Rencontre avec le DJ géorgien Kvanchi, qui est de passage à Bordeaux ce jeudi 16 mai. Résident du Bassiani, il vient fêter les 10 ans de son club, à l’IBOAT, dans le cadre de BEW. Une célébration qui se déroule dans un contexte particulier, à l’heure où la Géorgie vit une période de grande tension. Il y a quelques semaines, le gouvernement du pays a en effet relancé le processus d’adoption d’une loi contre les « agents de l’étranger ». Une loi calquée sur la Russie où elle fut adoptée en 2012, qui a contribué à museler toute forme d’opposition et voix divergentes dans le pays. Six ans après les manifestations qui avaient vu le club Bassiani mener d‘importantes manifestations aux cris de « We Dance Together, We Fight Together », on a profité du contexte pour converser avec Kvanchi, artiste directement concerné. Entretien.
Crédit photo : George Nebieridze
Le Type : Salut Kvanchi. Merci de prendre le temps de répondre à nos questions. La Géorgie traverse un moment très tendu avec des manifestations liées au projet de loi sur les « agents de l’étranger » porté par le gouvernement du pays. Quelle est la situation actuelle à Tbilissi ?
Kvanchi : Merci pour tes questions ! Nous traversons un moment difficile. L’ambiance ici est effectivement tendue en raison des manifestations en cours et du controversé projet de loi sur les « agents de étrangers ». Les manifestations sont assez visibles, et beaucoup de Géorgien·nes ressentent un sentiment d’urgence concernant les implications de ce projet de loi sur la liberté d’expression et les libertés civiles. C’est un moment critique pour notre société, et les gens expriment clairement et hautement leurs opinions.
On se souvient à quel point Bassiani était sous les feux des projecteurs en 2018 après une descente de police dans le club. Des milliers de Géorgien·nes avaient manifesté à ce moment-là devant le parlement avec le slogan « We Dance Together, We Fight Together ». Ce mouvement et cette scène musicale sont-ils actifs lors des manifestations actuelles ?
L’esprit d’unité et de résilience qui était présent lors des manifestations de Bassiani en 2018 résonne chez les manifestant·es aujourd’hui. Bien que les manifestations actuelles portent sur des questions différentes, nous partageons toujours ces principes de liberté, de solidarité et notre désir de faire partie de la famille européenne.
On peut certainement ressentir la présence de la scène musicale dans les manifestations actuelles, faisant écho au sentiment scandée en 2018 « We Dance Together, We Fight Together » alors que des Géorgien·nes de tous horizons se rassemblent pour demander un avenir meilleur pour notre pays.
De nombreuses personnes de la scène musicale, y compris des DJs, des producteur·ices et des habitué·es des clubs, participent activement aux manifestations actuelles. Ils et elles apportent non seulement leur passion pour la musique, mais aussi leur engagement en faveur de la justice sociale et de la démocratie. Tout comme en 2018, nous comprenons le pouvoir de l’action collective et l’importance de rester uni·es face à cette adversité pro-russe.
Bassiani fête en 2024 ses 10 ans. Qu’est-ce qui a changé pour le club et la scène électronique de Tbilissi en une décennie ?
Ce dixième anniversaire est en effet un jalon qui mérite d’être célébré ! Quand Bassiani a ouvert ses portes il y a dix ans, je n’aurais jamais imaginé comment cela aurait changé et façonné la scène électronique et club de Tbilissi. Il y a eu beaucoup de hauts et de bas, de nombreuses situations difficiles et d’obstacles au cours du voyage. Mais malgré tout, au fil des années, l’influence de Bassiani n’a cessé de croître, consolidant sa réputation comme l’un des clubs européens les plus singuliers.
En dix ans, une chose demeure constante avec Bassiani : notre passion indéfectible pour la musique et notre engagement à créer des espaces où chacun·e est libre de s’exprimer et de danser sans crainte.
Kvanchi (artiste résident du club Bassiani)
Son impact s’est étendu bien au-delà de la scène musicale, suscitant des conversations sur la liberté d’expression, les droits des communautés LGBTQIA+, et plus encore. Dans l’ensemble, les dix dernières années ont été un véritable parcours de montagnes russes, à la fois pour Bassiani et pour la scène musicale de Tbilissi. Une chose demeure constante : notre passion indéfectible pour la musique et notre engagement à créer des espaces où chacun·e est libre de s’exprimer et de danser sans crainte.
Comment décrirais-tu la scène actuelle de la musique électronique à Tbilissi ? Peux-tu nous parler de quelques acteur·ices clés de cette scène ? Avec l’un des projets de Le Type qui s’appelle Scene city, on a d’ailleurs une résidence sur la radio Mutant Radio, basée à Tbilissi !
Tbilissi est un bon endroit pour les amateur·ices de musiques électroniques ! Les clubs sont assez diversifiés dans leurs programmes musicaux. Il y a 5 à 6 – voire plus – de très bons clubs avec des systèmes audio et des programmations de qualité. Mutant Radio est sans aucun doute l’un des acteur·ices clés de cette scène ; c’est une plateforme cruciale pour mettre en valeur les talents de la scène locale, offrant un espace aux artistes underground pour présenter leur musique. C’est aussi un endroit très agréable pour retrouver ses ami·s et prendre un verre.
Peux-tu nous parler de ton propre projet artistique ?
Je suis DJ à plein temps. Je passe mes journées à découvrir et écouter de la musique ! En outre, je travaille avec Zitto (autre DJ résident de Bassiani invité à l’IBOAT jeudi 16 mai, ndlr) en tant qu’A&R pour le label interne Bassiani Records.
Tu joues à Bordeaux le 16 mai. C’est ta première fois en France ?
Ce sera mes débuts en France et je suis plus qu’excité ! Ma seule connexion est que j’ai fait une mixtape sur Rinse France.
Malgré les défis rencontrés par le passé, l’esprit de Bassiani reste indomptable. Je ne doute pas qu’il continuera d’être un phare de créativité et de résistance pendant de nombreuses années à venir.
Kvanchi (artiste résident du club Bassiani)
Comment vois-tu l’avenir de Bassiani et de la scène musicale de Tbilissi au cours des 10 prochaines années ?
Alors que Bassiani entame sa deuxième décennie, je crois que nous verrons encore plus de programmations ambitieuses, de collaborations avec des artistes du monde entier, et peut-être même une expansion vers de nouveaux projets au-delà du club lui-même. Malgré les défis rencontrés par le passé, l’esprit de Bassiani reste indomptable, et je ne doute pas qu’il continuera d’être un phare de créativité et de résistance pendant de nombreuses années à venir.
Bien sûr, il y aura inévitablement des défis en cours de route, qu’il s’agisse d’agitations politiques, d’incertitudes économiques ou de la nature changeante de l’industrie musicale. Mais s’il y a bien une chose que nous avons apprise du passé, c’est que la scène musicale de Tbilissi n’est autre que résiliente.
Que peut-on faire, dans le contexte de tension actuelle, en tant qu’Européen·nes de l’Ouest, pour vous souvenir, la scène club de Tbilissi et plus largement le peuple géorgien ?
Les Occidentaux et Occidentales peuvent soutenir la Géorgie en sensibilisant à la situation à travers les médias sociaux et d’autres plateformes, en favorisant les échanges culturels par le biais de collaborations avec des artistes géorgien·nes et des organisations culturelles. Mais aussi en soutenant également les organisations de la société civile œuvrant pour les droits humains et la démocratie en Géorgie.