Rencontre : collectif Amorce, le début de l’ascension

Amorce est un jeune collectif de DJs bordelaises, 100% féminin. Réunies suite à la formation Move UR Gambette qu’elles ont suivies à l’IBOAT, ses membres partagent une vision d’ouverture musicale, et un attachement à leur scène locale. Alors qu’elles écument les lieux de diffusions bordelais depuis plusieurs mois, on est allé·es à leur rencontre, pour évoquer avec elles les questions de représentation au sein de la scène électronique, l’importance du collectif et l’esprit de solidarité propre à leur projet.

Crédit photos : Kévin Picot

Le Type : Qui êtes-vous, membres d’Amorce ? 

piaconcept : Je m’appelle Pia, mon nom d’artiste c’est piaconcept, tout attaché et en minuscules : je me bats un peu pour ça (rires). Je mixe du breakbeat, de la techno bizarroïde, de la drum&bass. J’adore toute la scène UK en fait. Avant d’être DJ, j’ai commencé par la production de musique en faisant de l’IDM, du lo-fi, et j’ai un morceau breakbeat qui est sorti sur Spotify dans l’EP que j’ai fait.

En tant que meuf, c’est compliqué de se sentir légitime d’y aller.

Saari

Bouquet final : Je m’appelle Maylis, mon nom de scène c’est Bouquet final. Je suis rentrée dans la musique électronique aux prémices d’Ola Radio. À ce moment-là, il y avait beaucoup de gars mais je me suis dit que j’avais envie de me lancer en tant que meuf. Ce que j’aime beaucoup c’est la performance, donc j’ai tout un travail autour de ça. Mais quand il s’agit de mixer, j’aime les sons de R’n’B des années 1990/2000, la musique sud-africaine, le kwaito ou bien la house teintée de beats africains. Je suis peut-être la moins énervée de tout le crew en termes de style (rires). 

Saari : Moi c’est Sarah alias Saari. Ça fait 5 ans que je suis dans le collectif SUPER Daronne, mais sans forcément mixer. J’ai toujours regardé les gars du crew performer, je leur envoyais même des sons. Et à un moment donné, j’ai eu envie de me lancer. Mais en tant que meuf, c’est compliqué de se sentir légitime d’y aller. C’est con, mais c’est le cas.

J’ai plusieurs styles. J’adore jouer de l’italo house des années 1980-1990, de la dream house, mais je peux aussi bien passer de la trance. J’ai également un gros volet musiques du monde avec des beats latinos, du kwaito ou de l’amapiano et mon guilty pleasure – qui n’est plus si guilty – le raggaeton ! Depuis jeune j’ai aussi une grosse influence UK avec la grime, le breakbeat, garage, dub, des styles qui peuvent très bien se marier avec des sonorités latines et percussives, à mon plus grand plaisir ! Oui, c’est très éclectique et dense (rires).

Shanixx : Moi c’est Shani connue sous le nom de Shanixx en tant que DJ. L’envie de mixer m’est venue de ma passion pour l’eurodance, l’eurotrance et la techno des années 1990. J’ai grandi dans cet univers-là, et celui des années 2000. Par exemple, j’ai été professeur de step, donc c’est mon délire, je me retrouve dans ces univers rétros (rires). En plus de cela, j’ai fait pas mal de musique acoustique : plus de 5 ans de batterie et de guitare. J’ai donc toujours baigné dans la musique.

Flouf : Je m’appelle Flora et mon nom de scène c’est Flouf. J’ai découvert les musiques électroniques tard, il y a environ 5 ans. Mais j’ai tout de suite eu envie d’apprendre à mixer parce que j’étais dans un groupe de copains qui faisaient tous ça. Ils m’ont vite appris, et j’ai très vite acheté mon premier contrôleur. J’ai beaucoup navigué à travers les styles pour trouver ce que j’aimais. Je suis passée par la house, la techno, j’ai eu une grosse période hard techno, hard trance. En ce moment je découvre la trance, le breakbeat et la bass music.

En parallèle je suis en école de théâtre professionnel. Mon projet serait de mélanger mes deux passions, donc je propose des sets lors desquels je fais des performances au micro. Dès le début, je plonge le public dans un imaginaire commun et chacun.e est libre de créer sa propre histoire, de faire son voyage, au cours du set.

Victorine Prudence : Je m’appelle Sophia, mon nom d’artiste c’est Victorine Prudence. J’ai commencé à mixer pendant le premier confinement. Avec des copains on avait des platines, on s’est dit qu’il fallait les utiliser ! J’ai découvert la musique électronique il y a à peu près 10 ans, puis à force de l’écouter, à force d’aller danser, on a envie de passer de l’autre côté, de voir ce que ça fait. Je mixe principalement de la house, qu’elle soit afro, techno, micro. Puis je fais de la production de musique également !

Je pense que c’est pareil pour toutes : on était trop motivées à l’idée d’avoir les bonnes ressources, le bon matériel, les bons conseils. On savait qu’on allait être entourées par les bonnes personnes.

