Les nuits bordelaises, par Ziggy Hugot

Ziggy Hugot œuvre pour les musiques électroniques depuis trente ans maintenant. Ardente défenseuse de la culture underground, c’est sans surprise qu’elle préfère les événements plus modestes aux rouleaux compresseurs qu’incarnent certains festivals qu’elle n’hésite pas à épingler sur les réseaux sociaux. Une chose est sûre, cette petite main de la scène électronique qui n’a pas la langue dans sa poche possède une approche très militante des cultures électroniques.

Les nuits bordelaises est une série d’articles dédiée à celles et ceux qui façonnent la vie culturelle nocturne à Bordeaux. Gérant·es de clubs, promoteur·ices d’événements, activistes de la nuit : ils et elles partagent leur vision sur l’évolution des nuits bordelaises et sur la scène artistique locale.

Le Type : Ziggy, tu es une ouvrière de la nuit et des cultures électroniques. Tu travailles dans l’ombre depuis plus de 30 ans… Peux-tu nous résumer ton parcours ?

Ziggy Hugot : J’ai commencé dans des magasins de disques sur Paris. Puis, au début des années 1990, j’ai travaillé pour des labels de techno. De 1993 jusqu’à 1995, j’ai bossé pour la maison de disque Roadrunner Records, qui produisait des groupes de metal. En bon hollandais, ils avaient déjà un département dédié aux musiques électroniques en produisant le label Mokum (hardcore/gabber), Essence Music avec Roland Casper et Jeff Mills ou encore Vortex, Junkie XL

En tant qu’attachée presse, au début des années 2000, Tekki Latex, le chanteur de TTC et journaliste à l’Affiche (un magazine hip hop) me soutenait beaucoup, de même que la première équipe de Trax.

Ziggy Hugot

Mon rôle était de promouvoir en France cette musique signée à l’étranger en tant que chef de produit. Puis, de 1995 à 2000, j’ai été représentante française du label Ninja Tune. J’étais alors plus sur la promotion avec un poste d’attachée de presse. Ce n’était pas facile non plus avec les journalistes, certain·es me disaient que ce n’était pas de la musique. Ils étaient très fermés. Il y a Tekki Latex, le chanteur de TTC et journaliste à l’Affiche (un magazine hip hop) qui me soutenait beaucoup, de même que la première équipe de Trax. Il y avait également Coda Magazine, aujourd’hui disparu, qui a fait mes premières couvertures.

Ziggy Hugot

À partir de 2000, quand la musique électronique a explosé, j’en ai eu marre du milieu parisien… J’ai fait un break dans la musique pour travailler dans le dressage de loups pour le cinéma avec mon compagnon de l’époque jusqu’en 2004. Je me suis installée à Montpellier ensuite, pour collaborer avec Freshly Cut, les organisateurs du World Wide Festival à Sète et de nombreuses soirées au Rockstore.

J’ai gardé contact avec des artistes de l’underground que j’ai accompagnés pour se structurer et se professionnaliser. J’ai eu entre 40 et 50 artistes que j’ai suivis sous diverses casquettes : manageuse, attachée de presse, bookeuse… Dans ce style de musique, il n’y avait pas de gens qui avaient de vrais postes reconnus. Cela ne fait qu’une dizaine d’années que ça se professionnalise. Les modèles économiques étaient assez précaires… Puis j’ai eu le statut d’intermittente jusqu’au moment où j’ai monté ma société de production en 2018.

Comment es-tu arrivée à la techno ?

Jeune, j’allais d’abord dans les clubs gothiques et punk ou identifiés new wave, et je me rendais beaucoup en Angleterre où j’ai vécu quelque temps. À mon retour dans la capitale, j’ai pris la direction artistique d’un bar parisien – le Paris Texas – ce qui m’a permis de faire mes armes au début des années 1990. J’ai fait jouer des groupes alternatifs parisiens, des sound-systems dub, des DJ de tous bords…

J’avais une culture musicale éclectique qui était héritée de mon passage en Angleterre car, là-bas, la musique était appréhendée au sens large du terme.

