La « mission collective » de Bordeaux Open Air : sauver le festival

Il y a quelques semaines, Bordeaux Open Air lançait une collecte un peu particulière. Un peu moins de 10 ans après sa création, le festival annonçait faire appel au soutien de son public et de sa communauté. L’objectif ? 50 000 € à récolter en 60 jours pour « Sauver Bordeaux Open Air ! ». L’association portant « BOA » doit en effet rembourser des dettes pour assurer la pérennité de son projet. On fait le point sur cette campagne avec son équipe, alors que déjà plus de 400 personnes ont participé à la cagnotte mise en ligne sur HelloAsso.

Crédit photo (couverture) : Arthur Brémond

Le Type : Pouvez-vous revenir sur la situation que traverse actuellement Bordeaux Open Air ?

Bordeaux Open Air : La première édition du festival Bordeaux Open Air a été faite en 2016. Tout se passait très bien, jusqu’en 2019 inclus. Malheureusement, un peu comme pour tout le monde, la période de la Covid-19 a bien entamé notre trésorerie. Quand le festival a repris en 2022, cela ne s’est pas déroulé comme on l’avait espéré : un peu moins de public présent, moins de consommation au service restauration.

Sachant que notre modèle économique est basé sur 80% de consommation pendant le festival, 5% de subventions et 15% de mécénat sponsor, nous dépendons du public et de sa présence. Nous ne récoltons pas d’argent grâce aux entrées, notre festival étant totalement gratuit et ouvert à toutes et tous.

L’année prochaine serait celle de nos 10 ans. C’est aussi la raison pour laquelle nous n’avons pas envie de nous arrêter en 2024.

Bordeaux Open Air

Ajouter à cela une période de canicule qui a engendré des annulations de dates… Le mélange de tout cela a fait que l’association a fini 2022 avec des dettes. L’année 2023 a été une bonne saison et cela a couvert une partie de nos dettes. Mais pas la totalité. Pour cette édition 2024, nous avons donc décidé de faire appel au soutien de notre public afin de rembourser nos dettes, de proposer une bonne édition cette année et de repartir sur de bonnes bases avec nos prestataires et fournisseurs. L’année prochaine serait celle de nos 10 ans. C’est aussi la raison pour laquelle nous n’avons pas envie de nous arrêter en 2024.

Plutôt que de rendre vos événements payants, vous faîtes donc le choix de solliciter votre communauté. Pourquoi ?

Pour replacer un peu dans le contexte ; le festival a été créé à partir de 2 volontés : créer un rendez vous accessible à toutes et à tous. Pour cela, le prix joue un rôle central. La gratuité était au cœur de la démarche.

Crédit photo : Arthur Brémond

La deuxième volonté était de démocratiser les musiques électroniques. La plupart du temps, les événements autour des musiques électroniques sont peu accessibles, soit car ils sont dans un environnement fermé (la nuit tard), soit car ils sont payants. Le festival Bordeaux Open Air à été construit pour aller au-delà de ces barrières. Cela fait partie de son ADN ; nous avons donc à cœur de le garder totalement gratuit.

Si on le rend payant, on casse la démarche d’accessibilité que nous avons voulu mettre en place, celle qui rassemble tous les profils. Après mûres réflexions et après avoir pris en compte l’idée du format de prix libre – avec lequel nous ne sommes pas forcément à l’aise – nous avons pris la décision de proposer à notre public de nous aider à travers cette collecte.

C’est une proposition que l’on fait à notre public pour une mission collective : sauver le festival.

Bordeaux Open Air

Comment prépare-t-on une campagne de financement participatif aussi ambitieuse ? Quels sont les obstacles à relever dans une telle situation ?

Préparer une campagne de financement c’est comme créer un projet. On passe par énormément d’étapes, on doit prendre beaucoup de recul, se demander qui on est, comment est ce qu’on veut solliciter notre public.

Cela commence par se rendre compte qu’il faut faire cette campagne, accepter le fait de la faire et se demander comment la mettre en avant et la proposer à notre public. C’est pour cela qu’on a imaginé comme un projet plutôt qu’une levée de fond, quelque chose de sincère, qui nous ressemble.

Crédit photo : Arthur Brémond

C’est une proposition que l’on fait à notre communauté pour une mission collective : sauver le festival. Pour nous, c’est l’occasion d’être plus transparent·es avec notre public, notamment en exposant notre modèle économique. C’est aussi bien s’entourer. Pour cette campagne on a fait appel à des artistes proches du festival pour proposer des contreparties. On a également fait appel aux acteur·ices qui nous entourent, aux autres associations, à nos partenaires en leur demandant de nous suivre dans l’aventure chacun à sa manière, en donnant ou en relayant.