Shanixx

Amorce est né grâce à la formation de deejaying en non-mixité Move Ur Gambettes, comment en avez-vous entendu parlé ? Quelles étaient vos motivations pour y participer ?

piaconcept : J’en ai entendu parlé par la communication de l’IBOAT. J’ai directement eu la curiosité de m’inscrire, j’avais envie de rencontrer des meufs qui mixent car il n’y en avait pas dans mon entourage. Je ne mixais pas beaucoup, donc j’avais envie de poncer un peu plus tout en étant dans une safe place, un cercle de meufs. Une curiosité artistique aussi.

Crédit photo : Kévin Picot

Shanixx : J’ai vu l’annonce sur Facebook. Puis ensuite, c’était vraiment au culot. J’avais toujours eu le mix en tête mais je n’avais personne autour de moi pour me pousser ou me prêter du matériel. J’ai postulé alors que je n’avais rien à proposer, pas de SoundCloud… Mais finalement j’ai été prise grâce à ma motivation, je savais que je voulais faire ça. Et je pense que c’est pareil pour toutes : on était trop motivées à l’idée d’avoir les bonnes ressources, le bon matériel, les bons conseils. On savait qu’on allait être entourées par les bonnes personnes. 

J’ai entendu parler de cette formation quand j’habitais à Paris. J’étais en soirée, puis j’ai dû partager un Uber avec une meuf pour rentrer qui s’avérait être Bernadette, la fondatrice de Move Ur Gambettes.

Flouf

Flouf : Personnellement, j’ai entendu parler de cette formation quand j’habitais à Paris. J’étais en soirée, puis j’ai dû partager un Uber avec une meuf pour rentrer qui s’avérait être Bernadette, la fondatrice de Move Ur Gambettes. Elle m’a dit que la formation était faite pour les meuf comme moi. Mais à l’époque je pensais que je n’avais pas le niveau. Je me disais que je ne pouvais pas la faire. Finalement, aujourd’hui je prends conscience que c’est vraiment fait pour toutes les meuf qui ont envie de se lancer, même sans pré-requis.

Qui étaient vos formatrices ?

Amorce : Il y a eu Olympe4000 qui nous a fait quelques cours, Bobby Watson pour la technique, Salomée pour les vinyles. 

Shanixx : Un grand cru, toutes ces filles sont incroyables, bienveillantes. Elles nous ont prouvé qu’elles avaient commencé comme nous, et qu’elles ont réussi à progresser, gagner confiance en elles. En plus de la technique, elles nous nous ont transmis leurs expériences plus personnelles.

On est toutes hyper éclectiques, et je pense que sans cette formation on n’aurait sans doute pas monté ce collectif.

piaconcept

Qu’est-ce que la formation vous a apporté ?

Amorce : Des amies pour la vie (rires) ! 

piaconcept : On est toutes hyper éclectiques, et je pense que sans cette formation on n’aurait sans doute pas monté ce collectif. Même si on se connaissait d’avant, je ne sais pas si on aurait eu l’idée d’un collectif avec tant de styles de musique différents. On se partage beaucoup de sons, ça fait des soirées hyper différentes. Jamais je n’aurais cru faire un back-to-back sur de l’eurodance avec du breakbeat, et ça marche pourtant très bien. 

Shanixx : Grâce à ça, dans les soirées, on sent qu’une force nous unit, on a une énergie commune. On a une vibe de partage, ça fait un ensemble cohérent.

C’est hyper important d’avoir un collectif pour ne jamais baisser les bras.

Saari
Crédit photo : Kévin Picot

À 6 on peut aller toujours plus loin. 

Victorine Prudence

Justement, après cette formation, vous auriez pu continuer chacune de votre côté, mais vous avez décidé de créer ce collectif, pourquoi ?

Saari : Déjà pour garder notre force d’action. C’est hyper important d’avoir un collectif pour ne jamais baisser les bras, éviter les coups de mou. En étant plusieurs on se pousse et on est tout le temps en pleine réflexion, en action en se disant « vas-y ce serait trop bien qu’on fasse cette date-là », et tac on la fait. Que ce soit en solo, en duo, ou toutes ensemble. 

Victorine Prudence : Disons qu’à 6 on peut aller toujours plus loin. 

Bouquet final : Et en même temps on est 6 mais on garde et on respecte chacune nos particularités. On se donne aussi les libertés suffisantes, notamment le droit d’accepter d’autres gigs (dates pour mixer, ndlr) en solo à droite à gauche. On a une liberté, un respect mutuel, tout en ayant une synergie et une intelligence à 6.

Shaanix : Puis comme on est toutes potes, si à un moment on a des doutes, on peut se soutenir. Ce n’est pas qu’une question de business. Car oui, effectivement c’est beaucoup plus facile d’avoir un réseau plus large à 6, mais c’est surtout histoire de se donner confiance les unes et les autres, de dire quand ça va et quand ça ne va pas. On se tire vers le haut. 

piaconcept : Et il y a du respect dans le crew. Si une ne veut pas jouer c’est pas grave, si une veut jouer seule c’est chouette. Se la jouer perso, vouloir s’écarter c’est pas grave mais se la jouer collectif c’est cool aussi ! Ce collectif c’est vraiment une vibe feel good.

