2020 vue par… les artistes à Bordeaux

Pour revenir sur cette année particulière et ses conséquences pour la scène artistique et la vie culturelle locale, on se lance dans une série bilan, donnant la parole aux premiers et premières concerné.e.s : les artistes, acteurs et actrices du secteur culturel à Bordeaux. Interrogé.e.s, ils ou elles nous font part de la façon dont l’année s’est écoulée. Premier volet avec des artistes., directement concerné.e.s par la situation. Ces dernier.ère.s racontent ici l’impact de la crise sanitaire sur leur activité, tout en nous parlant de leur projet à venir dans les mois à venir. Merci à Vanupië, Neida, M3C, Khali, Sahara, Lionel Fantomes, Willows, Poumon, Exoslayer, ..,;]) et Guillaume Ruiz.

Photo : © Sahara

Année sinistrée, création impactée

« La première chose à être impactée, c’est la fête ». Cette phrase – la première du témoignage du producteur et dj Neida qui officie chez SUPER Daronne et Wonkey – résume un peu l’état d’esprit général qui règne chez bon nombre d’artistes, habitués de célébrer ensemble divers moments de communions, diurne ou nocturne. Avec l’annulation des concerts, des soirées club et de toute forme d’événements, l’esprit festif a du plomb dans l’aile, et la motivation s’en ressent.

Au-delà de l’extinction des feux de la « teuf », ce sont avant tout des opportunités de développement, de promotion et donc de professionnalisation qui s’évaporent pour un certain nombre de musiciens, comme le souligne Holeteeth du duo Poumon, dont le premier album Perfect Judas est sorti en début d’année. « Le live, c’est le tesseract de notre projet. Inévitablement, c’est là dessus que les premiers impacts ont été ressentis. Par exemple, pour le mois de mai, une tournée de quatre très belles dates en Angleterre est passée à la trappe. » Même chose pour M3C de la nébuleuse We Are Vicious qui explique que « les concerts sont [sa] principale source de revenus, ainsi que le meilleur moyen de faire la promotion du projet ».

Moins souvent abordé, l’impact psychologique et émotionnel sur les artistes revient régulièrement dans les témoignages. « Encaisser la déception de perdre une telle opportunité de promo de ce premier disque c’est une chose, mais la dépression de se dire : putain, je vais pas pouvoir me noyer dans l’énergie des gens pour respirer, je vais pas avoir la possibilité de partager ce qui n’est partageable qu’en live » poursuit Holeteeth.

Une frustration que Lionel Fantomes, dj et producteur, décrit également, lui qui considère que la communication directe avec son public représente « le curseur catégorique d’une soirée réussie. » La photographe Vanupië rejoint elle aussi les rangs des déçu.e.s. « Coincée à Penang, il m’aura fallu trois mois de cohabitation forcée, deux vols annulés, un petit millier d’euros envolés plus tard, pour me résigner à comprendre que les choses devaient s’arrêter là. Même si ce n’est que partie remise, la frustration de voir ce voyage abrégé m’a énormément affectée. »

La solution a été de me focus sur ce que je pouvais faire tout seul.

Pour contrebalancer les effets négatifs de la crise, certain.e.s ont pu relativiser en se concentrant sur d’autres projets, ou en reportant ce qui pouvait l’être. « La solution a été de reporter certaines choses et de me focus sur ce que je pouvais faire tout seul », indique Khali, jeune rapper de Palmer à Cenon. C’est aussi le cas du groupe Sahara. « On s’est concentré sur la création et on a aussi recommencé à donner des cours de musique à domicile. On en a profité pour développer des projets annexes dans notre asso Pazapas. » Le designer graphique Guillaume Ruiz, quant à lui, a vu « plusieurs de [ses] projets reportés à une diffusion dans six mois ou un an, d’autres ont été ralentis ou modifiés ».

Booth vidé, Lionel Fantomes

D’un autre côté, certain.e.s semblent avoir moins encaissé le coup, à l’image de Narcisse, du label Tustance, qui explique que « la crise sanitaire n’a pas particulièrement affecté [sa] pratique ou celle du label. » Il précise : « Au contraire, on a eu plus de temps pour sortir les projets et on a pu pousser notre direction artistique plus loin ! ». En ce qui concerne Pointpointvirgule, l’optimisme du duo semble intact : « Pas de concert donc la méga tristesse de ce côté, mais ça nous a permis de nous concentrer sur d’autres choses pour le groupe ! ».

Quelques lueurs d’espoirs pour 2020…

C’est bien souvent la sortie ou la concrétisation de leurs projets respectifs qui permet aux artistes de ne pas totalement tirer un trait sur 2020. « Mon EP Orchid est sorti sur Le Ciel Records, géré par Sevenbeatz, grâce auquel j’ai vraiment affirmé mon projet, et j’en suis très fier » raconte par exemple Neida. À juste titre, l’année a tout de même été riche en production et en collaboration artistiques : pour Sahara, qui a été accueilli en résidence au Krakatoa ; pour Khali, qui a fait un passage remarqué sur Grünt et sorti un EP ; ou pour M3C, qui a sorti ses trois premiers singles « Pornboy », « Ken » et « Censure » collaboré avec Le Fléau Des Vignobles, réalisé le clip de Kumbia et la prod de Lana pour la chanteuse LL.

