Alors que la première édition du tremplin rap Prouve avait lieu en octobre dernier, rencontre avec ses fondateurs, Abyl et Valentin.
Crédit photos : Noam et Mamsko
Le 7 octobre dernier, avait lieu le tremplin Prouve à la Rock School Barbey, un concours de rap auquel tous les rappeurs et rappeuses de Bordeaux étaient invité·es à participer. Les récompenses pour la ou le vainqueur ? Des séances studio et de mastering, mais aussi et surtout la possibilité de jouer aux Yardland festival et au festival Free music, ainsi que de signer un contrat chez Argentic music, un label d’Universal.
Sur place, parmi le jury, étaient présents des pontes de l’industrie du rap : Sam’s, rappeur originaire de Lormont et désormais bien connu du grand public pour ses rôles dans la série Validé ou dans des films tels que Patients ; Noxious, beatmaker bordelais qui a produit pour les plus grandes stars du rap telles que Niska, Gazo et SCH ; Mekolo Biligui, journaliste rap reconnue dans le milieu ; Bazik de chez Believe ; ou bien encore Yoan Prat, co-fondateur du Yard festival et de la cérémonie Les flammes.
Mais comment tout ce beau monde a-t-il pu se retrouver à Bordeaux ce soir-là ? Qui a bien pu réussir à les convaincre de venir alors que ce n’était que la première édition ? Réponse : Abyl et Valentin, deux jeunes bordelais âgés seulement de 19 ans, qui ne connaissaient personne dans l’industrie il y a un an, mais qui, armés de leur détermination, ont réussi quelque chose d’assez unique à Bordeaux. Retour avec eux sur les coulisses de la création du tremplin Prouve.
« Faire un événement qui réunit tout le monde »
Tout commence en septembre 2022. Alors qu’ils sont chez le coiffeur, un ami d’Abyl et Valentin leur parle du rap bordelais et de ses différentes problématiques, notamment du manque de visibilité. Au fil de la discussion, ils se rendent compte qu’ils ont une solution potentielle pour chaque problème évoqué. Une révélation. « Ce jour-là, on s’est dit : plutôt que de se contenter d’en parler entre nous, pourquoi ne pas passer à l’acte ? »
Première étape : faire un état des lieux des forces en présence à Bordeaux. Leur premier constat ? Que les rappeurs bordelais ne se mélangent pas assez. « Chaque événement a son propre public. Les kickeurs boom-bap old school, ils vont faire des open-mic. Par contre ceux qui font des choses plus chantées, ou ceux qu’on appelle “les rappeurs de studio”, ils iront jamais dans ce genre d’événements. Nous, nous voulions faire un événement qui réunit tout le monde. »
Accessibilité et échelle nationale
Second constat ? Les événements rap bordelais ne sont pas accessibles à tous. « À Bordeaux, il y a déjà des événements rap. Des open-mic, le tremplin Buzz Booster… Mais si tu n’es pas déjà dans les circuits, c’est compliqué de les connaître et d’en faire partie. Nous, on voulait faire venir tout type de profil : celui qui n’a jamais rien sorti et qui ne connaît personne, comme celui qui a déjà une mini carrière derrière lui et qui est déjà identifié. »
Enfin, troisième constat, et pas des moindres : les événements bordelais ne dépassent pas les frontières de la ville. « Il y a déjà des événements locaux, comme le Buzz Booster. Mais nous, dès le départ, on voulait faire un événement à échelle nationale. » Et ce, même si c’est la première fois qu’ils organisent un tel événement. « Dès la première édition, on a voulu ramener les pionniers de l’industrie musicale. On s’est dit qu’on était jeunes, qu’on n’avait rien à perdre. Finalement, on a réussi à ramener Believe, Universal, des gars de Canal +… »
« C’est Abyl qui attaque, et c’est moi qui défend »
Partant de ces différents constats, les deux jeunes étudiants (l’un en communication, l’autre en génie civil) se répartissent les tâches : Valentin s’occupe du local et l’organisation technique de l’événement, et Abyl est plutôt sur la partie nationale et la recherche de gros partenaires. « C’est Abyl qui attaque, et c’est moi qui défend » explique Valentin.
Dès lors, ils vont chercher à contacter les personnes importantes de l’industrie par n’importe quel moyen, que ce soit via les réseaux sociaux, mais aussi et surtout via n’importe quel événement possible. Résultat ? Plus de 30 allers et retours entre Bordeaux et Paris. « Nous aussi on a prouvé » rigolent les deux potes.
Puis un jour, leur travail de longue haleine finit par payer : au Buzz Booster de Bordeaux, ils rencontrent Julien d’Errro music (manager de Ziak), qui, convaincu par la détermination et l’envie des deux jeunes qu’il a en face de lui, croît en leur projet. Il leur donne alors des conseils et des contacts.
Le rôle des rencontres
Mais ce qui va surtout leur donner un gros coup de pouce, c’est la L2P convention qui a eu lieu à Châtelet en février dernier. Conférence réunissant des membres importants de l’industrie musicale, c’est là qu’ils se font le plus de contacts. « On y a rencontré des gens de chez Warner, de chez Red Bull… »
De fil en aiguille, ils rencontrent alors des personnalités importantes telles que Yoan Prat de Yard (« c’est une grosse inspiration pour nous »), ou Zino d’Only pro, le label de Soprano. Ils assistent également aux Flammes, la cérémonie qui récompense les rappeurs. Des interlocuteurs qui se sont multipliés au fur et à mesure de leurs rencontres. « Il y a une règle qui dit qu’avec seulement trois personnes, tu peux être en contact avec n’importe qui. Et bien cette règle-là, on l’a appliquée à fond » se remémorent-ils.
