Entretien : Ouai Stéphane, expérimentateur hors formats

De Dublin où il a passé une partie de sa jeunesse à découvrir une riche scène électronique jusqu’à ses connexions avec le Sud de la France et le label Global Warming, Ouai Stéphane façonne un projet musical protéiforme, loin des étiquettes et des esthétiques habituelles. Questionnant les formats dans la musique, s’inspirant autant de jazz que d’ambient ou d’indie pop, l’artiste se plaît à détourner les codes d’un milieu parfois trop normé. Il sera à Bordeaux le samedi 2 juillet pour un événement du collectif Lascar Capac ; on en a profité pour lui poser quelques questions.

Crédit photo : Elliott Bossé

Le Type : Salut Ouai Stéphane. On a lu dans ta bio que tu sors du prestigieux master en “Music and Media Technologies » au Trinity College de Dublin. Ça a l’air hyper impressionnant lu comme ça. En quoi consistait cette formation ?

Ouai Stéphane : Salut salut ! Ouais, c’était bien cool cette formation, j’ai bien kiffé. Je pensais que c’était une formation d’ingénierie sonore, mais en fait c’était bien plus que ça. J’avais des cours de programmation musicale (faire des logiciels pour le sono), d’histoire de la musique électroacoustique (ou dans la même heure, on parlait d’Aphex Twin, Steve Reich, Boards of Canada ou Xenakis), de Max MSP, des cours pour construire ses propres instruments, contrôleurs électroniques… Bref, plein de choses qui m’ont fait grossir le cerveau. J’ai mis 2 ans à digérer tout ça et c’est ressorti d’une manière chelou via le projet Ouai Stéphane.

Je sortais de cours et j’allais à des expositions, installations audiovisuelles, et le soir j’allais en club voir Erol Alkan ou Daniel Avery.

Ouai Stéphane

Tu as donc en partie grandi à Dublin. C’est une ville qui a eu une influence sur ton parcours artistique ? Y-a-t-il une scène musicale (notamment électronique ?) développée là-bas ?

Dublin a carrément été une influence pour moi au niveau culturel. Il y a une scène hyper intéressante au niveau électronique et électroacoustique. Je sortais de cours et j’allais à des expositions, installations audiovisuelles, et le soir j’allais en club voir Erol Alkan ou Daniel Avery. C’était assez intense pour moi parce que j’ai grandi aussi sur la côte de l’azur à Antibes, où c’est globalement plus pauvre au niveau musique expérimentale et électronique.

Le truc qui était cool à Dublin, et que j’avais pas trop capté, c’est que beaucoup d’artistes de UK commencent leurs tournées en Irlande, à Dublin. Du coup, il y avait beaucoup d’exclus et de fans hardcores qui venaient à Dublin pour voir la première date de leur artiste préféré. Ça crée une atmosphère hyper excitante. Je conseille vraiment d’aller à Dublin checker la scène musicale.

Pour rester sur la question des influences ; tu as sorti quelques EP sur le label de Malcolm, Global Warming. Comment s’est faite la connexion avec lui (le Sud ? comme Jon Beige avec qui on a aussi échangé récemment), et quelle relation entretiens-tu avec ce projet à l’esthétique bien particulière ?

Ouais, on s’est rencontré à Nice, dans le « sudeuh », avec Malcolm. Il organisait des soirées et moi je les squattais. On a bu des pintes, et on est devenu pote. Après que chacun ai fait un peu son chemin de son côté, on s’est retrouvés à Paris. On a rebu des pintes, et on a naturellement bossé ensemble, que se soit sur son projet ou le mien, sur Global Warming. De fil en aiguille, Malcolm est devenu mon manager. Je suis hyper fan de son label, de ses projets, sa vision, les artistes avec qui il bosse. On a des racines musicales communes. Bien qu’on puisse penser de l’extérieur qu’on est opposés dans le style, ça reste un fond similaire. Il y a juste la forme qui change.

Toujours sur les influences musicales, et puisqu’on parle du label Global Warming qui est assez hybride, on peut également difficilement caler ta musique dans des cases. D’où cette question simple : qu’écoutes-tu en ce moment ?

Ah ouais ok. Bah vas-y, je t’envoie un screenshot de mes derniers titres likés sur Spotify.

