En décembre 2021, l’album culte Nevermind de Nirvana fêtait ses 30 ans d’existence. Les plus grands amateurs du groupe en profitèrent pour rendre hommages aux 27 ans de la mort de son chanteur mythique, Kurt Cobain. Les plus grands adeptes d’entre eux allèrent même jusqu’à composer un album hommage au groupe, sous forme de cover. Eux ? Deux labels (le bordelais Flippin’ Freaks et Nothing Is Mine), accompagnés d’une belle tripotée de groupes, dont de nombreux locaux. Pour l’occasion, les têtes-pensantes des deux labels détaillent leur démarche et donnent la parole à certains des groupes qui ont joué le jeu en proposant une reprise de Nirvana, dans le cadre de ce French Tribute To Nirvana.
Le Type : Au-delà des 30 ans de l’album Nevermind fêtés en décembre dernier, pourquoi avoir fait le choix d’un tel hommage à Nirvana ?
Hugo : 2021 marque effectivement les 30 ans de Nevermind, mais c’est aussi les 27 ans de la mort de Kurt Cobain. Personnellement j’ai toujours voulu faire une sortie hommage à Nirvana. Mais je n’ai jamais su comment m’y prendre. Je savais juste que je ne voulais pas faire un petit EP de moi tout seul à reprendre Nirvana. Et, comme je sais que la musique de Kurt Cobain fut quelque chose qui à donné envie à beaucoup de se lancer dans la musique et la composition, je me suis dis que le plus beau « merci » qu’on pourrait offrir à Nirvana serait de tout simplement faire un album regroupant pleins d’artistes différents qui reprennent la musique de ce groupe.
Alexis : Si tu demandes à tous les membres fondateurs du label Flippin’ Freaks quel a été le groupe le plus important de leur vie, ils te répondront tous la même chose. Et une bonne partie des artistes qu’on signe sur le label également. Sans parler de l’écriture des morceaux qui est incroyable, il y a un truc dans la musique de Nirvana qui parle à ceux qui se sont sentis à un moment de leur vie exclus. Souvent, c’est pendant l’adolescence, mais pas que. Faire de la musique, c’est trouver un remède à ça. Le symbole est d’autant plus fort en réunissant plein de musiciens autour de cette compilation.
Comment s’est fait le choix des groupes qui ont participé à ce tribute ?
Hugo : Ce projet de compilation s’est fait quasiment en même temps que celui du Capharnaüm du Noise Kollektief (première sortie de Nothing Is Mine). Au début, je demandais juste à mes potes de participer. Et puis, d’un coup, sans trop réfléchir, je me suis mis à contacter pleins d’artistes que je n’ai jamais racontrés (ou vus une fois sans trop faire connaissance) et que j’admire, en leur proposant de participer à cette compilation. Je m’attendais bien sûr à me prendre plein de vents, mais bizarrement, beaucoup était chauds. Et ça m’a encore plus encouragé à faire de cette sortie un hommage imposant, varié et unique. Et ça m’a aussi encouragé dans la création de mon label Nothing Is Mine qui a pour but d’unir tous les artistes, peu importe leurs villes d’origine.
On a vu cette collaboration comme une belle opportunité de rendre hommage à un groupe qui nous a tous changé à jamais et qui, aussi, nous a tous permis de se rencontrer et de lier une amitié forte.
Hugo (Nothing Is Mine)
Comment la collab’ entre Nothing Is Mine et Flippin’ Freaks s’est-elle mise en place ?
Hugo : Cette collaboration avec Flippin’ Freaks s’est faite très simplement. Quand j’ai proposé l’idée de m’occuper du projet d’Influencesticide: A French Tribute To Nirvana à mes potes du Flippin’ Freaks, ils étaient déjà très chaud de le sortir sur leur label une fois la compilation prête. Et comme je venais de créer mon label, je leur ai proposé que je le sorte aussi sur mon label (qui à l’époque n’avait rien sorti). On a vu cette collaboration comme une belle opportunité de rendre hommage à un groupe qui nous a tous changé à jamais et qui, aussi, nous a tous permis de se rencontrer et de lier une amitié forte.