Ziggy Hugot

On a été un peu pionnier pour ce genre de scènes mélangées à Paris. J’avais une culture musicale éclectique qui était héritée de mon passage en Angleterre car, là-bas, la musique était appréhendée au sens large du terme. Quand tu allais dans des squats, tu voyais des concerts bien sûr mais il commençait déjà à y avoir des rave parties. En tant que gothique punk, je trainais dans des endroits comme le Kit Kat Club et le Blue Note à Londres ou même le carnaval de Notting Hill. Et comme ça se finissait tôt, vers 2 heures du matin, il y avait aussi beaucoup de fêtes sauvages et de soirées alternatives. A Camden Town, les punks, les gothiques et les mecs en costard se mélangeaient déjà… Nous étions au début de l’acid house. C’est comme ça que j’ai découvert la musique électronique.

Toi qui a observé au plus près la scène punk et techno, il y avait-il des points communs entre ces deux pendants de la scène underground en Angleterre ?  

À l’époque, le point commun était politique… Il y avait le mouvement de la Criminal Justice Bill en 1994 par exemple qui avait beaucoup fédéré. Il y avait une fusion musicale, une effervescence. Les Anglais·es ne classent pas la musique dans des cases…

Ziggy Hugot

En France, la musique électronique est cloisonnée selon toi ?

Oui, et c’est pire qu’avant. Pour ma première rave party à Beauvais avec les Spiral par exemple il y avait de la house, de la trance, de la techno… Après 1995 ça a commencé à se durcir. Mon dernier teknival, c’était en 1998. Artistiquement je m’y retrouvais plus, je trouvais que tout se ressemblait. C’était très hardtek voire tribe, il n’y avait plus autant de diversité musicale, même au niveau look, ça s’était uniformisé…

Quelles sont les activités de ton agence et d’Oddity Factory ?

Aujourd’hui, on a No Hour Agency qui gère les activités de booking chapotée par Oddity Factory qui est la structure de production de spectacle qui accompagne des carrières artistiques dans leur professionnalisation et leur structuration, le tutorat, le conseil…

Les musiques électroniques sont encore diabolisées.

Ziggy Hugot

Tu es également la trésorière de Technopol, dont la première antenne hors Paris est située à Bordeaux. Cette association milite pour la défense de la scène électronique française auprès des pouvoirs publics. Aujourd’hui, quelle est la nature des relations avec les institutions culturelles françaises ? Est-ce qu’il y a des points de tension qui subsistent avec les institutions ?

C’est du lobbying. C’est-à-dire qu’on défend au quotidien les acteurs des musiques électroniques pour être considérés comme tout le monde. On rentre dans le cadre des musiques actuelles pourtant les musiques électroniques sont encore diabolisées. On a encore une image de drogués qui écoutent du son fort. Même si cela dépend évidemment des institutions locales…

À Bordeaux, le problème ce sont les nuisances sonores. Or, une des spécificités des musiques électroniques c’est de faire de la musique toute la nuit donc, forcément, ce n’est pas très agréable pour le voisinage. On a donc une politique locale qui aimerait que ça se fasse un peu plus à l’extérieur de la ville. En tous cas c’est comme ça que je le ressens.

À Bordeaux, les élu·es ont plutôt envie que les gros événements se passent sur le Parc des Expositions. Mais dans ce cas là, ça ne s’adresse plus du tout à de l’associatif ou du culturel. Ça s’adresse à l’entertainment.

Ziggy Hugot

Avec Alain Juppé, on avait Fabien Robert qui était assez à l’écoute, il y avait un dialogue. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’acteur·ices, donc beaucoup de demandes. Les élu·es n’ont peut-être pas envie d’en privilégier certain·es. Ils ou elles ont plutôt envie que les gros événements se passent sur le Parc des Expositions. Mais dans ce cas là, ça ne s’adresse plus du tout à de l’associatif ou du culturel. Ça s’adresse à l’entertainment.

