Quand la danse s’allie à l’étrange : rencontre avec YADĒ

Entretien avec YADĒ, grande gagnante du dernier Tremplin des 2 Rives. S’étant rapidement fait un nom au sein de la scène musicale bordelaise par son univers intriguant et la sortie de son tout premier projet éponyme, l’artiste a accompagné cette actualité par un clip et une release party qui s’est déroulée au Blonde Vénus le 21 mars dernier. On revient ensemble sur sa construction en tant qu’artiste et son 4 titres fraîchement dévoilé.

Crédit photos : Jean-Baptiste Laporte Fray

Le Type : Peux-tu te présenter et nous raconter comment tu t’es lancée dans la musique ?

YADĒ : Je suis YADĒ, artiste musicale de la région bordelaise et aussi infirmière à l’hôpital psychiatrique de Bordeaux. La musique a toujours fait partie de ma vie. Quand j’étais petite, j’ai très vite pris l’habitude de retenir toutes les paroles de toutes les chansons que j’écoutais. J’ai des vidéos de moi enfant en vacances au Portugal qui chante « Zombies » de The Cranberries (rires).

La musique m’anime de tout mon être. Elle stimule mon cerveau, mon corps, mes émotions… Elle me fait juste trop du bien. J’irais même jusqu’à dire que c’est presque thérapeutique. C’est quelque chose que j’observe sur moi et les autres, dans le cadre de mon travail d’infirmière avec mes patient·es.

Plus jeune, j’ai pas mal jonglé entre la musique et la danse. Mais c’est quelque chose que j’ai toujours gardé pour moi. Je ne chantais jamais devant des gens, ce n’était pas quelque chose que j’avais réellement déjà considéré, par cause de légitimité. En 2020, j’ai vécu le confinement avec des gars qui sont musiciens, et l’un d’eux m’a suggéré de poster une vidéo de moi qui chante, sur Instagram. Même si j’étais perplexe, je l’ai fait. Tout est parti de là. J’ai eu beaucoup de retours – et uniquement des retours positifs. Sur le moment, ça m’avait choqué de voir autant de personnes m’envoyer des messages comme quoi je chantais vraiment bien, au premier degré.

C’est suite à ça que j’ai commencé plus sérieusement à chanter, notamment en faisant des reprises avec Julien Pierre, mon producteur. C’est peu de temps après, en février 2023, lors du tout premier concert de ma vie pour lequel je faisais la première partie du groupe Limerence, que je suis littéralement tombée amoureuse de chanter devant des gens. J’ai réalisé que ça me faisait du bien, que c’était quelque chose qui était hyper important pour moi.

Tu as sorti ton premier projet éponyme le 22 mars dernier. Pourrais-tu revenir sur la conception de cet EP dans son ensemble ? Quels ont été tes choix artistiques et esthétiques et quelles sont les personnes qui ont travaillé avec toi sur ce projet ?

C’est directement suite à ma toute première scène et à toute l’euphorie que ça m’a engendré, qu’on s’est dit avec Julien Pierre qu’il y avait quelque chose à faire. On a donc pris la direction de la création d’un premier EP. 

Tout a commencé à se professionnaliser assez vite, suite au Tremplin des 2 Rives qui a énormément accéléré tout le projet de l’EP. En vérité, je ne m’attendais pas du tout à gagner le tremplin. C’était très inattendu, ça a été un gros coup de boost pour l’égo évidemment, mais je me posais aussi beaucoup de questions de légitimité à ce moment-là. Je pensais qu’il y avait des personnes beaucoup plus méritantes de ma place.

Ce sont les gens autour de moi, mes proches, mes ami·es ou ma famille qui ont créé ma légitimité.

YADĒ

Au-delà de ça, ce sont les gens autour de moi, mes proches, mes ami·es ou ma famille qui ont créé ma légitimité. Ils elles ont soutenu mon projet – et il n’y a rien de plus motivant pour moi. Rien que pour ça, je leur en suis hyper reconnaissante. Si YADĒ existe c’est bien sûr en partie grâce à moi (rires), mais c’est surtout grâce à toutes les personnes qui ont été derrière moi.

Pour la création de l’EP, c’est Julien Pierre qui a essentiellement tout porté, du début à la fin. C’est-à-dire que, sans lui, je n’existerais pas telle quelle – et le projet non plus. C’est vraiment la personne qui a le plus contribué à la construction du projet, qui l’a alimenté tout le long. Étant donné que je n’y connais franchement pas grand-chose en termes de production, c’est lui, monstre de la musique qu’il est, qui était force de proposition. Je faisais des retours comme ; « Ça j’aime bien, mais pour je verrais plus des sonorités dans ce style. » Il arrivait à retranscrire ce que je voulais, alors que parfois ce n’était pas très clair (rires).

