On a rencontré Lunar, artiste émergent et indépendant de la scène bordelaise. Avec lui, on a discuté de son premier projet solanin de 4 titres sorti le 16 novembre dernier, de la nouvelle génération d’artistes de la scène musicale actuelle et de son approche artistique mêlant rock alternatif et hyperpop.
Le Type : Peux-tu te présenter et nous raconter comment tu t’es lancé dans la musique ?
Lunar : J’ai 22 ans, je fais de la musique depuis 5 ans. J’ai commencé sur SoundCloud en 2018, avec de l’emo rap. À l’époque, j’étais fanatique de cette scène et d’artistes comme Lil Peep, Nothing Nowhere… Par la suite, j’ai un peu débridé mon style en explorant un rock alternatif mêlé à ce que les gens aiment appeler aujourd’hui l’hyperpop. Depuis, je n’ai jamais arrêté de faire de la musique.
Entre 2018 et 2019, j’étais actif uniquement sur SoundCloud. C’était une période où j’essayais à beaucoup de choses. Je n’avais pas la volonté d’évoluer sur d’autres plateformes ou de partager ma musique à un plus grand public. À cette époque, SoundCloud n’avait vraiment pas la même portée qu’aujourd’hui. C’était une musique de niche.
À partir de 2020, j’ai confirmé mon trajet rock et hyperpop, en faisant notamment de la musique avec mon collectif de l’époque, Maison. C’est un collectif qu’on avait créé avec Thanas, Ptite Soeur, sim, bromaz, Gee, wiljahelmaz et matilin que j’avais rencontré à ce moment-là et avec qui je me suis tout de suite très bien entendu. On continue toujours de faire de la musique ensemble aujourd’hui.
Tu as sorti ton premier EP solanin le 16 novembre dernier. C’est ton premier projet de ce genre : quelle signification a-t-il à tes yeux ?
Effectivement, c’est mon premier « vrai” projet. Malgré tout, je ne sais pas si je peux dire qu’il porte une signification particulière à mes yeux. C’est parti de deux singles qui traînaient sur mon PC, « bullshit » et « trapnest ». Seulement, j’étais lassé de sortir des singles à droite à gauche car, même s’ils sont très travaillés et que je veux faire ça d’une manière un peu pro, finalement ça ne marquera pas l’esprit des gens. Parce que ça ne reste “que” des singles.
Je voulais marquer une étape, assumer une esthétique forte, avec un projet plus sérieux. C’est en ce sens que j’ai construit mon EP, sur des styles qui me sont propres, à savoir le rock alternatif, le shoegaze et la digicore. C’est un projet que je préparais depuis mai 2023. Ça me tenait à cœur d’ancrer mon identité à travers lui.
Peux-tu revenir sur la conception de cet EP dans son ensemble ? Quels ont été tes choix artistiques et esthétiques, et qui sont les personnes qui ont travaillé sur ce projet avec toi ?
À la base, l’idée de l’EP m’est venue lors d’un séminaire avec d’autres artistes de la scène émergente où l’on s’était retrouvé pour faire du son. Étaient présent·es Tomiroo, Marsiane, Ptite Soeur, sim, nekko… Dans ce cadre j’ai rapidement trouvé la voie que je voulais prendre pour mon EP. Je voulais faire un entre-deux avec ce que j’ai toujours voulu faire, à savoir du rock alternatif et du shoegaze, mêlé à de la digicore avec énormément de cuts, d’effets de glitchs, etc. J’en profite pour mettre en lumière crypp, 1admiinn et guda qui sont les producteurs qui ont travaillé avec moi sur l’EP, et shybot qui a mixé et arrangé tous les sons, sans qui le projet n’aurait jamais abouti.
Ensuite, j’ai pas mal réfléchi à la dimension visuelle et graphique du projet. Pour cela, je me suis énormément inspiré d’œuvres en tout genre. À commencer par solanin qui est un manga d’Inio Asano qui m’a beaucoup marqué. Mais aussi de l’esthétique du cinéma indépendant japonais des années 2000 avec des décors et des visuels très froids, des plans fixes avec des personnes seules, l’hiver sur la plage…
Musicalement parlant et par rapport aux thèmes abordés, j’ai voulu avec solanin retranscrire ce passage à l’âge adulte où tu te traines tes problèmes d’adolescents. Des traumas, ta vie passée, des relations défectueuses, la peur de l’avenir et une grosse bonne dose de nostalgie… J’aime bien ce côté “désespoir” qui est présent notamment dans l’œuvre d’Asano, comme une bouteille jetée à la mer destinée à quiconque tomberait dessus. Je fais aussi référence au manga Nana d’Ai Yazawa, notamment dans « trapnest », ainsi qu’au roman Bleu presque transparent de l’auteur Ryu Murakami dans « août », ce sont deux œuvres qui m’ont profondément marquées.