Ça, ils ne l’ont pas compris je crois. L’autre difficulté qu’on peut avoir à l’échelle locale c’est qu’en France, les SMAC (Scènes de Musiques Actuelles) sont encore très rock. Il y en a très peu qui s’ouvrent aux musiques électroniques. Et pour que les artistes puissent être aidés il faut qu’ils ou elles soient structuré·es… C’est le serpent qui se mord la queue. Avec Technopol, nous échangeons sur ce sujet avec le Ministère de la culture.

Ziggy Hugot

Quel regard portes-tu sur la scène bordelaise actuelle ? On a l’impression qu’elle est en pleine effervescence, est-ce vraiment le cas ?

Il y a beaucoup de collectifs. Je pense qu’ils ont encore du mal à communiquer entre eux. Je pense que l’IBOAT fait un joli travail d’accompagnement. Il y a aussi un côté « teuf » grâce à ce que faisait le Hangar FL (incendié l’été dernier, ndlr) qui ouvre la scène à la jeunesse. Il y a aussi l’Espace DS dans le nord de Bordeaux qui reste un peu alternatif et qui permet à des collectifs de faire de grosses soirées.

Le statut d’auto-entrepreneur pour les DJ n’est pas valable pour la scène. C’est l’uberisation de la profession.

Ziggy Hugot

Après, les acteur·ices ne doivent pas confondre l’entertainment et l’associatif. À un moment donné, il va falloir qu’ils ou elles se positionnent, qu’ils sachent pourquoi ils ou elles font ça. Je crois que ce n’est pas encore clair pour beaucoup. Les structures comme la mienne ou Technopol, on est là justement pour les éclairer sur ces questions. Par exemple, le statut d’auto-entrepreneur pour les DJ n’est pas valable pour la scène. C’est l’uberisation de la profession. C’est quand même une tendance de droite tout en ayant un esprit de gauche. Pour moi, c‘est un peu contradictoire ! Le spectacle vivant c’est compliqué, il y a des règles, des licences… En France, on a pas mal d’outils pour aiguiller les artistes.

On a déjà été sollicité par le RIM pour du conseil, du tutorat et aussi du diagnostic. Avec Pôle Emploi Spectacle on a organisé une journée dédiée à la professionnalisation de l’artiste DJ où il y avait une centaine de personnes. D’ailleurs avec l’IBOAT, nous avons organisé le 25 mai un événement Rêve de Jour en partenariat avec Technopol, avec des ateliers et masterclasses autour de thèmes comme la structuration, les nuisances sonores, le métier de DJ.

Ce sont les 25 ans de la Techno Parade organisée par Technopol. En quoi cet anniversaire est-il symbolique ? Quel héritage lègue-t-il depuis toutes ces années ?

On continue le combat. Malheureusement, c’est toujours un combat. Globalement, à Paris, on sent que ça s’ouvre avec l’émergence de nouveaux lieux mais en province il y a encore du boulot. Comparé à avant, c’est tout de même un peu mieux car on a des métiers qui sont reconnus comme le métier de DJ et de chargé de production spécialisé la musique électronique. Il y a tout un secteur économique qui permet de vivre de sa passion. Mais ça s’est fait en 30 ans de combat. C’est pour ça que la Techno Parade est importante. Elle nous rappelle cette lutte.

Le festival Initial est une grosse machine qui arrive à Bordeaux sans considérer les gens.

Ziggy Hugot

Tu as poussé un coup de gueule quant à l’arrivée du festival Initial à Bordeaux en septembre denier. Qu’est-ce que tu critiques dans cette démarche ?

C’est la grosse machine qui arrive sans considérer les gens. Par rapport à mon festival Durassic c’était frontal car organisé une semaine avant. Ils ont essayé de récupérer des artistes que j’avais potentiellement bookés. Il y a eu de la surenchère sur les cachets des artistes. J’ai été obligée de dire aux artistes que jouer chez nous c’était un choix politique… On est un petit village, on n’est pas sur du gros rendement.