Une telle campagne demande une régularité quotidienne, il faut continuer à parler au public. Nous sommes très content·es du lancement. 60 jours pour sauver BOA c’est l’idée que la campagne se termine juste après notre premier événement et que sa mission soit vraiment de sauver le festival.

Vous proposez plusieurs contreparties pour les donateurs et donatrices. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez réfléchi à celles-ci ?

Parmi les contreparties il y a eu des idées en interne, notamment le faux ticket ou le « shut up and take my money ». Et en ce qui concerne les objets, il y a le t-shirt DDP, la casquette avec un dessin de l’artiste Briand, une œuvre d’art de Charl Zarl ou le shooting photos avec Miléna Delorme. Ce sont effectivement des artistes qui ont travaillé avec le festival et qui ont décidé de nous soutenir à leur manière en faisant don de leur art. Ils et elles ont été très solidaires avec nous, cela nous a touché.

On a voulu le faire d’une manière qui nous ressemble, en nous permettant d’être un peu plus symbolique avec le ticket ou que cela corresponde à ce qu’on fait : rassembler des artistes de manière responsable et bien faite. Par exemple, au lieu de faire des milliers de t-shirts avec notre logo, nous avons décidé de faire une vraie collaboration avec une marque locale qui est en train de renaître. Pareil pour la casquette brodée et l’affiche imprimée dans un atelier local. C’est faire d’une manière qui nous correspond.

@Arthur Brémond

À quoi correspondent les 50 000 euros demandés dans la campagne ?

Pour remettre dans le contexte, les dettes que nous avions s’élevaient autour de 80 000 euros. Nous avons ensuite fonctionné par paliers. La première problématique était celle de la trésorerie. C’est-à-dire que pour que le festival existe il faut pouvoir payer les personnes qui travaillent, payer des billets d’avion d’artistes, faire les premières dépenses. Cela équivaut environ à 20 000 euros et c’est ce qui garantit l’édition 2024.

Le palier de 50 000 euros est celui qui va sécuriser le projet, dans le sens où il va permettre d’avoir une avance suffisante et réussir à rattraper au maximum nos dettes. Le dernier palier est là comme symbole. 80 000 euros nous permettraient de remettre les pendules à l’heure et de faire un retour à 0 pour nous. Ce serait une façon d’avoir nos dettes derrière nous, de faire notre édition 2024 et de pouvoir envisager une édition d’envergure pour nos 10 ans avec de nouveaux projets, et toujours garder nos valeurs culturelles.

On reçoit des subventions à hauteur de 5% de notre budget. C’est en cela que l’on se déclare indépendant.

Bordeaux Open Air

Sur la page de la campagne, vous faîtes un exercice de transparence en décrivant en pourcentage la répartition de vos recettes et en expliquant qu’il s’agit du modèle économique d’un « festival indépendant et autofinancé à hauteur de presque 85% de son budget. » En quoi cela garantit selon vous une forme d’indépendance ?

Souvent, pour les festivals culturels, il y a cette différence qui est faite entre les festivals indépendants et les festivals subventionnés. On reçoit des subventions à hauteur de 5% de notre budget. C’est en cela que l’on se déclare indépendant.

Les moyens financiers nécessaires à l’organisation de nos événements, l’assistance au maintien de notre festival, à toutes nos opérations annexes et au maintien de nos valeurs dépendent plus que majoritairement de nous, de notre travail et surtout du public, de notre communauté.

Puisque nous sommes auto-produit·es, nous n’avons pas cette dépendance économique d’appartenance à un groupe privé ou d’être financé uniquement grâce aux subventions et aux fonds publics. On peut donc concevoir le festival et sa programmation de la manière que l’on souhaite.

En quoi la prochaine saison de BOA sera-t-elle impactée par la situation dans laquelle vous vous retrouvez ? Avez-vous quand même commencé à préparer cette saison malgré ce contexte ?

L’édition 2024 a été imaginée. Nous avons nos dates, nos lieux, notre programmation artistique est presque terminée. Nous sommes prêt·es à la tenir, si tout va bien. Cela impacte certains points de dépenses que nous avons dû réduire, comme la scénographie qui sera très peu présente. Cela impacte certains choix. On maintient le travail de nos équipes, et on maintient une programmation artistique plus simple avec un focus sur la scène nationale et locale.

2024 est une saison de retour aux sources car on revient à l’essence même de Bordeaux Open Air et ce qu’il était à sa naissance : des rendez-vous dans des parcs de la métropole bordelaise. C’est une saison plus simple, tout aussi authentique.

Comparé aux années précédentes où nous étions plus ouverts à l’international, nous allons nous concentrer sur ce festival là et moins prendre de risque avec de nouveaux projets. Nous préparons une saison de 6 dates et 6 lieux à travers la métropole pour cette année, entre le 23 juin et le 6 octobre. Nous allons visiter plusieurs villes comme Bègles, Mérignac et d’autres.