L’EP a été construit avec beaucoup d’inspirations. C’est un projet très personnel avant tout. J’en suis particulièrement fier et j’estime que les 4 morceaux sont les plus aboutis que j’ai pu faire. C’est la concrétisation de tout ce que j’ai voulu faire avec Lunar pendant 5 ans.
Lunar
Comment qualifier la scène émergente dans laquelle tu t’inscris musicalement ? Quelles esthétiques elle représente à tes yeux ? Et comment observes-tu la nouvelle génération d’artistes de cette scène ?
Étant donné que j’évolue au sein de cette scène émergente depuis un certain temps, je me sens hyper proche d’elle. Je trouve cette nouvelle scène incroyable ; tout le monde collabore ensemble. Il y a une entraide constante entre les musicien·nes, les graphistes, les gens qui documentent tout ce qui se passe dans la scène… Tout le monde y trouve son compte, chacun·e donne beaucoup de force aux autres. Ça pousse indéniablement la scène vers le haut.
Je trouve que les producteur·ices et beatmakers sont les personnes qui représentent le mieux cette scène. En ce sens, je suis content qu’on leur laisse une place importante car ils et elles font un travail monstrueux et méritent d’être reconnu·es à leur juste valeur. C’est un peu un contraste avec la scène mainstream où les producteur·ices sont souvent moins mis en lumière et un peu effacé·es par rapport aux « gros » artistes, du fait d’un manque de liberté dans leur travail. Les graphistes jouent aussi un rôle important dans cette scène en lui donnant une forte dimension visuelle. Je pense notamment à mon pote Helliot qui est beaucoup investi dans le graphisme, la 3D et la DA.
Il faut voir cette scène « émergente » comme un microcosme où tout le monde s’investit à la même échelle qu’au sein de la scène mainstream, sauf que tout le monde est autodidacte, libre de faire ce qu’il ou elle veut dans ses choix, ses réalisations.
Lunar
Je pense que cette nouvelle génération est une réaction à un ras-le-bol général de tout ce qu’on peut consommer sur toutes les plateformes de nos jours ; les médias, la radio, la télé… Derrière, il y a un public qui est désireux de découvrir de nouvelles sonorités et de nouvelles choses.
Quelle est ton expérience du live ? On t’a notamment déjà aperçu à la rêves party 6 organisée par le collectif Rêves… Tu vas réitérer ce genre de type de dispositif ?
Je suis grave tombé amoureux de la scène. Ça a été une vraie révélation pour moi. La rêves party 6 était ma première et unique expérience dans le domaine, mais j’ai déjà prévu de réitérer en 2024 avec 2 dates prévues, probablement à Rennes.
Lors de la rêves party 6 je n’étais pas trop stressé, d’autant plus que le public de la scène Rêves est un public avec lequel j’étais familier, ils donnent beaucoup de force et je savais qu’ils et elles allaient être réceptif·ves à ma musique. Pour mes prochaines dates, ce ne sera pas forcément le cas donc j’appréhende un peu plus, mais j’ai très hâte. J’ai la volonté de faire quelque chose de plus organique, de ne pas simplement ramener mon micro mais ramener ma basse sur scène, peut être un groupe…
J’ai envie de faire mon rock d’ordinateur sur scène, avec une énergie live.
Lunar
En parlant de ta musique tu mentionnes parfois le #defaultrock, de quoi s’agit-il ? Plus largement, quelles sont tes inspirations musicales ?
Le #defaultrock est une vanne à la base, pour dire que je fais du rock d’ordinateur en réponse à toutes celles et ceux qui critiquent le rock qui dénote un peu des codes classiques. J’en ai juste fait ma marque de fabrique et j’aime bien le caler un peu partout pour rigoler (rires).
Je suis passé par énormément de phases niveau inspirations. J’ai écouté beaucoup de rock des années 2000, du punk rock : Papa Roach, My Chemical Romance, Bring Me The Horizon, Paramore, Sum 41… J’ai aussi mangé toute la vague shoegaze ; My Bloody Valentine, Glare, julie, Fleshwater, Deftones… Puis mine de rien j’ai aussi été pas mal inspiré par de la pop, notamment dans mes lyrics ; Lana Del Rey, Mélanie Martinez… Je m’inspire aussi naturellement de mes potes, de la scène émergente de manière générale ; Guizy, sim, Ptite Soeur ou Thanas pour ne citer qu’eux.
Qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ? Aurais-tu des recommandations de tout genre pour nos lecteurs et lectrices ?
Déjà du côté de mes potes je vais faire une petite propagande SoundCloud ; allez stream sim, Ptite Soeur, Guizy, Marsiane, Thanas… J’écoute énormément julie en ce moment, le groupe de shoegaze dont je parlais, y a aussi Jane Remover et quannnic qui font partie de la même scène. Sinon j’écoute toujours mes classiques qui tournent en boucle dans ma playlist, ça va de Linkin Park à Irko plus récemment qui est dans un registre complètement différent, puis je terminerai par le groupe Pale Waves qui m’a beaucoup inspiré que j’apprécie particulièrement.