Le problème c’était que derrière Initial, c’est le groupe Fever, qui est surtout là pour faire la promotion de sa marque. La musique électronique, c’est juste un outil pour toucher plus de gens. Ils ne sont pas passionnés. Ils surfent sur la culture techno pour récupérer un maximum de datas. Les données ça vaut cher aujourd’hui. D’ailleurs, ils ont fait un matraquage médiatique et marketing sur les réseaux sociaux. Cela a été assez viral grâce à leur force de frappe numérique.

Le château Duras, lieu d’accueil du Durassic festival

Qu’est-ce qui différencie le Durassic festival que tu organises et ce genre d’événements ?

La différence c’est que nous c’est de l’artisanat et eux du supermarché. On ne réfléchit pas à comment vendre de la bière. Nous le bar c’est le comité du village. Aussi, on a voulu faire connaître un village avec une mairesse adorable, un comité des fêtes fondé sur la musique électronique et ouvert à la jeunesse. À qui ça ne fait pas peur la musique électronique !

Le château Duras, au nord de Marmande, fait office de base arrière à ce festival. Peux-tu nous parler de ce lieu ? 

A Duras, ils nous ont dit « On a notre château, on essaie de l’entretenir, on aimerait un festival où les jeunes s’amusent ». Ils avaient envie de mettre en avant leur château, tout simplement. Et d’ailleurs c’est une mairie de droite. Comme quoi, la couleur politique n’a rien à voir avec les choix culturels locaux. La première année en juillet 2021 on a fait 7000 spectateurs, ça a été compliqué. La deuxième année, en 2022, il y a l’Initial qui nous a pris pas mal de public. C’était plus loin aussi pour le public. À Duras, il faut y aller en voiture, il faut camper, c’est moins facile que d’y aller en tram. En plus il y a eu la canicule, les feux dans tout le bassin qui ont arrêté les trains et TER…

Il y a eu également des relations tendues avec la police. Que s’est-il passé au château Duras l’an dernier ?

Ils contrôlaient tout le monde. Ils n’aiment pas la musique électronique. C’est d’ailleurs le chef de la police qui a contacté la maire. On a été les voir, on a acheté des éthylotests mais ils ont préféré faire de la répression. Et c’est vrai que si tu as beaucoup de contrôles le vendredi, ça peut faire peur de revenir. Mais on n’a pas perdu espoir de continuer là-bas. On a organisé un réveillon en 2022, il n’y a eu aucun problème. Nous étions 450 personnes, c’était sold out.

Durassic festival. Crédit photo : Miss Jena

Pour la troisième année, on attendait des nouvelles de l’assurance car on a eu une grosse perte financière en 2022 (l’édition 2023 a finalement été annulée, ndlr). Mais nous organisons un autre événement ANAMORPHOSE, plus petit a lieu dans la cour du château le 14 et 15 juillet, soutenu encore une fois par le comité des fêtes.

Je ne veux pas entrer dans la surenchère des cachets.

Ziggy Hugot

Est-ce réaliste de vouloir que le public soit sensible à la « culture indépendante », qu’elle soit consciente de la problématique que pose le « marketing de masse » pour reprendre ton expression ?

J’y crois. Je pense que le public peut avoir un avis dessus et penser circuit-court. Initial a payé des jets privés à tout le monde. Nous on ne peut pas faire ça, et on n’a pas envie de faire ça. Moi je ne veux plus rentrer à la course à la tête d’affiche. Je ne peux pas le faire avec en face Initial et Madame Loyale. Ils ne négocient même pas les cachets. Je n’ai pas envie et pas les moyens non plus. Je ferai jouer des artistes de mon réseau car je ne veux pas entrer dans la surenchère des cachets.

Les autres épisodes de la série Les nuits bordelaises sont disponibles :

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