Entretien : la station balnéaire post-apocalyptique Mériadeck-Les-Bains de Camille Benbournane

Camille Benbournane, artiste plasticienne diplômée des Beaux-Arts, a exploré la Côte Atlantique pour élaborer l’œuvre Littoral, un travail vidéo-graphique se déroulant à la station balnéaire post-apocalyptique Mériadeck-Les-Bains. Un projet profondément nourri par l’amour des territoires côtiers de la région, précaires face au réchauffement climatique et à la montée des eaux, mais aussi par des prévisions écologiques angoissantes qui prennent une place grandissante dans nos quotidiens. Nous avons pu poser quelques questions à Camille pour discuter de son travail et de l’exposition récente de son œuvre à Darwin (Bordeaux).

Le Type : Bonjour Camille et merci avoir accepté d’échanger avec nous. Tout d’abord, est-ce que tu pourrais nous présenter ton œuvre Littoral ?

Camille Benbournane : Littoral découle de mon mémoire que j’ai écrit en quatrième année aux Beaux-Arts de Bordeaux, intitulé Mériadeck-Les-Bains 2300-2301, qui était un récit d’un espace ayant vécu une sorte de fin du monde et qui aurait survécu. Sur cet espace-là, il y aurait des créatures qui auraient réussies à s’adapter et à évoluer, et qui vivraient sur l’îlot de béton de Mériadeck-Les-Bains.

Il y a toute cette notion d’érosion des littoraux, de montées des eaux, de réchauffement climatique, et surtout de survivance. Venant de Charente-Maritime, je me suis beaucoup intéressée aux stations balnéaires et à cet espèce de rite un peu désuet qu’on persiste à appliquer comme des traditions. Entre autres, il y a celle de la station balnéaire qui est quelque chose d’indéfectible et que l’humain persistera à faire dans mon imaginaire, même après une supposée fin du monde.

J’ai donc comparé les architectures entre Mériadeck et Royan, et certaines stations comme La Grande Motte. J’ai imaginé ces créatures vivant sur cet îlot, qui vivraient dans une espèce d’espace balnéaire. Pour cela, je suis allée sur l’Île Nouvelle, gérée par le Conseil départemental de la Gironde, espace voué à expérimenter et à observer comment la Garonne agit sur les terres et comment les choses évoluent. Je me suis rendue aussi à Soulac-sur-Mer, où il y a bien sûr le Signal, cette barre d’immeuble qu’on pense être sur le point de tomber dans l’eau, symbole de fin du monde et de fin des littoraux.

Il y a forcément une omniprésence de la notion de ruine, donc c’est un peu mélancolique et triste, mais ça parle quand même de survivance.

Camille Benbournane

Je me suis rendue aussi en Charente-Maritime où il y a des terrains très marécageux qui n’ont aucune chance de survie si la montée des eaux venait à se faire brusquement. Ce sont des espaces que je connais bien et que j’ai pu observer longtemps. 

Dans le projet Littoral, j’ai eu envie d’emmener ces créatures dans ces zones que j’aime énormément qui ont cette fragilité et ce risque de disparaitre assez rapidement. On suit donc ces personnages-là, en pérégrination dans ces zones désertiques. Il y a forcément une omniprésence de la notion de ruine, donc c’est un peu mélancolique et triste, mais ça parle quand même de survivance. Il s’agit de sujets assez lourds liés à la collapsologie, mais toujours avec une volonté de dire qu’il y a quand même une forme de vie possible au delà de tout ça. 

Je pense que l’artiste a ce rôle de visibiliser les grandes problématiques auxquelles on est vraiment confrontés, et de le faire d’une manière plus abordable.

Camille Benbournane

Il s’agit d’un projet profondément lié à l’urgence climatique. Selon toi, quel rôle l’artiste doit-il jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique ?

J’ai souvent eu l’impression que mes actions étaient un peu désuètes et que, finalement, il y aurait peut-être une forme de radicalité à avoir, ce que je pense d’ailleurs toujours. Je pense que l’artiste a ce rôle de visibiliser les grandes problématiques auxquelles on est vraiment confronté·es, et de le faire d’une manière plus abordable. Je me dis aussi qu’à mon échelle, c’est une manière de faire passer des sujets assez lourds et de les rendre peut-être plus digestes. Les collapsologues se posent la question suivante : « on a tous nos chiffres, toutes nos données, mais est-ce que les gens ne sont pas juste déprimés ? » On n’a pas la volonté d’agir parce qu’on se sent oppressé·es et écrasé·es par ce système que l’on n’arrive pas à contrer. Je pense que ça peut être le rôle d’un artiste dans ce type de combat. 

Pourquoi le choix du quartier de Mériadeck comme station balnéaire futuriste ?