Alexis : Ça faisait un moment qu’on fantasmait un album de cover de Nirvana. Puis, un beau jour sans prévenir, Hugo s’est pointé en proposant de porter le projet et de rassembler tous les artistes et toutes les chansons. On a forcément tous été hyper emballés par l’idée. C’est vrai qu’on traîne tous un côté « fan obsessionnel » du groupe et que ça participe vraiment au ciment de notre amitié.
Place désormais à quelque-uns des artistes qui ont participé à cet album-hommage : ils expliquent ici le choix qui les a guidé vers tel ou tel morceaux qu’ils ont repris pour Influencesticide: A French Tribute To Nirvana.
Opinion – Heart Shaped Box
J’avais déjà enregistré plusieurs reprises de Nirvana auparavant… Mais pour la compilation, je voulais justement avoir une cover exprès pour cette sortie (et ne pas juste selectionner une vieille sur mon ordinateur). Je me suis au départ mis sur « Moist Vagina » en début avril 2021 ; c’est une chanson B-side d’In Utero que j’adore. Mais après avoir reçu toute les autres reprises pour la compilation en fin novembre, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas vraiment de reprises de « tubes » dans la compilation. J’ai donc laissé tombé « Moist Vagina » pour tenter de reprendre un des tubes du groupe.
J’ai donc choisis « Heart Shaped Box », qui est une chanson magnifique. J’ai repris la chanson exactement comme l’original car j’adore justement ce challenge d’enregistrer une cover et de faire du mieux que tu peux pour « sonner » comme l’original. Comme si tu avais l’occasion d’enregistrer la chanson original. J’ai juste rajouté une sorte d’intro noise pour ouvrir la compilation avec un nuage de son massif.
J’ai tout enregistré un soir de début décembre à mon appartement à Gradignan, juste avant de faire les courses. La batterie est programmée. Toutes mes guitares et basses ont été branchées et enregistrées directement sur ma carte son. Toutes mes prises étaient ratées et sonnaient mal. Mais comme je ne pensais pas pouvoir faire mieux, j’ai essayé de faire « sonner » le tout en faisant un mixage lo-fi et shoegaze. Je ne sais pas si c’était une bonne idée mais sur le moment je trouvais que ça sonnait plutôt pas mal.
J’étais d’humeur étrange quand je l’ai enregistré. J’étais méga content de reprendre cette chanson de Nirvana. Mais en même temps, j’avais un peu honte car je sais que je ne sonnerais jamais aussi puissant et sincère que l’original. Mais, d’un point de vue de « reprise en hommage à Nirvana », je me sens énormément fier d’avoir fait cette reprise. Et je suis encore plus fier de cette compilation qui, à mes yeux, est un magnifique « merci » à Nirvana et à la musique de Kurt Cobain.
TH da Freak – Opinion
J’ai choisi de reprendre « Opinion » car c’était avant tout un clin d’œil à Hugo Carmouze, l’instigateur de cette compilation, qui a donné son nom à son projet musical à cause de cette chanson obscure de Kurt Cobain jouée dans une radio universitaire. C’était une manière pour moi de lui faire plaisir et de le remercier d’avoir lancé cette idée de compilation. En plus, c’est une chanson que j’aime beaucoup, et vu qu’elle a été seulement jouée acoustiquement en solo, il y avait plein de place pour instrumentaliser le morceau, ce qui est intéressant. J’ai rien voulu évoquer de particulier en reprenant le morceau, j’ai juste essayé d’être plutôt fidèle à la version radio (l’unique version du morceau qui existe) car il y a bugs audios à des moments, une présentation du morceau un peu hésitante en introduction et j’ai essayé de recréer tout ça à ma manière, comme si j’étais à la radio pour jouer un morceau avec plusieurs clones de moi-même comme Naruto. Mon état d’esprit était uniquement celui de quelqu’un qui s’amuse en faisant de la musique, j’étais en pleine cours de récréation, en fait. J’étais dans ma zone de confort, en caleçon dans ma chambre avec une banane dans la main droite, une guitare dans l’autre et le timbre de la caisse claire qui grésille à chaque accords joués sur mon ptit ampli à 15 balles.
Meha – About A Girl
De base, je voulais prendre « All Apologies » mais Ornella de Teeth l’avait déjà bossée. Le refrain est hyper happy, ça m’amusait de casser ça en y mettant un mood plus grave. L’idée de base était de faire une version beaucoup plus épurée que l’originale, orientée vers des esthétiques plus dream pop / shoegaze. La version « acoustique » est un peu arrivée naturellement. Pour le mood du moment, on était en gueule de bois avec Thomas, qui m’a aidé à enregistrer. On a fait ça un soir au studio, c’était un moment hyper doux.
