À Bordeaux, un nouveau festival reliant skate et urbanisme voit le jour du 17 au 20 octobre : Connect. Talks, concerts, expositions… L’événement célèbre la culture et la pratique du skateboard depuis la Cour Mably, sur 4 jours. Rencontre pour l’occasion avec l’un des photographes qui y exposera son travail : David Manaud.
Le Type : Salut David ! Peux-tu nous raconter tes débuts dans la photographie de skate ?
David Manaud : Pour faire simple, je viens d’une banlieue de Bordeaux appelée Bassens. Mon groupe d’amis et moi y faisions du skate. J’ai commencé à skater vers mes 14-15 ans, et j’ai commencé à m’intéresser à la photographie entre 18 et 20 ans. C’est grâce à un Polaroïd que ma copine m’avait offert que j’ai commencé à prendre des photos. Mais je me suis vite rendu compte que ce n’était pas adapté au skate. En voyant cela, mon grand-père m’a donné un vieux reflex argentique, et c’est ainsi que mon aventure photographique a commencé.
Quels événements ont marqué l’évolution de la photographie et de la vidéo dans le monde du skate pour toi ?
Ça a beaucoup été les magazines de skateboard : Thrasher, TransWorld et Big Brother principalement ! À l’époque, il n’était pas facile de s’en procurer, car il fallait parfois se tourner vers des magasins ou des distributeurs. Thrasher s’était autoproclamée la « bible du skateboard ». Force est de constater qu’il y avait une part de vérité là-dedans. On partageait un seul magazine pour une vingtaine de skateurs (rires) ! Les magazines étaient déjà présents pour documenter toute la culture skate.
Aujourd’hui, avec le skate aux Jeux Olympiques, encore plus de gens cherchent à développer l’aspect créatif et artistique de cette discipline.
David Manaud
Comment la photographie contribue-t-elle à l’évolution et à la visibilité de cette discipline ?
Lorsque tu entres dans le monde du skate, il y a deux aspects principaux. D’une part la technique, c’est à dire la difficulté pour réaliser la figure. Et, d’autre part, l’esthétique, c’est-à-dire ce qui est lié au style, aux vêtements… La manière dont tu vas « rendre la figure » va énormément passer par la photographie. Auparavant, de nombreux skateurs achetaient des magazines pour apprendre et reproduire les « tricks », illustrant ainsi l’importance de la photographie dans la promotion de la discipline. Aujourd’hui, avec le skate aux Jeux Olympiques, encore plus de gens cherchent à développer l’aspect créatif et artistique de cette discipline.
Quelle dimension prend le skate à travers la photographie ? En quoi la pratique peut-elle révéler des aspects culturels et sociaux souvent ignorés ?
Avec l’essor des réseaux sociaux, la notoriété du skate a explosé. Aucune autre discipline n’en a autant bénéficié. Avant, il y avait très peu de filles dans le skate, elles étaient souvent considérées comme des « garçons manqués ». Aujourd’hui, elles sont plus nombreuses et ont apporté une touche féminine et raffinée, prouvant qu’on n’a pas besoin d’être un casse-cou ou d’exceller pour faire du skate. Elles ont permis à beaucoup de personnes de réaliser que le skate est à la portée de toutes et tous. Les arts visuels ont joué un rôle clé dans cette évolution, les images ayant une énorme influence sur cette discipline.
Pourrais-tu nous parler des photographes qui, à travers le temps, ont favorisé la démocratisation de la culture skate en France ?
En France, il y a par exemple Kevin Metailler. C’est d’ailleurs lui qui m’a connecté avec les premiers magazines de skate. Il est venu chez moi, a regardé mes photos et m’a suggéré de les proposer à des magazines. Clément Le Gall est arrivé plus tard. Il est aujourd’hui l’une des références européennes en photographie de skate, collaborant en freelance avec des magazines comme Thrasher.
À Paris aussi, on retrouve Alexandre Pires, qui travaille avec des marques célèbres telles que Supreme, Palace et New Balance. Pour résumer, ce sont eux qui vont shooter toute la « new generation » pour des revues papier comme Free Skateboard Magazine. Ils endossent le rôle de photographes de presse, tout comme je l’ai était avant. Souvent, le parcours professionnel se déroule ainsi : tu débutes dans la presse et, par la suite, tu deviens le photographe exclusif d’une marque. À l’échelle mondiale, J Grant Brittain et Mike Blabac ont considérablement influencé la discipline, contribuant ainsi à une professionnalisation du métier.
L’aspect performance ne m’intéresse plus du tout
David Manaud
Tu exerces ta passion depuis plus de 20 ans, tes clichés ont trouvé leur place dans des magazines de skate prestigieux comme Thrasher Magazine et Sugar, et tu as collaboré avec des marques de renom… Quelle vision artistique portes-tu sur ton travail ?
Ce que je constate, c’est que l’aspect performance ne m’intéresse plus du tout. Aujourd’hui, ma priorité est de capturer des atmosphères uniques. Exprimer ma créativité et laisser les choses se dérouler naturellement font partie de ce que je recherche. Lorsque je tiens un appareil photo, je ressens que je réalise quelque chose de positif. J’ai l’impression de contribuer à donner du plaisir aux gens.