Et pourquoi Amorce ? D’où vient l’idée du nom du collectif ?

Victorine Prudence : En gros, on était à l’IBOAT lors de la formation. Donc on voulait partir sur le champ lexical du bateau pour garder cette trame, l’origine du collectif. Amorce pourquoi ? Car c’est l’image de quelque chose qui commence. 

Shanixx : C’est aussi une technique de pêche, un appât. Puis, en terme mécanique, c’est quand tu commences à foirer un peu le moteur (rires), donc ça peut partir en live à tout moment ! 

Flouf : C’est aussi un truc qui sert d’explosif ! 

piaconcept : Mais c’est surtout sur la technique de pêche qu’on s’est mise d’accord, car on s’est rencontrées à l’IBOAT, donc ça rentre complètement dans le délire.

Je trouve qu’il y a 8 ans il n’y avait quasiment pas de meufs. Enfin, je n’en avais jamais vu mixer à Bordeaux, maintenant il y en a plein.

Bouquet Final
Crédit photo : Kévin Picot

Vous qui arrivez sur la scène électronique bordelaise, sentez-vous que les choses évoluent concernant les représentations femmes-hommes et minorités de genres au sein des programmations artistiques ?

Bouquet final : Je trouve qu’il y a 8 ans il n’y avait quasiment pas de meufs. Enfin, je n’en avais jamais vu mixer à Bordeaux, maintenant il y en a plein. Même en dehors, énormément s’y sont mises post-confinement : ce n’est plus rare de voir une femme qui ramène sa clé USB avec ses sons dedans en soirée. Ce n’est plus rare non plus de voir une femme qui a plein de dates, de gigs. Avant, il n’y avait pas un chat, pas une chatte (rires) !

piaconcept : Avant, si tu voyais une femme devant le djbooth (lieu où les DJs mixent dans les clubs ou les bars, ndlr), c’était quasiment tout le temps la copine du DJ.

Flouf : Je pense qu’on est dans la transition où les meuf mixent pour respecter des quotas… Donc ce ne sont pas encore des femmes qu’on appelle parce qu’on a envie de les écouter elles. Ça arrive, bien sûr ! Il y a des personnes bienveillantes, mais d’autres tombent rapidement dans le purple washing (usage du féminisme comme stratégie marketing, ndlr).

Shanixx : Personnellement, je ne me suis jamais sentie appelée à jouer parce que je suis une femme. Quand je me fais booker, je suis super bien accueillie à chaque fois. Mais c’est vrai que sur certaines soirées, quand une meuf est bookée, ça arrive que son univers soit moins cohérent avec le reste du line up. Donc ça appelle tout de même à se poser des questions. 

Mais par exemple à Darwin on a eu la chance de faire les Heures Heureuses avec un line up 100% féminin, et les gens ont adoré. Nous aussi, on voudrait plus de dates comme ça mais sans rentrer dans la discrimination positive et effacer complètement les mecs. Ce n’est pas le but de la démarche.

Et en termes de dynamisme, comment trouvez-vous la scène électronique bordelaise ?

piaconcept : Alors, oui ça bouge de ouf. Mais il n’y a pas assez de lieux et ça, il faut le dire.

Victorine Prudence : Et tous les styles ne sont pas assez représentés, pour trouver une soirée house, c’est une galère. Puis quand on est bookée, on est souvent cantonnée à un style en particulier. On nous demande toujours : « Quel style vas-tu jouer ce soir ? » Sauf que c’est toujours difficile de savoir dans quel délire tu vas partir à l’avance. Cela ne laisse pas de place à la surprise, et on ne peut pas vraiment lâcher prise.

Shanixx : Dans les soirées, c’est souvent le même style, dit « commercial », un certain type de techno. Dès qu’on sort des sentiers battus, on va sûrement nous dire : « Attention, cela ne plaît pas aux gens. » Pour l’eurodance, je me suis déjà pris des stops. Heureusement que la Darude (collectif parisien d’eurodance, ndlr) vient à Bordeaux en novembre ! Le public bordelais va découvrir quelque chose de différent. Mais pour le moment on n’ose pas trop s’imposer avec nos styles, on a envie de bien faire pour pouvoir être encore bookée par la suite. Même si on arrive quand même à nous épanouir avec ce que l’on fait !

Quel avenir pour Amorce ? Comptez-vous exporter la machine hors de la région ?

Saari : Oui ! Histoire d’amorcer hors de Bordeaux quoi (rires) !

Shanixx : On aimerait bien aller vers Paris par exemple. On voudrait que le collectif évolue en même temps que nous, que si on commence à bouger, le collectif suive. 

piaconcept : Dans tous les cas on a envie de s’éclater et si on s’éclate, ailleurs, en plus gros, en plus grand et toujours ensemble ce sera top.

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