SIZ – Been A Son
C’était dur de faire un choix parmi tout ces morceaux incroyables. Je me suis dit que personne n’allait le prendre, alors je l’ai pris. Je n’y ai pas vraiment réfléchi quand j’ai repris ce morceau. J’avais envie que ça sonne cool. Quand je me suis penché sur le morceau « Been a Son », je me suis demandé quelle vibe je voulais avoir. Je ne voulais pas juste essayer de capter la vibe original du morceau avec le son pété de ma carte son M Audio. Et finalement l’aborder d’un point plus pop psyché m’est venu naturellement et j’ai bien aimé.
Stoner Bud’s – Territorial Pissings
Parmi les méandres de la discographie de Kurt, on a choisi « Territorial Pissings » pour la simple et bonne raison qu’on aimait l’énergie qu’elle dégage et ça depuis notre adolescence. Une époque à laquelle on ne se connaissait pas encore, c’est pour dire. Alors ça nous a semblé évident de la choisir vu qu’on est nostalgiques et qu’on s’est dit qu’elle correspondait bien vu notre musique. On voulait rester suffisamment proche de l’originale pour en retranscrire l’énergie tout en gardant un aspect, à mon avis plus proche de notre style, quelque chose un peu plus garage, un peu plus léger. Aussi on a pas pu s’empêcher de modifier la fin pour faire un peu de bruit, on espère que ça vous plait ! À vrai dire, enregistrer cette chanson était un peu une sorte de grande récréation et par la même occasion ça nous a permis d’apprendre les paroles ! On a fait ça instru par instru, tous ensemble, c’était cool. On avait jamais repris du Nirvana avant et on a passé un super moment. Merci Hugo !
Pierre Gisèle – All Apologies
Avant, j’habitais avec Alexis de Pretty Inside et on s’était demandés quel morceau déjà existant on aurait rêvé composer. Nous avions tous les deux répondu « All Apologies ». Du coup, c’est un petit clin d’oeil à notre amitié. Je voulais être fidèle à l’original, tout en ajoutant ma petite touche personnelle.
Kursed Kobain (Yannis Beck) – Heart Shaped Pissings (a territorial pissings cover)
C’est une des chansons les plus simple, puissante et punk de Nirvana. Je me suis rendu compte que les accords etaient similaires a ceux de « Heart Shaped Box », alors j’ai commencé à m’amuser avec ça et j’ai fini par faire un accordage propre à cette cover. Ça marchait bien et ça changeait pas mal l’ambiance de la chanson… J’écoutais beaucoup Pornography des Cure à ce moment, alors j’ai balancé de la reverb partout et une drum répétitive, et voilà, elle est moins punk et violente et plus dreamy et sombre.
Cosmopaark – Sappy
J’ai choisi « Sappy » parce que, quand j’étais petit, j’avais une compilation d’unreleased et de live de Nirvana qui s’appelait With The Light Out, j’adorais avoir l’impression de découvrir des chansons inconnues de ce groupe que j’adorais. Et « Sappy » était un vrai coup de cœur. On est partis sur une reprise réarrangée, à notre style. J’ai toujours préféré les reprises réarrangées, je me dis que si on a envie d’écouter la même version que le groupe, on écoute directement la version originale ! « Sappy » c’est un peu la contraction de Sad et Happy, donc on a cherché à créer un arrangement très contrasté avec beaucoup de dynamique et en amenant quelques influences shoegaze.
Equipe de Foot – Something In The Way
On a choisi « Something in the Way » parce que c’est un morceau incroyable, que les paroles sont magnifiques et écrites avec une classe surnaturelle, je trouve. Ensuite d’un point de vue plus pratique, elle est assez simple techniquement , et on était dans une période où j’avais pas trop de temps et où on était pas dans la même ville, donc on a du faire pas mal de choses un peu en speed et à distance. Mais elle a beau être techniquement facile à reprendre, elle n’est pas si facile à interpréter justement ! Tout le monde n’est pas Kurt Cobain, hein ! Donc on a décidé de s’y jeter comme on fait nos démos, c’est à dire en se faisant plaisir sur les arrangements, sans trop se soucier du résultat, juste en essayant de profiter du morceau incroyable qu’on avait sous la main !