Si Shiva, du duo Poumon, tente de voir les choses de façon positive puisque la situation les « pousse à être plus créatifs dans [leur] façon de partager [leur] musique au public », Holeteeth (l’autre moitié du groupe) ne fait pas dans la demi-mesure. « Cette année était un bon gros tas de merde : 50 Shades of Apocalypse. » De son côté, Exo$layer peine aussi à trouver une quelconque forme de réjouissance affiliée à 2020, malgré la sortie de EXOIZEN. « C’est un peu le bordel dans ma vie en ce moment. Il y a eu des hauts et des bas. Du coup, même s’il m’est arrivé des choses positives niveau musique, tout ça est masqué par les choses négatives qui me sont arrivées dans ma vie privée. 2020, niveau mental, ce n’est pas une année où je me suis senti bien. Et ça impacte ma musique. »

Pour d’autres, l’aspect positif se matérialise en une pensée plus philosophique, l’occasion de poser un regard plus objectif sur la société. Guillaume Ruiz reconnaît « un temps opportun pour la réflexion et la prise de conscience, personnelle ou collective », propice au « bilan sur [son] activité et [ses] envies pour la suite ». C’est aussi le cas de Lionel Fantomes qui « garde un souvenir constructifje suis quelqu’un qui positive sans cesse, j’ai vachement travaillé sur moi-même, et je le ressens dans mes choix musicaux ». Dans la même logique, Willows nous indique : « le positif pour moi, c’est l’opportunité de grandir que 2020 représente ». Peut-être l’opportunité ou « l’espoir d’une prise de conscience de l’absurdité du système capitaliste » pour Pointpointvirgule

… en attendant 2021 et de multiples projets

Ici, c’est Khali qui donne le ton : « 2021, je ne compte pas baisser les bras », avant de poursuivre « je ne sais pas ce qui est écrit pour moi, mais je vais drop l’œuvre dont je suis le plus fier à l’heure où j’écris ce message ». Et l’année qui vient promet effectivement un retour en force du côté de la scène des producteurs et productrices du coin, comme en témoignent les projets de Narcisse avec Tustance. « On va sortir de très beaux albums, notamment celui d’un jeune artiste qu’Alice d’Ola Radio m’a fait découvrir : Holyld. En parallèle de la musique, on est en train de créer un lieu participatif autour de l’art à Royan afin de pouvoir organiser des rencontres et des événements quand tout ceci sera terminé. »

L’envie principale, c’est d’anéantir la gravité.

De leur côté, Shiva (qui travaille en parallèle sur son projet solo Shivafinger) et Holeteeth prévoient la sortie de morceaux « dans la continuité de Perfect Judas mais en allant dans une brutalité plus pure, une recherche mélodique et de texture plus poussée ». Et Holeteeth de préciser que « l’envie principale, c’est d’anéantir la gravité ». Comme le duo Poumon, il est clair que la plupart d’entre elles et eux souhaitent s’engager dans de nouveaux projets, dans une dynamique d’évolution. Neida, qui doit sortir un EP sur le label Nezha (monté par la DJ parisienne Roni), cherche aussi à « développer d’autres projets musicaux, toujours axés musique électronique mais avec un côté plus acoustique, organique, dédié à la performance live ».

Exo$layer tente lui aussi une approche différente, avec un nouvel EP « plus poussé, plus travaillé, et peut-être plus personnel ». Il explique : « Je suis quelqu’un d’assez sensible et gentil, mais quand tu le montres trop, ça peut être exploité par certaines personnes. Je vais quand même essayer de montrer un peu plus cet aspect-là. Je sais que ça peut être dangereux dans un sens, parce que les gens ne sont pas forcément prêts à écouter ça, mais je me sens mieux en faisant ce que j’aime. »

EXOIZEN, sortie 2020 d’Exo$layer

Une arrivée massive de nouvelles œuvres, de nouveaux horizons et, forcément, une envie de retour à la scène. M3C exprime cette envie de tourner une nouvelle page, exprime un manque et explique avoir prévu, en plus d’un prochain EP, la naissance d’un nouveau collectif d’artistes. Pour Blondine de Sahara, c’est aussi en tant que spectatrice que le besoin se fait ressentir ; une envie pressante « de voir des concerts avec un son très très fort ». Willows donne le mot de la fin. « Pour 2021, finaliser mon album au studio de Paul Magne et reprendre le chemin des concerts avec les musicien.nes et technicien.nes : juste vivre ! »

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