Après trois EP réussis (Mon Prisme en 2012, Soleil d’hiver en 2013 avec son frère d’arme Hologram Lo, et A l’abri en 2014), une Grünt (la 11, d’une très bonne facture), des collabs et des concerts, le premier album du rappeur Georgio était attendu au tournant. Financé via une campagne de financement participatif (Kisskissbankbank) et empreint d’un univers assez mélancolique, Bleu Noir avait de quoi surprendre, sur le fond et sur la forme. Laissant transparaître une personnalité relativement atypique dans un rap game trop souvent associé à des égos surdimensionnés, l’album est une vrai réussite. De passage à la Rock School Barbey de Bordeaux en décembre dernier, on a profité de l’occasion pour échanger un peu avec l’artiste. Interview.
Salut Georgio, première fois à Bordeaux ?
Oui première fois. J’étais déjà venu visiter, mais j’étais très jeune. J’ai de vagues souvenirs.
T’es en pleine tournée à travers la France, est-ce que tu prends plus de plaisir sur scène justement ou en studio ?
Je prends autant de plaisir en fait, mais ils sont différents… (Réfléchis). Non en fait, à bien y réfléchir, je crois que je prends un peu plus de plaisir en live mine de rien. Mais j’adore le studio quand même.
Quand tu sors du studio, tu sais déjà que ton morceau ça va être de la grosse frappe ou tu as besoin de faire valider par certaines personnes ?
Je n’ai pas la prétention de dire que c’est de la grosse frappe… Avant que mon morceau ne sorte, il n’y a pas plus de trois personnes qui l’ont écouté. Je me valide un peu tout seul. Sur Bleu noir, j’aurai pu faire un 40 titres, mais il y a énormément de couplets que je ne termine jamais. En fait, je jette plus que je ne garde. Je fais plein de morceaux mais il y en a certains, je me dis que c’est de la merde et que ça ne sert a rien de les garder.
Tu ne récupères pas des couplets ici et là que tu rassembles pour créer des morceaux ?
Non, j’écris de manière instinctive donc je traite un morceau d’un coup.
Pour parler de Bleu noir plus précisément ; tu l’as fait financé par la plateforme de financement participatif KissKissBankBank. Pourquoi ce choix ? Quels avantages tu as pu en tirer par rapport à avoir signé sur un label de manière plus classique ?
Parce que j’ai rencontré plein de labels qui ne comprenaient pas vraiment le projet. Ils étaient lents à sortir des contrats et je me suis dit « pourquoi je le fais pas moi même ? », avec les personnes qui me soutiennent. J’ai toujours fonctionné comme ça au final. J’avais l’ambition de faire un gros album qui soit très bien produit, bien mixé, qui se vende bien. Et qu’on le fasse nous-même. En fait c’était possible si on le faisait comme ça, et on a réussi. Les avantages c’était qu’on était totalement libre ; zéro contraintes. C’est que des partis pris, zéro compromis.
A l’écoute de l’album, on ressent un univers assez mélancolique, est-ce que ça reflète ton état d’esprit ou c’est plus une façon de faire ?
Ce n’est pas un fond de commerce ou une marque de fabrique, c’est juste que j’écris le plus souvent quand je suis frustré ou en colère, ou déçu, et c’est finalement dans ces moments-là que j’ai envie de penser à autre chose… Direct je vais me lancer dans l’écriture dans ces moments. Ça me fait limite plus de mal quand je le fais, mais je crache ma rage, mon venin. Je lâche mes cris du cœur mais sur le moment je me sens mieux. Je sais pas si c’est une thérapie, parce que je ne sais pas si ça me soigne vraiment. Mais sur le moment ça me soulage.
Tu chantes pas mal sur l’album, tu commences a pousser la voix ; est-ce que c’est parce qu’il s’agissait justement d’un projet plus important que tes EP précédents, avec plus de résonance ? Ou est-ce que tu l’as fait pour faire comprendre aux gens que le hip hop c’était pas quelque chose de brut, et que ça pouvait aussi être quelque chose de plus mélodique ?
