Les nuits bordelaises, par Lionel Fantomes

Lionel Fantomes évolue au sein de la scène nocturne et électronique bordelaise depuis une dizaine d’années, après avoir été promoteur club depuis 2007. Tour-à-tour organisateur sous The Local Rock’ords, DJ inspiré par Versatile Records, Poker Flat, Cadenza Records DFA Records, London Records, Blue Note et Brain Records, label manager et producteur avec Label & La Bête, ce touche-à-tout gère en parallèle un salon de coiffure, installé au numéro 15 de la célèbre place Fernand Lafargue. Pour en savoir plus sur son parcours, son identité artistique, mais aussi sur sa vision concernant l’évolution de la vie nocturne bordelaise, on lui a posé quelques questions.

Crédit photo : Théo Miege

Les nuits bordelaises est une nouvelle série d’articles dédiée à celles et ceux qui façonnent la vie culturelle nocturne à Bordeaux. Gérant·es de clubs, promoteur·ices d’événements, activistes de la nuit : ils et elles partagent leur vision sur l’évolution des nuits bordelaises et sur la scène artistique locale.

Le Type : On va revenir avec toi sur l’évolution de ta carrière, en lien avec l’évolution de la scène nocturne bordelaise dont tu as été l’un des acteurs. Peux-tu commencer par nous raconter un peu tes débuts, là où tout a commencé ? Quels ont été tes premiers terrains de jeux à Bordeaux ? 

Lionel Fantome : Beaucoup de choses sont parties d’une association tenue par quelques amis et dont j’ai fait partie pour les aider : Coming Soon. On a commencé nos événements sur La Péniche, à l’Hérétic Club et au Blush. C’était un gros circuit, il y avait beaucoup de monde. C’était en 2005, il n’y avait pas le même nombre d’associations et de collectifs qu’actuellement. On organisait aussi des soirées minimale et house, un peu freaks. Le président de l’association était en accord avec le Blush, avec des artistes invités comme Anthony Collins, Heïdi ou encore Glimpse. À chacune de nos réunions, il y avait beaucoup d’idées partagées, mais je ne suis pas resté longtemps, j’avais besoin de m’exprimer en montant ma propre agence d’événements.

C’est comme ça que j’ai lancé The Local Rock’ords en prenant un certain nombre de risques dès l’inauguration pour faire partie du paysage bordelais. J’ai rapidement travaillé avec Boysnoize Records, Institubes ou encore Dim Mak. Pour prendre un exemple concret, en tant que promoteurs, j’ai produit 80 soirées à l’Heretic Club (lieu emblématique des cultures alternatives locales, devenu le Void, désormais fermé, localisé rue du Mirail, ndlr).

Crédit photo : Théo Miege

Mes résidences au Bootleg et à l’Heretic Club ont été cruciales pour moi. J’y ai monté des concepts comme Alter Ego avec Marina Trench, Disco Mondain avec Vidal Benjamin, ou encore les soirées Pump Up The Volume qui recevaient les gagnant·es du concept inventé par mes soins ; « L’Underground Dj’s Party » : des jeunes venaient s’inscrire à l’agence, jouaient 30 minutes, puis étaient noté·es et jugé·es sur leur qualité de mix, leur prestation scénique et leur playlist respective par des artistes confirmés comme Tom Deluxx, Parker&Lewis ou encore Leroy Washington. Le ou la gagnante se retrouvait en warm-up ou en closing d’un headliner produit en club le mois suivant.

En parallèle, je produisais des soirées à droite à gauche et plus conséquentes à l’IBOAT, au 4 Sans, au BT59, au H36… J’y mettais des headliners plus importants, comme Modeselektor ou encore Acid Arab au Rocher de Palmer. J’avais moi-même un crew, on était 6. C’était très complet : il y avait de la production, du DJing, de la collaboration, de la coproduction, du partenariat… C’était la période pré-Bootleg où je fus DJ résident pendant 3 ans (autre lieu emblématique de la scène musicale alternative, ouvert de 2012 à 2017, ndlr).

Quelles ont été les rencontres importantes qui ont marqué ton évolution au sein de ce milieu ?

Ce qui m’a marqué à Bordeaux, ça reste le 4 Sans, avec Philippe Marchandin, et le Bootleg avec Cyril Beros. D’ailleurs ce sont apparemment les deux lieux qui manquent le plus aux clubbers aujourd’hui à Bordeaux. Il n’y a plus vraiment de lieux emblématiques et avec une âme underground aujourd’hui. À cette époque tu pouvais te rendre au club sans même regarder la programmation, et te retrouver devant des pionniers comme Jeff Mills, Josh Wink ou encore Green Velvet.

