Art et NFT : entretien avec Memory Scale

On a échangé avec l’artiste bordelais Memory Scale qui a récemment vendu une œuvre en NFT. Alors que le sujet est au cœur de nombreuses discussions dans le monde de l’art, l’artiste explique ici concrètement comment il en est venu à créer sa propre œuvre sous ce format.

L’artiste bordelais Memory Scale s’aventure depuis plusieurs années sur des sonorités électroniques ambient et expérimentales depuis Bordeaux. Régulièrement convié (à l’IBOAT, au CAPC…) pour ses live envoûtants, l’explorateur d’univers oniriques a récemment découvert les possibles qu’offrent une technologie récemment apparue au sein de l’industrie musicale : les NFT. Depuis plusieurs mois, ces « token non fongibles » sont au cœur de plusieurs discussions. Véritables opportunités pour rémunérer les artistes pour certains, bulles spéculatives pour les autres, voire technologie polluante : ils suscitent les passions. Pour y voir plus clair et comprendre concrètement comment les NFT fonctionnent, on a donc posé quelques questions à Memory Scale, sur Memory is the fourth dimension to any landscape, l’œuvre qu’il a réalisé sous ce format et qu’il a proposé sur la plateforme Catalog.

Le Type : Tu as sorti il y a quelques mois ta première œuvre en NFT, Memory is the fourth dimension to any landscape. Peux-tu pour commencer nous expliquer rapidement et de la manière la plus simple possible ce que sont les NFT ?

Memory Scale : J’avoue que, même pour moi, ce n’est pas complètement limpide ! Mais la meilleure explication est de comparer ça à des cartes Panini. Imaginez des cartes éditées en exemplaire unique qui seraient vendues, puis revendues, etc.. Sauf qu’au départ, celui qui édite la carte décide du pourcentage de la valeur qui lui reviendra lors de toutes les transactions futures. Et aussi le fait que la carte contient les informations à propos de son créateur originel, informations qui ne peuvent être ni modifiées, ni falsifiées. Voilà, en gros. Les spécialistes du NFT vont me tomber dessus et ils auront raison, mais disons que ma connaissance s’arrête là !

Pourquoi avoir choisi de proposer une œuvre sous ce format ?

J’ai été alerté de l’existence des NFT par un très bon ami à moi, Julien v3ga qui est codeur créatif et artiste numérique. Il a déjà développé depuis quelque temps son travail autour d’œuvres graphiques générées par du code, puis traduites sur papier grâce à l’utilisation d’une imprimante “plotter”, un traceur qui utilise un bras se déplaçant sur les axes X et Y et au bout duquel on place un stylo. Je conseille à tous d’admirer son travail sur son profil Instagram.

Venant du code, ses œuvres ont tout de suite trouvées leurs places dans le mouvement du NFT d’art numérique. J’ai trouvé ça intéressant, mais je me demandais s’il y avait une utilité pour la musique dont la base numérique n’entre pas dans son ADN. On peut transformer un morceau de musique en fichier audio, formé de 0 et de 1, mais son écoute – et donc son existence – ne peut se matérialiser qu’à travers une diffusion dans l’air.

L’œuvre est unique, comme un tableau dans une galerie, ou sur le mur de son propriétaire.

Memory Scale

Mais bien évidemment des développeurs ont commencé à proposer des plateformes visant à adapter le processus de transformation d’un fichier audio en NFT. J’ai découvert Catalog au début de l’année, qui n’était accessible que par invitation, étant encore en mode bêta. Après plusieurs échanges, j’ai pu intégrer les fils de discussions du projet, poser des questions, faire des feedbacks et ainsi avoir une vision plus claire de ce que je pouvais faire. Chacun a son idée mais, pour moi, il fallait intégrer cette idée que l’œuvre est unique, comme un tableau dans une galerie, ou sur le mur de son propriétaire.

Memory is the fourth dimension to any landscape, œuvre NFT de Memory Scale

Quel est le prix de l’œuvre que tu proposes et quel intérêt de l’acquérir alors qu’on peut l’écouter gratuitement en ligne ?

Le prix de l’œuvre est fixé par l’artiste et les échanges se font en cryptomonnaie (ce qui est logique, car son existence est basée sur la blockchain, l’ADN numérique qui renferme toutes les informations du NFT et qui est non modifiable par quiconque). Chacun peut donc choisir le prix de départ, mais cela reste réaliste.

Le buzz autour des milliardaires du NFT a surtout touché l’art numérique au début, mais en ce qui concerne la musique, la priorité actuelle reste la liberté de création, l’autonomie artistique et le plaisir de participer à cette nouvelle aventure.

Memory Scale

Sur Catalog, dont l’esprit est très ouvert et passionné, les personnes intéressées par « gagner de l’argent avant tout » sont quasi inexistantes. Le buzz autour des milliardaires du NFT a surtout touché l’art numérique au début, mais en ce qui concerne la musique, la priorité actuelle reste la liberté de création, l’autonomie artistique et le plaisir de participer à cette nouvelle aventure.

Soit vous fixez un prix d’achat immédiat, soit un prix de départ sur lequel les personnes peuvent enchérir. Comme sur Ebay ! Pour ma part, je considère cela comme une expérience et mon prix de départ est fixé à 0,1 Ethereum, ce qui équivaut à l’heure où je réponds à 210 euros.

Celui qui se portera acquéreur du morceau recevra bien sûr le fichier audio original, mais a la possibilité, via un lien sécurisé, d’acquérir bien plus. Là aussi, c’est l’artiste qui décide de ce que seront ces « bonus ». L’idée est déjà bien connue, notamment de musiciens américains, qui utilisent Patreon ou les souscriptions Bandcamp. Une personne soutient financièrement un artiste et en retour obtient un accès à du contenu VIP : morceaux exclusifs, vidéos, tickets de concert, etc. C’est juste du mécénat en fait.

