Achraf de la Rock School Barbey : « Bordeaux est une ville rap »

Entretien avec Achraf Essayeh, membre de l’équipe de la Rock School Barbey, à l’initiative de la compilation RGRD2 pensée pour valoriser la scène rap locale. L’occasion de revenir sur la genèse du projet, l’état de l’écosystème rap bordelais et lévolution plus globale de cette industrie.

Crédits photo : Titouan Massé

Le 9 mai dernier, la compilation RGRD 2 sortait sur toutes les plateformes de streaming, produite par la Rock School Barbey et le label Toofamous Prod. Un projet composé de 18 titres, sur lequel on peut entendre 22 rappeurs et rappeuses de la Rive Gauche et de la Rive Droite de Bordeaux. On en a profité pour aller poser quelques questions à Achraf, médiateur culturel de la célèbre salle de concert depuis 2011, afin de parler de cette compilation, mais aussi de rap bordelais et de réussite dans la musique. Entretien avec un personnage ô combien important de l’écosystème rap bordelais.

Le Type : Comment est né ce projet de compilation ? 

Achraf (Rock School Barbey) : Le concept remonte à 2014. À l’époque, on a sorti une compilation qui s’appelait Rap School Barbey. Il y avait une vingtaine d’artistes pour une quinzaine de titres, et il y avait déjà cette volonté de faire un projet 100% rap bordelais, avec des rappeurs et des rappeuses de la rive droite et de la rive gauche. Il y a deux ans, on a repris le concept avec le premier RG RD. Et aujourd’hui, on sort le deuxième. 

Quel est le but de cette compilation ?

L’objectif principal, c’est d’essayer d’offrir un maximum de visibilité aux artistes présents sur le projet. Avec cette compil’, on essaye également de faire travailler l’écosystème rap local : on a enregistré dans plusieurs studios de la ville, afin de les valoriser, et de leur permettre d’avoir de petits leviers économiques, à la hauteur de nos moyens.

On a essayé de mettre en avant un rappeur par secteur, donc on a dû faire des choix.

Achraf (Rock School Barbey)

Comment est-ce que vous avez sélectionné les artistes présents ? 

La plupart gravitent plus ou moins autour de la Rock School : on a déjà travaillé avec eux, donc tout naturellement, on fait appel à eux pour RG RD 2. On a essayé de mettre en avant un rappeur par secteur, donc on a dû faire des choix. On pouvait pas mettre tout le monde… Mais ceux qu’on n’a pas retenu pourront apparaître sur les prochaines éditions. On a aussi dû malheureusement enlever le titre de Dimso, un jeune rappeur très prometteur du Grand-Parc, qui est décédé dans un incendie en voulant sauver sa maman. Paix à son âme.

Pour cette deuxième édition, vous avez fait appel à des jeunes, pour la plupart inconnus dans le rap bordelais. Alors que sur la première, on pouvait trouver des rappeurs déjà identifiés. Pourquoi ce choix ?

On avait envie d’offrir de la visibilité à ces jeunes-là. Et ça a un peu marché : il y a plusieurs artistes qui sont rentrés en playlist sur Black Box et Mouv’. D’autres qui ont été joués par DJ First Mike et DJ Serum sur Mouv’… Ce qui est plutôt beau à l’heure où il est devenu difficile de passer en playlist à la radio. Mais certains ne nous ont pas attendu pour se lancer : Maya, Yvzou, Moncef ou encore INSa ont déjà des petites communautés qui les suivent. Et il y a aussi quelques anciens qui sont présents, comme Gosen Tirailleur par exemple, qui avait notamment produit le projet 33 all starz à l’époque. 

Il y avait des consignes particulières concernant les morceaux ? Est-ce que vous avez voulu imposer une direction artistique ?

Non, c’était libre. Chacun a pu faire un son dans le style qu’il souhaitait : du boom-bap, de la trap, de la mélo… À l’époque du premier, on voulait faire des thèmes. Mais après réflexions, et en discutant avec les artistes, ils ont préféré garder chacun leur identité musicale, afin de ne pas se renier. 

