a fait la couverture de notre première sortie « brutal » mais aussi sur beaucoup d’autres projets donc c’est à lui que nous avons donné carte blanche pour notre premier 8 titres ; on est vraiment contents d’avoir pu mobiliser la famille et on est très fier du résultat.
On avait besoin de sortir des schémas rythmiques du club
Hugo, Modern Collapse
Il y a quelques temps, la canadienne Marie Davidson avait sorti un morceau « Adieu au dancefloor » et annoncé vouloir arrêter de faire de la musique de club. Vous êtes dans la même démarche ?
Hugo : Je ne pense pas qu’on veuille s’inscrire dans une démarche aussi radicale. Anti-Club Music Club pour nous c’est une parenthèse qui nous était nécessaire, on avait besoin de sortir des schémas rythmiques du club pour créer un projet à part. Notre dernier morceau est d’ailleurs un bonus track et la deuxième partie d’un morceau présent un peu plus tôt dans l’album, et qui marque un retour au club avec une rythmique rapide et très présente. Renoncer à la musique de club, ce serait un peu dommage je pense, autant profiter de la période actuelle pour réinventer le club et sortir des codes un peu répétitifs qui commençaient déjà à nous bloquer avant la crise du COVID.
On a hâte de faire de la pro club music
Gabriel, Modern Collapse
Gabriel : Le nom Anti-Club Music Club est avant tout ironique, car nous sommes privés d’une grosse partie de notre activité. Donc il n’y a pas de réelle démarche anti club, c’est plus le titre de notre période actuelle. Plus profondément, on se trouve dans une réelle approche post-club. C’est un album que nous pourrions écouter en sortie de club, quand on rentre chez soi, ou pour les plus zinzins en rentrant de l’after (rires). On a hâte de faire de la pro club music, comme le démontre « Kendall’s Playground (Pro Club Music Club version) » dernier morceau du projet qui se présente comme une ouverture vers l’avenir.
Pensez-vous qu’après le confinement et la privation de clubs, on va assister à une forte poussée d’« anti-club music » ? On sent par exemple un retour en force de l’ambient ces derniers mois…
Hugo : En fait la question n’est pas forcément liée au COVID, je pense. J’ai plus l’impression qu’on a été bridés pendant longtemps par une approche un peu « edgy » des musiques électroniques et du club, notamment avec l’hégémonie de la techno à un moment. Aujourd’hui j’ai l’impression de voir exactement ce qui s’est passé avec le rap, où des producteurs s’amusent sur Soundcloud à mélanger plein d’influences sans jugement et de manière très spontanée. Je pense que le public et les auditeurs se sont plus ouverts à l’expérimentation, et que les producteurs ont délaissé le côté sérieux dans la production, pour proposer un versant plus honnête et spontané dans leurs compositions, et je trouve que c’est une excellente nouvelle pour les années à venir.
Gabriel : Pour ce qui est de l’ambiance générale, oui les auditeurs se sont en grande partie tournés vers de la musique hors club. Mais également chez les producteurs, dernièrement j’ai été interviewé aux côtés de Neida et Djedjotronic pour un podcast de Octave Sonore et Ola Radio. Tous deux ont pu dire qu’ils s’étaient introvertis et ont pu enfin avoir le temps de se tourner vers des productions plus ambient. Dans nos projets persos, même avant que l’on fonde Modern Collapse on été tous deux friands de projets ambient.
Comment se passe votre processus de production à deux-têtes, notamment sur cet album ?
Hugo : Pour cet album, on s’est enfermés chez moi à Paris et on a composé la majeure partie de l’album sur une vieille enceinte Bose avec le son en mono (rires). Beaucoup de personnes mettent en avant le besoin d’un matériel de qualité pour composer, et on aime bien penser l’inverse.
On est beaucoup plus inventifs et spontanés quand on est limités par notre matériel.
Hugo, Modern Collapse
En général on compose avec un Macbook, Ableton, des vidéos obscures de vlog et d’ASMR sur YouTube et rien d’autre, je trouve qu’on est beaucoup plus inventifs et spontanés quand on est limités par notre matériel. Bien évidemment on a retravaillé le mixage après coup mais sans ce processus de production chaotique je ne pense pas qu’on pourrait atteindre ce qu’on recherche en termes de rendu.
Gabriel : Je pense qu’Hugo a tout dit (rires). J’aimerais notamment mettre en avant que c’est la première fois qu’on a produit un projet entièrement ensemble, dans la même pièce. Usuellement on fait ça à distance et notre quotidien ne nous permet pas de pouvoir se concentrer principalement sur la musique. Lors de la production en septembre, on a vraiment réussi à créer cette bulle dans laquelle on a réussi à faire un projet qui pour nous résonne comme l’aboutissement d’années à tâtonner.