Pour ma part, je vois ça comme un coffret DVD avec le film, la version director’s cut, celle avec les commentaires du réalisateur, des stickers, etc.. Cela permet aussi de reconnecter avec le monde physique et d’offrir des objets. J’ai édité pour l’occasion un livre en un seul exemplaire qui sera envoyé au premier acheteur. Il recevra aussi un poster en exemplaire unique lui aussi, une cassette audio, toute ma discographie en digital et l’artwork en HD.

Mais d’autres possibilités existent : disque vinyle, vidéos, les fichiers séparés du morceau, les presets des synthés utilisés (pour les music nerds), etc. C’est un gros boulot pour l’artiste mais cela valorise son travail créatif, je trouve.

En quoi les NFT peuvent-ils être une opportunité pour le champ artistique ?

Je crois que cela permet de pousser plus loin l’univers musical, d’y mettre plus d’implication, de garder le contrôle de sa musique. Ça implique aussi une relation artiste / possesseur de l’œuvre, une notion nouvelle pour les musiciens mais bien connue dans l’art visuel. Ce n’est pas quelque chose qui remplace les autres formes de diffusion (physique, streaming) mais qui s’inscrit en parallèle. On peut alors réfléchir sur plusieurs tableaux, ne pas se sentir prisonnier des formats imposés par des services comme Spotify. Je me suis dit il y a peu que si Prince était toujours parmi nous, il aurait sûrement déjà fait un NFT !

Mais que l’on ne se méprenne pas, je reste très attaché aux différents formats classiques et je continuerai à sortir des albums en digital ou en physique, à être présent sur Bandcamp ou Soundcloud. Le NFT ne fait qu’élargir un peu plus le champ des possibles.

Mais c’est surtout au niveau des droits d’auteur que l’avancée est grande. Grâce à la blockchain, le copyright est central. Il reste présent quelques soient les utilisations commerciales. Des services de streaming basés sur les NFT se développent, utilisant le fichier originel comme source de diffusion, mais avec l’aval de l’auteur. Concernant les labels tentés par le NFT, je les vois prendre un rôle de galeristes. Petit à petit, des méthodes de partage de revenus se mettent en place lors de la création de NFT, ce qui permet les collaborations et tout simplement d’intégrer la notion de groupe dans la composition musicale.

Bon, je parle bien sûr de musique indépendante. Je ne sais pas comment les majors vont s’adapter mais on peut penser que, tant qu’ils auront de bons juristes, ils resteront malgré tout toujours les propriétaires de la galerie, des œuvres et des artistes !

Mais l’idée est aussi de collaborer et de fusionner les domaines de création. Avec Julien v3ga, nous souhaitons pourquoi pas proposer une application dont le visuel génératif interagit avec la musique, elle aussi générative. Proposer un objet audio/visuel en constante évolution.

La plateforme Catalog sur laquelle Memory Scale a vendu son NFT

D’autres artistes (Aphex Twin par exemple) s’y sont essayés. Est-ce que certains t’ont inspiré ?

Pas vraiment. La contribution d’Aphex Twin valait surtout par la création vidéo de Weirdcore me semble-t-il. Ritchie Hawtin et Boyz Noize sont les plus connus présents sur Catalog, mais finalement j’ai plutôt regardé les proposition de Maelstrom qui sont vraiment intéressantes, notamment au niveau des « bonus » et du fait qu’il cite les développeurs des plugins qu’il utilise et les intègre donc indirectement dans son NFT.

Certaines critiques ont émergé sur l’empreinte carbone des NFT. On les dit notamment très polluant… Quel est ton regard sur cette question ?

C’est une problématique. Au sein de Catalog, je vois qu’elle est vraiment prise en compte. C’est en plus une génération qui y attache de l’importance et qui travaille pour créer une technologie qui puisse régler le problème. Lors de la création de NFT, on doit d’ailleurs payer des « gas fees », des taxes pour compenser l’énergie nécessaire aux transactions informatiques. Mais compenser n’est pas solutionner.

Bon, après, on peut dire aussi que faire des vinyles n’est pas le top de l’écologie non plus (fabrication, transport), et ce depuis les années 1970. Idem pour les CD’s. Sur la même technologie, je n’ai pas beaucoup vu non plus d’articles sur l’empreinte carbone des transactions boursières.

Comment as-tu abordé la création de cette œuvre spécifiquement ?

Je travaille beaucoup sur la musique générative avec des séquenceurs aléatoires et des instruments de composition musicale qui intègrent des idées de machine learning. Et puis j’adore enregistrer mes prises d’instruments en une seule fois, en assumant les erreurs, la limitation de mon jeu. Mais bien souvent de la spontanéité naît des choses qui me dépassent, me surprennent. Donc enregistrer un morceau sur ces bases, et qui donc sera impossible à rejouer à l’identique, le rend unique. Rien de nouveau ou de révolutionnaire, beaucoup de musiciens utilisent ce genre de processus, notamment grâce aux synthétiseurs modulaires. Mais à mon humble niveau c’est ce que j’ai choisi.

Quelles lectures / médias conseillerais-tu pour se documenter et s’informer sur les NFT ?

Je ne sais pas trop… J’utilise pas mal Medium comme source d’informations et je suis tombé sur quelques articles bien rédigés sur le sujet. Le problème est qu’il faut éviter les sites trop généralistes ou ceux qui abordent le rapport NFT/musique mais uniquement par l’aspect financier. En français, peut-être celui-ci ou celui-là.

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