Ça n’a pas été trop difficile de rassembler tout le monde sur cette compil’ ? 

Non, tout le monde a joué le jeu. Forcément, il y a eu des discussions, des échanges. Il ne faut pas oublier que le rap vient parfois cristalliser certaines tensions. Nous avons fait en sorte de faire abstraction de tout ça, afin de mettre la musique à l’honneur. 

Tu trouves qu’il y a de la solidarité dans le rap ?

Est-ce qu’il y en a dans le rock ? Dans la musique électronique ? Dans la pop ? Je pense que c’est pareil : tout le monde essaye d’être solidaire à son échelle et selon ses affinités. Je pense qu’il y en a autant dans le rap que dans les autres genres musicaux.

Aujourd’hui, c’est beaucoup plus facile de faire des prods.

Achraf (Rock School Barbey)

Tu es à la Rock School Barbey depuis 2011. Selon toi, c’est quoi la plus grosse évolution dans le rap ?

Aujourd’hui, c’est beaucoup plus facile de faire des prods. À l’époque, il fallait trouver un beatmaker, qu’il te réponde, qu’il veuille bien te faire une prod. Et il fallait payer des sommes astronomiques… Désormais, tu peux prendre une séance studio de création de prod pour même pas 100 euros. Et ici, tu peux travailler avec des beatmakers certifiés comme Lou Binks, Yaxa et 6AM du studio ERA, avec Morro Nake du studio Titanium, avec Dabli Beats, avec Denza, avec 6PA, avec Noxious… Ils travaillent tous avec des gros noms de la scène rap nationale. Mais ils prennent le temps, lorsqu’ils en ont, de travailler avec les rappeurs bordelais, parce qu’ils ont envie d’aider la ville.

Bordeaux est-elle une ville rap selon toi ? 

Elle l’est ! Bordeaux est une ville rap, notamment sur l’aspect scénique. Je vais te raconter une anecdote. Un jour, il y a un artiste parisien qui est passé à Bordeaux. On avait mis un groupe local en première partie. Ils ont mis le feu, c’était incroyable. En comparaison, le show de l’artiste principal était décevant. Il ne savait même pas tenir son micro… Mais oui, Bordeaux est une ville rap. Rien que la génération des Fello, Rafcha, Talon d’Achille, GBC, La Friture, le collectif Pur Produit Urbain, Sam’s… il y a aussi eu des beatmakers comme Kilogramme prod, qui travaillait avec Despo Rutti, Gradur, Salif, Youssoupha… Aujourd’hui il y a des mecs comme Rekoba qui a fait les prods du dernier projet de Mister You. Denza qui a fait des prods pour Booba et Maes… Il y a beaucoup de noms, je m’excuse auprès de ceux que j’oublie (rires).

Il faut trouver des alternatives aux premières parties pour valoriser la scène locale

Achraf (Rock School Barbey)

C’est quoi la suite ? Vous savez déjà ce que vous allez faire sur le prochain RG RD ?

On y réfléchit. Peut-être des featurings entre nouveaux et anciens, ou alors garçon/fille… on ne sait pas encore.

À ce propos, il n’y a pas beaucoup de filles sur le projet…

C’est aussi parce qu’il n’y a pas beaucoup de rappeuses à Bordeaux ! Je peux les compter sur les doigts d’une main… Pourtant il y a des dispositifs qui essayent de les mettre en avant comme Rappeuz, ou Women Up à Barbey. Mais toute seule, la Rock School ne peut pas faire de miracles…

C’est-à-dire ? Tu trouves que les autres SMAC (Scène de Musique Actuelle) bordelaises n’en font pas assez ? 