« Ils n’ont presque pas eu le choix d’accepter tellement j’étais enthousiaste »
Et pour les convaincre de croire à leur projet, notamment les jurés, pas de stratégie particulière : il suffit de laisser parler Abyl. « Je suis un bousillé de rap, j’ai beaucoup étudié l’industrie à travers des interviews ou des podcasts. Alors, lorsque je les rencontrais, c’est comme si je les connaissais déjà. Je pense que c’est ça qui a fait que l’on a paru crédibles. Et j’étais tellement déterminé… ils n’ont presque pas eu le choix d’accepter tellement j’étais enthousiaste » se marre-t-il.
Et au fait, comment on fait pour financer tout ça ? « On est en totale indépendance. On ne marche qu’avec des marques, aucune subvention publique. De toute façon, à Bordeaux, les institutions mettent surtout de l’argent dans l’électro. Et puis, on voulait faire un événement pour les cultures populaires, par les cultures populaires. »
Des candidatures fermées au bout d’à peine 30 minutes
Vient alors le moment de s’attaquer concrètement au contenu de cette fameuse soirée Prouve. Ils décident de la répartir en trois épreuves. Une première en forme de battle de rap en un contre un, avec 3 mots imposés à mettre obligatoirement dans son texte, à l’issue de laquelle la moitié des 16 candidats est éliminée. Une seconde au format freestyle, avec des instrus boom-bap et trap imposées, durant laquelle les rappeurs s’affrontent par groupe de trois. Enfin, les trois membres du trio gagnant se défient dans une dernière épreuve où ils jouent chacun un morceau de leur choix devant le jury, placé juste derrière les candidats, et qui a voté à main levée. « En faisant ça, on voulait rendre hommage au breakdance, qui est une discipline hip-hop importante pour nous et que j’ai pratiqué » décrypte Valentin.
Place ensuite le moment de sélectionner les candidats. Une sélection qui génère un énorme engouement : alors que les rappeurs et les rappeuses avaient une semaine pour déposer leur candidature, et que seulement les 100 premiers étaient gardés par les organisateurs de Prouve, les candidatures ont dû être fermées au bout d’à peine 30 minutes. Puis, aidés notamment par Blackapar, professeur à la Rap School Barbey, ils ont sélectionné les 16 candidats pour le tremplin (dont notamment Maydo, Jeebs et Noham que l’on a déjà interviewé dans Le Type de Rap). Une sélection qui, lors de son annonce, ne fait pas que des heureux parmi les rappeurs bordelais, qui n’hésitent pas à manifester leur mécontentement sur les réseaux sociaux. « S’il y a eu de la frustration, c’est que c’était un bon événement, que les gens voulaient être sélectionnés » réplique le duo.
Enfin, arrive le moment du concours tant attendu. Verdict ? Au bout d’une soirée enthousiasmante et riche en rebondissements (même si un poil trop longue), c’est finalement Nailoss qui finit par remporter la compétition. C’est aussi et surtout une énorme victoire pour le jeune duo, en qui personne ou presque ne croyait au départ, et ce, jusqu’au jour de la soirée, qui a réuni tout de même près 600 personnes. « Le plus important, c’est que la soirée a permis de connecter plein de monde. Y’a un rappeur qui a obtenu un rendez-vous avec Believe par exemple. »
Une soirée réussie, malgré quelques frustrations
Une soirée qui s’est très bien déroulée dans l’ensemble, sans trop de couacs, mis à part un clash qui a failli dégénérer : alors qu’Alphamass et Wvlter, rivaux dans la vraie vie, se sont affrontés en un contre un lors de la première épreuve, et que le ton est monté assez haut, Sam’s s’est chargé de faire baisser la pression en rappelant les valeurs de fraternité et de partage du hip-hop. Une rivalité dont les organisateurs étaient au courant. « Quand on a annoncé qu’on avait sélectionné Wvlter pour Prouve, on s’est fait insulter par la moitié de Bordeaux. On a alors appris qu’ils étaient en embrouille à cause d’histoires de quartier. Mais quand on a consulté leurs équipes, ils nous ont dit qu’ils étaient chauds de régler leurs comptes en musique. On s’est dit pourquoi pas, que ça allait rajouter un peu de piment à la soirée… au final ça s’est bien terminé, ils se sont même serré la main. »
Mais malgré de nombreux retours positifs ( « le manager de SDM nous a dit que ça parlait de Prouve jusqu’au concert de SDM à l’Olympia »), Abyl et Valentin ne sont pas entièrement satisfaits. « Il y a des choses qu’on n’a pas pu faire par faute de moyens et de temps. À la base, on voulait par exemple qu’il y ait un graffeur qui écrive Prouve en direct durant la soirée. On voulait aussi faire venir 1pliké140 pour qu’il fasse un mini-concert, mais ça, on a préféré annuler pour ne pas mettre trop la lumière sur lui au détriment de la compétition. »
Surtout, un gros pan du tremplin Prouve a dû être écarté au dernier moment. « On voulait aussi qu’il y ait un bus équipé d’une scène qui passe dans les quartiers de Bordeaux et de ses alentours, et que les qualifications pour le tremplin se passent là-bas… mais ça, ça sera sans doute pour la prochaine édition. » Une prochaine édition qui pourrait avoir lieu à la rentrée prochaine. En attendant, ils vont accompagner Nailoss pour sa signature chez Argentic Music puis sa tournée des festivals, continuer les études, ou encore aller chercher la petite sœur de Valentin à l’école, ce qui sonne la fin de notre entretien. « Rendez-vous à la rentrée ! » clament-ils avant de repartir, avec la détermination qui les caractérise.