Tu pouvais aussi attiser ta curiosité en allant découvrir des lives de jeunes prodiges plus discrets au Bootleg. Certaines associations ont également rythmé mon évolution, comme MG Prod, Architektura Klub ou encore HMNI. Mais aussi Allez les Filles, avec Francis Vidal. Quand on lui proposait des artistes de musiques électroniques, il me le déléguait. J’aurais beaucoup aimé qu’on continue de travailler dans cet esprit coopératif, pour faire avancer la scène. Mais il y a eu notamment des problèmes avec la préfète de Gironde, on nous a enlevé certains lieux permanents… Et chacun a poursuivi en solo.

Qu’en est-il des moments qui ont façonné ton identité musicale à Bordeaux ?

Produire le duo Lulu Rouge (producteur danois pour Trentemøller) en 2011 ! Une techno complètement folle, cérébrale ronde, froide et entrainante, loin de ce que l’on trouve habituellement chez nous ! Ces vikings de la techno nous ont marqué, moi et mon entourage. La date de Modeselektor aussi, pour le prestige et en exclusivité en France : j’ai mis à peu près 4 ans pour les avoir ! Avec un peu de diplomatie on y arrive. C’était un live show pour la release internationale de leur second album, devant 1000 personnes au Rocher, avec l’indétrônable visuel projection 3D de Pfadfinderei en personne.

Certes, aujourd’hui on manque de lieux, mais beaucoup de collectifs marquent la ville de leur empreinte

Lionel Fantomes

Plus généralement, c’est l’évolution de la scène musicale qui m’a beaucoup marqué. Jusque dans les années 2010, la scène a été super intéressante à Bordeaux musicalement. Après, les choses ont un peu évolué, en lien aussi avec la place des lieux, des pouvoirs publics, de l’arrivée de nouvelles associations… Certes aujourd’hui on manque de lieux, mais beaucoup de collectifs marquent la ville de leur empreinte, comme L’Orangeade, tplt, Bordeaux Open Air ou encore Bordophonia dans un autre registre. Un grand merci à eux évidemment !

Peut-on revenir sur la place des lieux culturels nocturnes à Bordeaux. Tu as organisé beaucoup d’événements sur Bordeaux, dans une multitude de clubs, dont un certain nombre ont fermé depuis ; le Bootleg, le VOID, le 4 Sans, etc. Comment observes-tu cette évolution ?

Beaucoup de lieux ont fermé, c’est vrai, mais d’autres, plus confidentiels, ouvrent… J’ai une résidence par exemple dans un lieu place Fernand Lafargue ; Le Grand Popo. Lorsque j’y joue, c’est bondé : les gens ont besoin de lieux dans l’hypercentre ! Il manque ce genre d’espaces à Bordeaux. Avant, il y avait le Bootleg, le 4 Sans, le Zoobizarre, l’Heretic… On nous a enlevé ça. Certes, l’IBOAT est arrivé en 2011, ça a été une belle découverte puisque j’y ai bossé très rapidement. C’est et ça restera un bon club, heureusement qu’ils sont là. Mais on manque malgré tout cruellement d’alternatives.

Il y a une véritable offre en termes de discothèques, mais pas en termes de clubs. Il faut des espaces pour faire venir des projets plus alternatifs, qui ont du sens.

Lionel Fantomes

J’entends beaucoup de nostalgie de cette époque où de nombreux clubs avaient encore pignon sur rue dans le centre. Leur fermeture est due à de nombreux facteurs ; le COVID, des problèmes administratifs ou avec les riverain·es… Il y a une véritable offre en termes de discothèques, mais pas en termes de clubs. Il faut des espaces pour faire venir des projets plus alternatifs, qui ont du sens. Tout ça doit se faire dans la coopération, un esprit d’entraide entre promoteur·ices et collectif. Certains acteur·ices s’emparent de ces questions à Bordeaux, comme La Sphère, un nouveau projet qui arrive bientôt.

Faut-il décloisonner et explorer des lieux qui ne sont initialement pas prévus pour la fête à Bordeaux ?

Oui ! C’est ce que j’ai fait, en installant par exemple un set-up dans un atelier rue de la Rousselle (rue bordelaise, ndlr). Cela n’empêche pas qu’il faut aussi du club plus « underground », permanent, comme à Paris, Lyon, Marseille, Nantes… Parfois, Bordeaux « la belle endormie » porte trop bien son nom. Je ne parle pas des associations, des collectifs et des personnes qui se bougent. Je parle des clubs alternatifs. Peut-être que de ce manque naîtra l’envie de faire plus de choses à l’avenir.