La photographie me permet de rencontrer des personnes et de créer des souvenirs, même avec des inconnu·es. C’est une expérience que j’apprécie beaucoup. Quand j’ai commencé la photographie, je ne sais pas pourquoi, mais il m’est arrivé pleins de bonnes choses, alors j’ai aussi envie d’en faire bénéficier les autres.
Dans tes images, cherches-tu à valoriser les infrastructures urbaines adaptées au skate plutôt que l’architecture traditionnelle des bâtiments ?
Au contraire, je vais davantage privilégier tout ce qui est en rapport avec l’architecture. Mon intention est de capturer une atmosphère unique à travers mon objectif. Dans des villes comme Berlin, je me laisse guider par l’architecture, le patrimoine historique des lieux et l’éclairage ambiant. C’est également grâce à cela que je peux observer les différences culturelles entre les pays. Par exemple, la France manque de mobilier adapté aux personnes handicapées. Tandis qu’au Québec, des rampes sont omniprésentes pour faciliter leurs mobilités.
Sélectionner douze clichés parmi les milliers de photos que j’ai a été un véritable défi.
David Manaud
Dans quelques jours, tu seras présent au premier festival international dédié à la culture skate, Connect. Peux-tu nous parler un peu de l’exposition photo que tu présenteras ?
Dans cette exposition, vous découvrirez une sélection de photos, dont 98 % ont été réalisées à Bordeaux. Mon travail se divise en deux axes : un volet « deepthick » qui aborde des thèmes comme le crew, la mise en scène, les lumières et les couleurs, et un autre axé sur des photos uniques, qui représentent le concept de Connect. Les « singles » mettront en lumière l’essence du skate-urbanisme. Par ailleurs, je ferai des visites guidées le samedi 19 et le dimanche 20, à 13 h. Je dois avouer que sélectionner douze clichés parmi les milliers de photos que j’ai a été un véritable défi (rires).
Il est probable que Bordeaux soit la première ville au monde à avoir légalisé le skate.
David Manaud
Un événement de cette ampleur signifie beaucoup pour la région – qui compte près de 40000 pratiquants réguliers. Est-ce que Bordeaux a un rôle d’exemple à jouer dans les projets d’urbanisme skatable, notamment en France ?
Actuellement, le skate français se concentre surtout sur Paris et Bordeaux, au point qu’on pourrait presque inverser les deux. Il est probable que Bordeaux soit la première ville au monde à avoir légalisé le skate, et la métropole est véritablement un modèle. Cette dynamique a provoqué un véritable effet boule de neige, avec une hausse du nombre de skateurs et des marques qui ont choisi de quitter Paris pour s’établir à Bordeaux, y compris le magazine Sugar.
En conséquence, de nombreux photographes, artistes et autres acteurs du milieu ont décidé de rejoindre la région. Le magasin Riot Skateshop a littéralement explosé, se transformant d’un petit commerce en l’un des plus grands revendeurs de certaines marques telles que Fucking Awesome, un changement radical pour eux. Darwin a également exercé une influence considérable sur la culture du skate dans les années 2010.
Tous ces acteurs ont, depuis des années, véhiculé une image extrêmement positive de la discipline. Pour l’événement Connect, des participant·es venus du Japon, de Suède et des États-Unis seront présent·es, car trouvent cela hallucinant ! Ils et elles souhaitent comprendre comment nous avons atteint ce niveau. Une multitude d’associations et de collectivités seront présentes également. Cet évènement arrive à point nommé et je pense même qu’une seconde édition de Connect est déjà envisagée !
À ce sujet, quelles actions récentes ont été entreprises par la métropole, et quelles initiatives sont prévues pour l’avenir ?
Jusqu’à présent, une politique d’instruction a été mise en place, favorisant la discussion et la médiatisation, notamment à travers des initiatives comme Connect et les modules avec Léo Valls. Aussi, le guide du skateboard bordelais a été publié en 2023. Je pense que les projets à venir devront se concentrer sur l’aménagement de lieux, comme Pey Berland. Les architectes doivent réfléchir à l’inclusion des skateurs dans leurs projets, en tenant compte de la diversité des pratiquants, y compris ceux en situation de handicap. Je pense que Bordeaux gagnerait beaucoup si les gens se mélangeaient davantage entre eux, à l’image de ce qui se fait à Barcelone. Mériadeck en est une illustration concrète : le skateboard se révèle être un bon moyen pour faire face à l’insécurité.
Pour terminer, quels seraient les trois lieux méconnus de la ville que tu recommanderais pour capturer des photos mémorables tout en pratiquant le skate ?
Lormont Bas a des airs de petit San Francisco, particulièrement le soir, lorsque les lumières arrivent ! Il faut se balader et en plus c’est un quartier très populaire, les gens sont super cool et ça se mélange ! C’est un endroit agréable pour flâner, où les habitant·es sont vraiment sympathiques et se mélangent facilement. Pour shooter du skate, Meriadeck est quand même très bien, tout le quartier est top. De plus, étant en béton, cet endroit fonctionne plutôt bien, et souvent, ce qui peut sembler visuellement peu attrayant s’avère très photogénique. Et les ponts de la ville, car je les apprécie vraiment (rires) !