Peut-être. Il faut parfois savoir se remettre en question… Oui, on a tous la tête dans le guidon. Oui, on est tous limité·es en termes humains et financiers. C’est une réalité. Mais on peut quand même essayer de faire bouger les choses. C’est ce qu’on a essayé de faire avec cette compil’ par exemple. Il faut savoir se réinventer. 

Il y a quand même pas mal de premières parties de rappeurs locaux dans les autres SMAC… 

Oui, c’est vrai. Et pourtant, c’est de plus en plus difficile de pouvoir le faire. Aujourd’hui, il faut l’aval du tourneur et de la boîte de prod. Et parfois, ils valident seulement une semaine avant, quand ils ne viennent pas directement avec leur première partie à eux. Mais c’est pour ça que je dis qu’il faut se réinventer : il faut trouver des alternatives pour valoriser la scène locale.

À Bordeaux, on est bons pour faire de la musique, moins pour la vendre.

Achraf (Rock School Barbey)

Selon toi, est-ce possible de vivre du rap en habitant à Bordeaux ? 

C’est très compliqué. Soit tes parents sont à l’aise financièrement, et tu peux essayer de vivre de ta passion en étant plus ou moins serein. Soit il faut trouver des alternatives : faire des ateliers d’écritures, avoir un studio, faire des prods, réaliser des clips… grâce à cela, effectivement, certains arrivent à en vivre. Et en parallèle, ils peuvent continuer à développer leurs projets persos. Ils ne roulent pas sur l’or, mais ils ont de quoi remplir leur frigo, payer leurs factures et leur loyer. Et surtout, vivre de leur passion. Ou en tout cas, de façon alternative. 

Ce qui était plus difficile par le passé. 

C’est vrai. Mais parce que le rap s’est démocratisé. Aujourd’hui, tu peux faire des maquettes avec des applis comme Voloco. Avant, il fallait obligatoirement aller en studio. Pour avoir des prods aussi, c’est beaucoup plus facile. Mais il y aussi un revers de la médaille : c’est tellement accessible que tout le monde pense pouvoir être artiste. Sauf que ce n’est pas parce que t’as trois potes qui te disent que ce que tu fais est bien, que ce sera le cas d’un plus large public… ça demande du temps d’être un vrai artiste. Il faut se développer avant d’être réellement compétent. 

Selon toi, pourquoi aucun rappeur bordelais n’a réellement explosé sur la scène nationale ? 

C’est multifactoriel. Par exemple, ici, on fait parfois du copié-collé de ce qui se fait à Paris, mais en moins bien. Alors qu’aujourd’hui, il faut absolument avoir une identité musicale qui soit propre à soi. À l’image de ce que fait par exemple Yvzou qui est présent sur la compilation : il est d’origine comorienne, il le met en avant, et grâce à cela, il fait du buzz sur Tik Tok, au point d’être invité dans des événements sur Lyon et Paris.

Tu peux t’inspirer de ce qui se fait ailleurs. Mais faut l’adapter à soi. Si t’es un gentil garçon et que tu fais le voyou dans tes clips, t’es pas crédible. D’ailleurs, les rappeurs qui sont de vrais voyous, tu peux les compter sur les doigts de la main. Un vrai voyou tu le vois pas, il fait ses trucs dans l’ombre. 

Faut-il obligatoirement aller à Paris pour réussir dans le rap ? 

Ça fait partie des facteurs de réussite. Toute l’industrie est là-bas. Mais t’es pas obligé d’y habiter. Tu peux y rester une ou deux semaines durant lesquelles t’enchaînes les rendez-vous, et revenir à Bordeaux après. Il faudrait surtout plus de labels ici. Et que les artistes s’entourent, qu’ils créent une équipe, avec des gens qui travaillent dans la communication, le management… faut qu’ils se forment pour connaître les tenants et les aboutissants du monde de la musique. Il faut aussi des éditeurs, des producteurs. Des gens qui, quand ton projet est prêt, peuvent le défendre auprès des médias et des maisons d’édition. Ici, on est bons pour faire de la musique. Moins pour la vendre.