Je voulais donner un côté cinématographique à l’EP.

YADĒ

Je suis très sensible au sound design, aux bruits, aux respirations… Je voulais donner un côté cinématographique à l’EP, avec une ambiance creepy, presque horrifique dans les productions. Les gens ne sont peut-être pas sans savoir que je suis très inspirée par l’univers de Tim Burton. Depuis toute petite, j’ai notamment une obsession pour le personnage de Jack dans L’Étrange Noël de monsieur Jack. C’était donc inévitable que je veuille retranscrire tout ça dans ma musique. Ça s’est fait très naturellement.

À la base, tout est parti de Julien Pierre et de moi, et au fil du temps l’équipe s’est rapidement agrandie. Hugo et Romain qui sont des amis ont énormément aidé en manageant tout le projet. Sans eux, je n’aurais pas réussi à faire ne serait-ce que la moitié de leur travail. Surtout que je suis infirmière à côté, j’avais donc une grosse charge mentale et du mal à couper mon cerveau de mon taff. En plus de ça, ils m’ont aiguillé car ils sont aussi musiciens. Ce sont eux qui ont monté la structure Belle Marianne dont je fais partie aujourd’hui.

Lors de tes performances live et même dans le clip de « Monseigneur », c’est évident qu’il y a une symbiose entre ta musique et ton expression corporelle. On sent que tu y accordes beaucoup d’importance. Comment la danse influence-t-elle ta manière d’interpréter ta musique en live, et en quoi cette connexion renforce-t-elle ton expression artistique ?

Effectivement, quand je suis sur scène il y a un truc qui se passe dans mon corps qui est incontrôlable. C’est quelque chose qui m’est indispensable. Si je reste droite comme un piqué, je ne sais pas chanter. J’irais même jusqu’à dire que je me sens comme possédée sur scène. C’est de manière extrêmement naturelle, je laisse vraiment beaucoup de liberté à mon corps pour s’exprimer. C’est aussi un très bon moyen d’extérioriser mon stress et ma timidité, car j’ai souvent le trac avant une scène. 

J’ai fait beaucoup de danse dans ma vie mais tout ce que j’ai fait, à savoir du modern jazz et du dance hall, n’a rien à voir avec ce que je peux faire aujourd’hui sur scène. J’ai une certaine aisance corporelle, par exemple j’ai tout le temps besoin de lever mes bras, ce qui explique pourquoi je n’ai jamais chanté avec le micro en main (rires).

Le fait de regarder les gens est aussi hyper important. Avoir cet eye contact, cette connexion avec le public quand je m’exprime par le chant et par mon corps : tout ça alimente ma performance de manière exponentielle quand je suis sur scène. Comme tu disais, c’est vraiment une symbiose entre mon corps et la musique, et rien ne peut aller sans l’autre, je ne peux absolument pas chanter sans bouger. C’est quelque chose que j’ai immédiatement remarqué lors de mon premier concert en février 2023. Il y avait énormément de mouvement et d’expression avec mon corps, j’ai donc évidemment joué de ça pour la suite. Et c’est resté.

Pourquoi avoir opté pour la réalisation d’un clip spécifiquement pour « Monseigneur » parmi les quatre titres de ton EP ? On peut percevoir une atmosphère fantastique, presque surnaturelle dans le clip, à travers les jeux de lumière, les tenues et la présence des danseuses autour de toi. Quelles ont été tes principales sources d’inspiration artistique pour la création de ce clip, et quels choix créatifs as-tu faits pour capturer cette ambiance particulière ?

J’ai opté pour la réalisation du clip de « Monseigneur » pour plusieurs raisons. Déjà, c’est le premier morceau qu’on a terminé parmi les 4 de l’EP. C’est aussi le plus dynamique. Pour nous c’était aussi le plus léger à mettre en scène. « Monseigneur » parle de mes potes qui sont littéralement toute ma life. C’était donc logique de mettre ce son en avant. J’y raconte mes soirées avec mes potes, dans les boîtes de nuit de Bordeaux, où on passait tout notre temps. Pas forcément à se mettre des murges, mais juste à s’amuser à fond. J’aimais bien cet angle de décompression et j’ai voulu le relier à l’enfer. On a donc voulu mettre en place cette liaison cinématographique pour cette chanson qui me parlait énormément. 

Je voulais vraiment avoir cette image d’une meuf qui sort faire la fête avec ses monstres, parce que pour moi mes potes c’est comme mes petits monstres qui embellissent ma vie.

YADĒ

Je voulais vraiment avoir cette image d’une meuf qui sort faire la fête avec ses monstres, parce que pour moi mes potes c’est comme mes petits monstres qui embellissent ma vie. Pour ce qui est du clip, il faut savoir que la version finale n’est absolument pas ce que j’avais en tête au tout début. À la base, j’avais imaginé quelque chose en extérieur, de beaucoup plus scénarisé. Mais Étienne Renollet, le réalisateur, est venu recadrer un peu mieux mes idées pour quelque chose de plus réalisable (rires).

