Quand le skate renouvelle la ville : entretien avec Léo Valls

Intégrée aux Jeux Olympiques, adoubée au sein d’un bachelor qui lui est dédié, récupérée par des marques pour son image « cool » : la pratique du skate s’est, en quelques années, largement popularisée. Face à des adeptes de plus en plus nombreux, certaines villes ont dû réfléchir à son intégration urbaine. Historiquement répressive à l’encontre des skateurs, la municipalité de Bordeaux a su, au fil des années, adapter son discours, au point de devenir un véritable modèle dans sa façon d’accueillir le skate en son sein. Un parti pris qui interroge néanmoins sur l’encadrement d’une pratique revendicatrice de liberté et avide de détournement. Artisan de la médiation qui a permis au skateboard d’être ainsi reconnu en ville, le skateur Léo Valls revient sur le chemin parcouru par une contre-culture devenue légitime.

Auteur et autrice : Laurène Secondé & Laurent Bigarella
Crédit photo : Leo Sharp

Cet entretien est extrait d’un article plus long publié à l’origine dans la revue papier Akki, éditée par Le Type (à commander ici). Nous ressortons cet extrait à l’occasion de l’organisation d’Allô? mercredi 27 janvier, une discussion organisée par la Fimeb sur la (ré)appropriation urbaine à laquelle participe Léo Valls.

Akki : Bordeaux est considérée comme une ville modèle dans la façon dont la pratique du skate y est intégrée. Qu’est-ce qui fait sa spécificité ?

Léo Valls : Il y a une vraie histoire du skate à Bordeaux. On mentionne souvent la Terrasse Koenig à Mériadeck, comme le lieu de naissance du skate bordelais dans les années 1970. Les premiers pratiquants amenaient leurs rampes faites maison là-bas. Aujourd’hui, la pratique est profondément ancrée dans notre ville et le skate bénéficie maintenant de l’engagement d’acteurs locaux multiples (magasins, associations, skateurs pros).

Des vidéastes et des photographes, qui se sont professionnalisés dans le milieu du skate, ont par exemple permis à beaucoup d’images d’émerger dans la presse spécialisée internationale. Quand on regarde une vidéo de skate à Bordeaux, la ville est identifiable : une architecture atypique avec de la pierre, des sols en marbre et, globalement, un style de skate qui en découle. Ces acteurs-là mettent la ville en lumière, avant même la performance de la pratique.

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Ce qui est intéressant pour nous, c’est de détourner l’urbain, l’espace public, le mobilier, de les rendre ludiques et créatifs.

Le skate a été interdit pendant 20 ans à Bordeaux (politique municipale répressive, amendes, architecture aggressive…). Un jour, la mairie t’appelle pour te proposer de travailler main dans la main. Qu’est-ce qui est à l’origine de cette volte-face ?

À la fin des années 1990, la mairie pensait que les skateparks construits suffiraient aux skateurs. En réalité, c’était plutôt une excuse pour interdire la pratique en ville. En créant des skateparks, on promeut effectivement la pratique du skate, au sens large. Mais tous les jeunes qui auront fait leurs armes dans les skateparks vont logiquement avoir envie de sortir dans la rue, ensuite. Parce que, ce qui est intéressant pour nous, c’est de détourner l’urbain, l’espace public, le mobilier, de les rendre ludiques et créatifs. Il ne faut pas oublier que la pratique du street, c’est l’essence même du skate.

La Ville s’est donc acharnée à distribuer des amendes (quasiment 1000 amendes par an, d’un montant de 90 euros, y compris pour les skateurs mineurs). Cela engendrait de grosses tensions et rendait la situation clairement injuste. En tant que skateur, on mettait en avant notre ville (via nos images, nos marques et nos enseignes). De l’autre côté, les autorités préféraient nous amender plutôt que nous soutenir. Il faut savoir que ces interdictions trouvaient leur source dans une poignée de riverains du centre-ville, excédés par les nuisances sonores. Je pense aussi que le skate était considéré comme une pratique trop libre. Pourtant, les statistiques ont démontré plus tard qu’à Bordeaux, on comptait 35 000 pratiquants occasionnels ; preuve, s’il en fallait une, de l’importance et du poids de cette culture ici.