Chronologiquement cet album vient après l’envoi et le retour sur de nombreux tracks par Simo Cell, que nous tenons particulièrement à remercier pour son accompagnement aguerri et plein de bonnes intentions. Nous voulions enfin commencer un projet cohérent et après l’écoute de l’album Trinity par Laylow on a senti ce besoin d’exprimer une histoire le long d’un projet, qu’on a fini par compacter comme Vanessa Amara dans son album Poses. On a vraiment libéré nos inspirations sur ce projet.
Nous avons sorti votre morceau « Sliding Like You Went In My DMs » issu de l’album, sur notre plateforme Scene city : pourriez-vous nous raconter l’histoire derrière cette track ?
Gabriel : Ce track marque le deuxième morceau du projet. Il a été construit à partir d’une rythmique passée dans un rack qu’Hugo a créé et qui permet de rendre aléatoire la lecture d’un sample à plusieurs codes temporels. Ce qui nous donne, après l’écriture d’un rythme club ou le sample d’une voix un matériau complètement en dehors du tempo et de toute structure rythmique.
Je l’ai ensuite recomposé, rendant ainsi cette impression de dilatation et d’organicité des percussions et vocaux. Son placement dans l’album est important car il a une sonorité plus posée, plus rêveuse et candide si l’intro vous a un peu bousculé. Il nous permet de rentrer une seconde fois dans le projet calmement et est le fruit d’une réflexion sur la musique électronique de manière générale, et surtout la musique expérimentale que beaucoup pensent sombre et forcément torturée.
Vous l’imaginez comment le « club » du post-confinement ?
Hugo : J’espère qu’il saura apporter de la fraîcheur, notamment en termes de programmation. Après tant de temps passé sans clubs, j’aimerais vraiment que les programmateurs reviennent avec des plateaux osés, qui challengent un peu plus le public. En tout cas c’est ce qu’on compte faire avec notre résidence à l’IBOAT. Aussi, pour faire écho à la tribune que Simo Cell avait faite pour Libération, j’ai envie de voir de plus en plus de plateaux mettant en avant les talents locaux et nationaux avant tout, qu’on puisse vraiment valoriser tous les artistes talentueux qu’on ne voit pas assez en club.
On saura donner un nouveau souffle à une culture qui commençait à s’essouffler car trop redondante.
Gabriel, Modern Collapse
Gabriel : J’attends le retour du club avec une grande impatience. Je suis sûr qu’il prendra une autre dimension et qu’on saura donner un nouveau souffle à une culture qui commençait à s’essouffler car trop redondante.
On sent un goût prononcé pour la dimension graphique dans vos projets ; comment intégrez-vous cette partie à votre création ?
Gabriel : Depuis le début de notre résidence à l’IBOAT puis celle sur Ola on veut vraiment développer ce fait que la musique nous fait imaginer de nouveaux paysages, de nouvelles images en quelque sorte donc se crée évidemment une dimension graphique inhérente au projet global.
Dans nos résidences et nos productions on veut avoir un mot d’ordre : l’honnêteté. C’est pour ça que je demande à chaque artiste que nous invitons de nous envoyer des photos de son choix. Ça peut être n’importe quoi : des snaps, des screenshots, des photos insta ou personnelles, des voyages : ce qu’ils veulent. Par ce biais, on cherche à mettre l’invité au cœur de la résidence : ici c’est un espace ou vous pouvez vous exprimer pleinement. On adore recevoir les packs de photos de chaque artiste, c’est à chaque fois un plaisir. On sent que la méthode prend avec des S/O, des photos complètement random mais aussi des photos de voyages, d’amitiés : c’est très touchant.
C’est pareil pour leur set, souvent on nous demande « quel genre vous demandez ? est-ce que je fais un set club ou pas ? » et on répond à chaque fois : « tout tant que c’est le plus personnel possible ».
Avec les photos que les artistes m’envoient j’effectue un collage qui devient le visuel de l’émission ou de la track. 2020 a été une année très inspirante car nous avons pu découvrir une version très personnelle et honnête des artistes qu’on a invité.
J’aime penser que le set, ou le morceau produit est un vrai collage créé avec une multitude d’éléments : des émotions, des structures, des matières, des textures qui forment un ensemble. Cet ensemble c’est souvent tout simplement nous, ou une partie de nous. Donc notre identité visuelle vient de vous tous et représente le collage de votre esprit à un moment donné, figé comme un souvenir hyper-réaliste.