Je voulais surtout que les gens se prennent une claque visuelle et se disent « ah ouais les plans sont vraiment stylés ». Parce qu’au-delà du plan visuel, l’histoire que je raconte dans le clip passe plus au second plan, ce qui est voulu. Évidemment, je voulais qu’il y ait un côté creepy, qui est notamment amené par les danseur·euses trempé·es, mais aussi par le dernier plan du clip que j’adore, qui est une idée d’Étienne Renollet, inspiré directement du film Melancholia

Pour l’anecdote, à la base le son s’appelait « After dans l’Église ». Finalement, on ne l’a pas gardé tel quel – bien que ça annonçait assez bien la couleur. On a préféré « Monseigneur » car c’est le vrai nom d’une boîte de nuit dans laquelle on est pas mal sorti,. Vu qu’il y avait la connotation religieuse, ça rentrait mieux dans le thème et dans l’EP.

Ton premier EP est sorti sous le label Belle Marianne. Qu’est-ce qu’on peut attendre de YADĒ pour la suite ? Tu as déjà des dates de concert de prévues, tu as notamment ouvert pour Feldup à la Rock School Barbey le 18 avril dernier. Mis à part ça, est ce que tu travailles sur d’autres choses en parallèle ?

Étant donné que l’EP vient juste de sortir, j’ai pour projet de le faire vivre. Pour ça, on a prévu de tourner une session live de l’EP avec une reprise, dans une prison abandonnée à La Réole, entièrement dédiée à l’art, avec une vraie mise en scène. 

Au-delà, on va essayer de faire pas mal de dates, car c’est la scène que j’adore faire. C’est quelque chose qu’il faut que je travaille davantage pour être encore plus à l’aise et délivrer les meilleures performances possibles. Avec Julien Pierre on est déjà en train de réfléchir à de nouveaux sons, de nouvelles compos, et pourquoi pas commencer à réfléchir à un second projet plus ambitieux, dans un style plus cinématographique, même si ça sera dans quelques temps. 

De manière générale je m’estime extrêmement chanceuse de pouvoir vivre tout ce que je vis, d’avoir rencontré toutes les personnes que j’ai pu rencontrer. À l’avenir, j’aimerais simplement rester sur la même lancée et continuer à bien m’entourer pour faire des projets qui me font vibrer.

Comment perçois-tu la scène musicale bordelaise ? Quelles sont tes relations et affinités avec les autres artistes locaux ?

Je trouve que Bordeaux est génial en ce qui concerne la musique. Même si j’y habite depuis très longtemps, je n’avais jamais vraiment été dans cette scène artistique telle que je la connais à ce jour. Il y a énormément de lieux propices à l’évolution des artistes de la scène musicale émergente à Bordeaux. Par exemple les open mics, les scènes ouvertes… Même pour trouver des dates, je trouve que c’est beaucoup moins galère qu’une ville comme Paris où il y a énormément de monde.

Il y a une certaine émergence artistique et culturelle à Bordeaux qu’on ne retrouve pas ailleurs.

YADĒ

Je trouve que les gens ici sont hyper ouverts, curieux de découvrir de nouveaux artistes. Bordeaux est une ville remplie de personnes qui soutiennent la culture à fond, qui lui donnent une grande place, que ce soit la musique ou l’art sous toutes ses formes. Il y a une certaine émergence artistique et culturelle à Bordeaux qu’on ne retrouve pas ailleurs.

J’ai vraiment rencontré des super personnes à Bordeaux en tant qu’artiste, mais qui sont aussi devenus mes potes. Je pense à FILS. ; pour l’anecdote on avait d’abord discuté sur Instagram mais on ne savait pas qu’on était nous deux de Bordeaux. Quand on l’a réalisé, on s’est vu et on a très vite commencé à faire de la musique ensemble.

Qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ? Aurais-tu des recommandations de tout genre pour nos lecteurs et lectrices ?

Alors ce que j’écoute en ce moment, et ce depuis la sortie du film, c’est la BO du film Pauvres Créatures sorti en début d’année. Je m’inspire énormément de cette BO pour la construction de mes futurs morceaux/projets. C’est mon graal, c’est à dire que je n’écoute que ça en ce moment. C’est en boucle dans mes oreilles.

Si je devais donner d’autres recommandations, ce serait évidemment la BO de l’Étrange Noël de Monsieur Jack (quand je suis chez moi j’ai le vinyle qui tourne en boucle). Je vais aussi citer en artiste française Zaho de Sagazan que je trouve très badass et très cohérente dans sa musique.