Les derniers titres likés sur Spotify de Ouai Stéphane

En gros, j’écoute à fond du jazz. Il y a une radio norvégienne qui s’appelle NRK Jazz Radio que j’écoute tous les jours. J’ai découvert ce duo, Locked Club, il y a quelques jours, une assez grosse claque en terme de production. Je réécoutais du Britney Spears la semaine dernière et ça m’a amené à me faire une session Lorie. Et là, cette semaine, je me refais du Ulrich Schnauss. Je connais pas grand chose sur lui, mais il fait une sorte d’ambient basé sur de la pop indie.

Je pense que le fait d’avoir accès à plein de musique facilement va changer notre cerveau sur le long terme.

Ouai Stéphane

Donc ouais, c’est assez large, je consomme tout de la même manière. Je pense que le fait d’avoir accès à plein de musique facilement va changer notre cerveau sur le long terme. Il y a du bon et du mauvais là-dedans, je pense. Mais, de manière positive, ça nous entraîne à tout mettre au même niveau d’écoute et de jugement, et je trouve ça cool. C’est juste de la musique au final.

Autre trait caractéristique de ton projet Ouai Stéphane : une forme d’humour et d’authenticité qui tranche avec le côté assez sérieux d’une partie des artistes de la scène électronique actuelle qui est relativement formatée (avec le même usage des réseaux sociaux, etc.). C’est encore possible en 2022 de défendre un projet sans passer par ces codes ?

Tout ce que je fais en terme de forme et de contenu, c’est juste une proposition. Je suis bien conscient que ça peut être vu comme abstrait ou pas « habituel » dans le milieu de la scène électronique. Ce qui m’excite en tant que fan de musique, c’est les différents niveaux de lecture dans un projet musical ; quand quelqu’un va proposer quelque chose, une vision, un contre-pieds, une ouverture sur un domaine qui n’est pas « habituellement » associé.

En exemple, il y a Gorillaz, qui ont quand même révolutionné le game à l’époque en étant un groupe virtuel d’animation. Il y a aussi le duo Boards of Canada qui a fait une genre de chasse aux trésors (ça s’appelle un ARG, je suis fasciné par ça) pour promouvoir leur album (les codes et pistes laissés par le groupe ont amené les gens à aller à des coordonnés spécifiques dans le désert dans le Nevada où ils ont trouvé une caravane avec personne dedans et un système son qui jouait l’album). Bref, je pars un peu loin, mais c’est des bons exemples qui illustrent qu’un projet peut être bien plus que de la simple musique qu’on va écouter sur Spotify. Ce qui m’intéresse c’est quand les « codes » sont contournés, détruits ou remis en question. Ça fait réfléchir et ça fait du bien !

En parlant de formatage, on voulait évoquer la question des formats avec toi. Tu as sorti une compilation d’outro il y a quelque temps. Plus récemment, un label espagnol a sorti une autre compilation de morceaux durant une trentaine secondes, pour interroger notre rapport à la « consommation » de musique. Ça te paraît important de réinventer ou questionner les formats dans la musique ?

Totalement ! C’est un terrain de jeu pour moi. J’ai une approche assez « scientifique » de tout ça. Quand on est dans la recherche scientifique, le fait de ne « pas trouver le bon résultat » est tout aussi intéressant que de le trouver, parce qu’il y a quand même du positif : on sait que pour trouver le « bon » résultat, il ne faut « pas » faire de cette manière. Donc, on ne peut jamais échouer, tant qu’on avance et qu’on recherche.

En soi, peut-être que ce n’est pas intéressant de sortir une compilation d’outros de quelques secondes, mais la démarche permet d’avancer. C’est pour ça que je vois ça comme un terrain de jeu : on expérimente et on remet en question.

Tu aurais quelques Stéphane qu’on ne connaîtrait pas à nous présenter rapidement, qui auraient pu t’inspirer ?

J’ai un pote d’enfance qui s’appelle Stéphane, il est très cool. Lui il fait du rock, reggae, doom, un mélange de tout ça. Il a un énorme cœur, s’intéresse à pleins de trucs, sort souvent de sa zone de confort, pense aux autres… Tout ça ce sont des valeurs qui m’inspirent, autant au niveau de la musique que dans ma vie perso.

Pour finir, tu joues à Bordeaux dans quelques jours avec l’équipe de Lascar Capac ; tu as déjà joué ici ? À quoi s’attendre pour cette date ?

Ouais je suis trop excité par cette date ! J’avais déjà joué à Bordeaux à l’IBOAT il y a 3 ou 4ans (j’ai trop perdu la notion du temps avec ce Covid) et c’était super cool. J’ai aucune idée à quoi m’attendre pour ce week-end. J’ai entendu que peut-être je jouais sur un genre de bateau-camion, trop fou ! Tu y seras ? Moi ouai !

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