On a mis tout un tas de trucs qu’on aime bien mettre, des orgues, de la folk un peu crado, des petites batteries avec de la disto dessus et on a essayé de l’interpréter à notre manière ! C’est pas forcément évident de reprendre un morceau en étant pertinent quand on considère que ce morceau est déjà parfait comme ça, mais disons qu’on a profité de l’occasion pour s’amuser sur une chanson qu’on admire et qu’on aime à la folie, en espérant que des gens trouveront ça cool à écouter !
Kim Ivanenko – Beans
J’ai travaillé sur un groupe que j’aime pas et finalement c’était super plaisant de pouvoir rehabiller quelqu’un dont je n’aime pas le style. J’ai voulu choisir la musique la plus cheloue de Nirvana avec le moins de contenu pour pouvoir la retravailler en apportant mon univers. Et pour l’état d’esprit j’étais de très bonne humeur avec une idée bien en tête de ce que je voulais donc ça a été super rapide à composer !
Pretty Inside – Clean Up Before She Comes
Il y a un truc qui joue souvent dans mon rapport à la musique d’un groupe, c’est sa relation à l’intime. La charge intime de Nirvana est immense, et j’adore la chanson « Clean Up Before She Comes » justement parce qu’elle parle précisément de ça, d’ouvrir son espace pour quelqu’un. En tout cas, j’ai remarqué que c’est un truc vers lequel je tendais systématiquement dans mon écriture pour Pretty Inside. « Clean Up Before She Comes » est d’autant plus chargée de ce sens là que c’est une démo bien cachée au sein de quelques compiles. Et mon espace de liberté était d’autant plus grand pour la réinterpréter. J’ai essayé de l’enregistrer un peu comme si elle s’était trouvée sur In Utero : une batterie très dynamique, des contrastes forts entre des couplets décharnés mais obsessionnels, et des refrains aux guitares très rugueuses. J’ai enregistré la chanson seul car ça me semblait essentiel pour transmettre ce rapport d’intimité.
Barimore – Dumb
Pour moi « Dumb » a été la porte d’entrée vers ce Kurt Cobain intimiste et torturé qui a sauté aux yeux des gens avec l’Unplugged et, inévitablement, avec sa mort et tout ce qui l’a engendrée. Le morceau dénote vraiment avec le reste d’In Utero qui sonne plutôt comme un grand vacarme colérique. Là, d’un coup, même quand tu es un gosse et que tu ne saisis pas les paroles, tu comprends que le mec est triste, voir au fond du trou, et qu’il n’y plus grand chose à faire. « Something In The Way » a ce truc aussi.
Comme beaucoup, j’ai voulu lui rendre hommage par quelque chose qui m’a marqué dès le départ chez Nirvana et je pense que c’est ça : mettre la compo et les émotions au centre. Un mec qui chante tout seul (enfin pas totalement ici) avec une guitare acoustique, tu vois tout de suite s’il joue un rôle ou non, s’il se contrôle, il est à poil à quoi. C’est un peu grâce à ça que j’ai autant aimé Elliot Smith plus tard. Donc voilà, juste par respect. Et sinon ce fichu violoncelle m’a toujours envoûté, dés la première écoute. C’était un défi de l’imaginer autrement. Sinon le but était d’en faire un autre morceau, clairement un morceau qu’on aurait pu composer et sortir. D’ailleurs on est clairement parti des mêmes pre-sets que sur nos démos, vous verrez un jour.
Damian Sybelles – Something in the way (requiem)
C’était une évidence, je n’ai pas douté, ni réfléchi. C’est peut-être le seul morceau que je pouvais reprendre. Je voulais évoquer l’absurdité de l’espèce humaine en le transformant en un cri du cœur. Je l’ai fait en 3 prises, une pour chaque instrument, très rapidement. Je voulais un sentiment brut. Ce jour là j’étais dans un drôle d’état : j’avais l’impression que quelque chose clochait justement… Le lendemain, j’apprenais avec surprise le décès de mon père qui était déjà parti alors que j’enregistrais. C’est ainsi que sa tonalité se densifia peu à peu, et il se transforma en un requiem.
- Pour écouter Influencesticide: A French Tribute To Nirvana dans son intégralité, c’est ici.