Crédit : Tom Captures

En 2016, j’ai eu l’opportunité de passer sur un média (France 3 Régions, ndlr) pour parler de l’économie du skate. J’en ai profité pour pousser un coup de gueule en direct contre la politique répressive de la mairie en décrivant toutes les initiatives positives des skateurs et en expliquant que, malgré cela, aucun dialogue n’avait été entamé avec les pouvoirs publics locaux. Quelques jours plus tard, je suis invité à la mairie, qui organise une table ronde entre riverains, skateurs et services. Les skateurs ont écouté le point de vue des riverains, à qui on a ensuite expliqué notre vision des choses. Si le skate est une activité sportive, il est aussi facteur de cohésion sociale pour les jeunes. Il permet de se déplacer et d’explorer sa ville de façon écologique : c’est un mode de déplacement doux qui va dans le sens des politiques actuelles. C’est par ailleurs une pratique qui permet à la ville, in fine, de se renouveler grâce aux images qui circulent quotidiennement : elle est valorisée au travers de différents prismes.

Parallèlement, le centre d’architecture arc en rêve nous a proposé d’intervenir dans une exposition intégrant la dimension artistique et culturelle du skate. Tout le monde a été convié à l’inauguration : Le Maire, les élus, les riverains et les skateurs. Un débat a été organisé. C’est dans ce contexte général qu’a été prise la décision d’installer des horaires aménagés pour la pratique du skate, dans des lieux qui étaient auparavant interdits.

C’est de cette démarche de concertation que nait Skate(z)-zen. Peux-tu nous donner des exemples concrets de la mise en place de cette médiation ? 

Skate(z)-zen est un programme mis en place sur les sites problématiques tels que la Place Pey Berland, le parvis des Droits de l’Homme ou le Square des commandos de France. En plus des horaires aménagés, on y a instauré une médiation : j’allais voir personnellement des pratiquants de skate, je leur expliquais combien il était important de respecter ce deal avec la mairie. Je rencontrais aussi les riverains en leur expliquant pourquoi on avait notre place dans la ville. Aujourd’hui, c’est un médiateur municipal qui se charge spécifiquement de ce travail. C’est un boulot de terrain qui n’est pas évident. L’objectif : parler et faire en sorte qu’un dialogue soit constamment ouvert sur cette question. 

La réussite de cette médiation a permis de passer à une nouvelle étape : celle du skate-urbanisme, ou plus concrètement : l’intégration du skateboard au développement de la ville, lorsque cela est possible.

La réussite de cette médiation a permis de passer à une nouvelle étape : celle du skate-urbanisme, ou plus concrètement : l’intégration du skateboard au développement de la ville, lorsque cela est possible. En complément, Alain Juppé nous a demandé de travailler sur un schéma directeur (un document de route utilisé par la mairie sur une temporalité donnée) en collaboration avec la Métropole.

Notre logique est d’inclure le skate de manière quasi-invisible : l’objectif est de proposer des aménagements skatables, en amont de la réalisation des projets d’urbanisme. Cela se joue parfois dans des détails : de bonnes prises d’élan, des matériaux robustes ou agréables à pratiquer… On tient également à créer des espaces partagés et mutualisés : pas uniquement des zones de skate, mais bien des aires de rencontre.  

Crédit : Dave Lane

(…)

Le skate doit-il être forcément encadré pour pouvoir jouir d’une certaine liberté ?

Non, il faut évidemment que le skate reste libre, là où c’est possible. Néanmoins, je trouve que les villes qui l’intègrent aux espaces publics s’inscrivent dans un changement éminemment positif. Encore une fois, c’est l’évolution naturelle des choses. Quand je me promène dans des villes comme Copenhague ou Malmö, qui ont entamé cette démarche il y a une dizaine d’années, j’observe une pratique du skate toujours très libre. Les gens se déplacent simplement dans une ville dont les espaces publics ont été aménagés en pensant à la pratique. Mon idée, ce n’est pas de construire des terrains fermés type skatepark. C’est, au contraire, de pouvoir profiter d’une ville qui soit skate friendly dans sa globalité. 

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L’entretien est à lire dans son intégralité dans le premier numéro d’Akki, une revue papier lancée par Le Type début 2021.


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