Crédit photo : Théo Miege

Au-delà des lieux, aujourd’hui, comment perçois-tu la scène nocturne à Bordeaux ?

Je continue de sortir régulièrement souvent. C’est important, pour avoir des idées, échanger avec les autres, envisager des co-productions. À l’époque, il y avait pas mal de partage entre les acteur·ices de la scène. Je trouve que ça s’est perdu. La vie nocturne bordelaise manque de sens aujourd’hui à mon avis ; quel récit propose-t-elle ? J’ai toujours eu à cœur de penser le concept de mes soirées, de leur donner une âme. Aujourd’hui, les propositions sont plus linéaires, il y a aussi moins de prise de risque dans les line up, et je ne pense pas être le seul à penser à ça.

Toi-même, quelles sont tes projets à l’heure actuelle ? Tu as plusieurs casquettes, sur quoi travailles-tu ?

À ramener cette âme underground et homogène justement ! Je cherche un lieu pour mon collectif pour que nous puissions nous exprimer. Proposer un espace où tout le monde se parle, se rencontre. En attendant vous pouvez nous retrouver au Grand Popo ou venir me voir au Mancuso pour un format plus audiophile, moins club. Et puis je suis salarié en sous-traitance dans une agence de renom où j’honore des prestations privées dans différents lieux comme des châteaux, des hôtels ou encore des domaines ce qui me permet de rebondir sur d’autres formats et d’enrichir ma relation avec d’autres publics. C’est notamment le cas avec mon format estival place Fernand Lafargue ; depuis l’été 2022, la Mairie nous autorise d’animer cette magnifique place en posant notre propre sound system.

Je mélange les quatre formats, la dimension audiophile, le côté plus underground et club, la partie plus privé et la place Fernand Lafargue. Il y a aussi des mixes ponctuels, mon side-project avec mon duo BLÅCK BØW avec un certain nombre de dates à l’international. Ça donne envie de continuer ! On va enregistrer un EP en studio, je vais aussi faire un single en solo, pour continuer de faire vivre mon nom d’artiste. En résumé, je suis un peu un touche-à-tout ; je veux continuer d’être un DJ tout terrain, garder les yeux partout, sans œillères.

Ça m’est autant arrivé de mettre mon réveil à 5 heures du matin parce qu’on jouait dans des warehouses que de le mettre pour aller mixer pour un brunch.

Lionel Fantomes

Ça m’est autant arrivé de mettre mon réveil à 5 heures du matin parce qu’on jouait dans des warehouses que de le mettre pour aller mixer pour un brunch. Ou pour jouer dans une cave, une soirée disco, sur un rooftop, pour des showrooms, pour des marques… Lionel Fantome c’est tout ça ! Et puis BLÅCK BØW, c’est pour les festivals. J’ai aussi joué à l’Initial festival à l’été 2022, à Darwin ou encore pour le Festival International des Arts de Bordeaux.

Et pour la suite, que prépares-tu pour 2023 ? À quoi s’attendre en termes de formats, d’événements ? Avec qui aimerais-tu travailler ?

J’attends avec impatience l’arrivée de La Sphère, mais suis ouvert à toute forme de collaborations sur 2023. Que ce soit l’IBOAT, Darwin ou autres… pour fêter l’anniversaire du salon que je fais tourner depuis bientôt 16 ans, Le Local améliore ta coupe, avant d’aller danser (rires).

Crédit photo : Théo Miege

Quand tu as deux passions, parfois il faut faire un choix. Pour concilier les deux, j’ai choisi de rester à Bordeaux

Lionel Fantomes

Tu es effectivement et également styliste capillaire à côté de toutes ces activités que tu as mentionné ; comment jongles-tu entre ces deux casquettes ? 

Je suis passionné par la musique. Je dois être à 300 heures d’écoutes par mois. De cette passion est née la nécessité de maintenir toutes les activités. Je me suis donc organisé pour pouvoir mener ce mode de vie, dans mon quotidien et mon relationnel. J’y arrive plutôt bien, l’équilibre est bon. Quand tu as deux passions, parfois il faut faire un choix. Pour concilier les deux, j’ai choisi de rester à Bordeaux, de me développer en tant que promoteur à Bordeaux, moins nationalement. C’est ce qui m’a permis de maintenir le salon tout en organisant des dates localement. Et parfois, les deux se rejoignent : je retrouve sur le dancefloor des client·es à qui j’ai coupé des cheveux !

  • Pour retrouver Lionel Fantomes, rendez-vous le samedi 8 avril au Mancuso (format audiophile) ; le vendredi 21 avril au Hush-Hush (format libre) ; le samedi 22 avril au Pourquoi Pas (Disquaire Day – La Sphère + after show au Grand Popo)
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