Comme j’habite à côté du quartier, je l’ai beaucoup arpenté. Je me suis penchée sur l’histoire du quartier en allant aux archives municipales et j’ai découvert tout un monde qui était incroyable, toute cette histoire d’un territoire en lutte contre Bordeaux et contre la discipline qu’on essayait de lui appliquer.

En fait, Mériadeck, ça a toujours été des marais qui étaient aux portes de la ville. Au début, on a essayé de les contrôler parce qu’on les accusait de toutes les maladies et pandémies qui affectaient Bordeaux. Cette volonté de contrôle a fonctionné un temps. Un jardin a par exemple été construit, puis détruit à la suite d’une guerre. Ensuite, c’est redevenu un marais. On a ensuite accusé les personnes qui vivaient dans ce marais : les femmes qui ramassaient des herbes se sont fait traiter de sorcières. 

Ensuite, il y a eu une volonté d’assécher et de rendre des bâtiments propres à l’acquisition par une certaine bourgeoisie. Mais ça a été mal fait. Une population plus pauvre s’est emparée de ces lieux. Au bout d’un moment, la Mairie de Bordeaux ne s’en occupait plus du tout. Il n’y avait pas d’électricité, les bâtiments étaient laissés en friches. Le quartier était labellisé de « femmes du monde » (travailleuses du sexe). Une vie de village s’y est organisée, comme une forme de résistance. Cette solidarité s’est fait en marge de Bordeaux. Puis est arrivé Chaban-Delmas (Jacques Chaban-Delmas, Maire de Bordeaux de 1947 à 1995, ndlr) qui a rasé ces 35 hectares et construit Mériadeck comme on le connait maintenant. Là encore, l’objectif était de projeter Bordeaux dans le futur, à la gloire de l’Homme. Le quartier accueillait à l’époque 15 000 personnes, contre 8000 aujourd’hui. C’est encore un non-lieu, un point dans la ville qu’on n’arrive pas à contrôler.

Cette notion de persistance, de rébellion d’une terre et de sa population font de Mériadeck le lieu des interdits, de la marginalité.

Camille Benbournane

Cette notion de persistance, de rébellion d’une terre et de sa population font de Mériadeck le lieu des interdits, de la marginalité. C’est pour ça que je me suis intéressée à ce quartier, d’autant plus que des architectes ont travaillé à la fois sur Mériadeck et sur Royan, avec des ponts établis sur le littoral. Quand j’ai voulu écrire mon récit sur le réchauffement climatique et la montée des eaux, ça me paraissait comme un beau point d’entrée pour imaginer que cet espace devienne une station balnéaire. Mais surtout un lieu de résistance, avec l’idée que les êtres qui y vivraient seraient une sorte d’hommage à toutes ces personnes ayant vécues à Mériadeck avant, et qui ont réussies à survivre malgré les conditions. 

Tu as pu exposer Littoral lors du Climax Festival, puis à Darwin jusqu’au 30 septembre dernier. Que tires-tu de ce premier temps d’exposition ?

C’était très satisfaisant de pouvoir enfin poser les pièces et de les voir interagir, de voir enfin le visuel de tout ça. On a monté le film avec Irina, qui est à la caméra et a fait les images dans le plus grand des secrets, mais pas forcément volontairement. Nous n’avons donc pas eu de retour avant le moment de l’exposition, et c’était intéressant de le montrer et d’avoir des retours à vif. C’était génial d’avoir des réactions et d’entendre ce qu’il y avait de bien, et de moins bien. Pas mal de nos anciens professeurs des Beaux-Arts sont passés. C’était un bon moment pour se réunir autour de notre œuvre. 

L’œuvre est en partenariat avec la Surfrider Foundation. C’était important pour toi de t’allier à des acteur·ices engagé·es ?

C’est important dans le sens où on travaille sur le même territoire. Il y a beaucoup de travaux mis en place tout le long de la côté Aquitaine. Il y a donc une vraie résonance entre leur action et ma démarche. Au tout début, j’ai commencé mes recherches en licence en arpentant les plages. En ramassant les déchets j’ai commencé à faire des compositions, des formes de narrations, jusqu’à Mériadeck-les-bains et ensuite Littoral. Il y avait une vraie résonance entre ces projets. 

  • Camille Benbournane présentera son exposition à la Surfrider Foundation à Biarritz du 13 octobre au 11 novembre 2022.
  • Avec Irena Li à la caméra et aux images, Justine Langella, Eva Georgy, Defne Ertekin et Lou-Anne Péchard dans les costumes, avec le soutien du Réseau Astre, de Zébra3, de Surfrider Foundation, du Conseil Départemental de la Gironde, des Beaux-Arts de Bordeaux, et de Darwin.
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