Je l’ai fait pour encore une autre raison mais qui s’approche plus de la deuxième hypothèse. Je l’ai fait pour sortir du rap en fait. Parce que je n’avais plus envie de faire que du rap, pur et dur. J’avais envie de m’éclater que ça soit un peu plus mélodieux, pour pouvoir chanter… Parce que j’écoute pleins de truc différent en fait.
Justement par rapport à ça on a poussé la comparaison de Bleu Noir avec Bleu pétrole d’Alain Bashung. Est-ce que cet album et la chanson française en général t’ont inspiré pour Bleu noir ?
Ouais, j’aime beaucoup Miossec. Bashung et Biolay ont de super textes aussi.
Genre c’est ce que tu écoutes dans ta voiture ?
Mec j’ai pas de voiture (rire). Dans le métro ? Ouais j’écoute pleins de truc en fait, je peux écouter Nekfeu et SCH, et puis le lendemain je vais écouter le dernier album de Abd Al Malik avec Laurent Garnier. Et puis le week-end écouter The Libertines et Leonard Cohen.
On est dans un contexte politique assez particulier (interview réalisée la veille du second tour des élections régionales, ndlr), est-ce que ce genre d’événements peuvent te pousser à t’engager plus dans tes textes, dans la mesure où tu as un certain écho auprès de la jeunesse ?
Ouais je sais, mais je ne m’y connais pas assez en politique. J’ai pas de très grandes idées en la matière. Dans ma famille on est pas du genre à parler de politique à table, et moi ce n’est pas un truc qui m’intéresse. Je regarde jamais les infos. Je suis le dernier au courant de tout. Ça sert à rien d’être engagé politiquement si c’est pour finalement être sans convictions, juste pour être violent parce qu’il y a des trucs qui sont choquants. Si après derrière y a pas vraiment de fond, ça sert à rien. Finalement faire de la musique ou toute autre forme d’art, je trouve que c’est déjà un acte de militantisme et engagé…
Tu entretiens toujours de bonnes relations avec le collectif L’Entourage ?
Avec certains, comme 2Zer ou le S-Crew, on a rempli nos deuxièmes chargeurs ensemble. On s’est rencontré vers 2011-2012, on s’est retrouvé dans plein de plans galères ensemble, partagé plein de moment de vie. Les Grünt aussi. Ils sont là depuis le début, on a vécu plein de trucs ensemble dans la musique et en dehors.
C’est internet qui a permis votre rencontre ?
C’est le rap qui a amené ça, en concerts… Par exemple, Lo (Hologram Lo, ndlr), pour faire Soleil d’hiver, on a enregistré un freestyle chez Walter, qui est un mec qui rap dans l’entourage de L’Entourage, un peu comme moi. Et y avait Lomepal, Alpha (Alpha Wann, ndlr), Mothas (Mothas la Mascarade, ndlr). Avec Lo on s’est rencontré ce soir-là. Il avait fait la prod du freestyle, et on a fait un morceau direct. C’était juste après Mon Prisme, je voulais faire un projet. Je contacte Lo, je lui demande s’il est chaud de me filer des prod, je prépare un autre truc, il me dit qu’il aime bien ce que je fais et que ce serait cool qu’on fasse un EP ensemble, 4-5 titres. Ok, on roule, et finalement on fait 9 titres.
Grâce à Hologram Lo t’es sorti de ta chrysalide ?
Exactement, il m’a donné de la force, à fond.
Si il y avait des artistes avec qui t’aimerai collaborer aujourd’hui ou pour un futur album, pas forcément en rap, ce serait qui ?
Il y en a tellement peu. Tu vois par exemple, je te disais que j’adore Miossec. J’aimerai beaucoup le rencontrer pour parler de musique avec lui. Mais est-ce que un morceau avec lui serait intéressant ? Est-ce que ça servirait ? Pas sûr… Pas sûr non plus que ça marcherait. C’est pas parce que j’aime bien ce que tu fais que faudrait qu’on fasse un truc ensemble. Après j’ai 2-3 idées de feat. que je garde pour moi, mais Nessbeal j’aimerai bien faire un truc avec lui.
T’as déjà commencé à écrire de futures chansons ? T’as déjà des idées pour le prochain album ?
L’écriture c’est un exercice cérébral, et quotidien, que je perds pas, donc oui. J’écris tard le soir chez moi, j’écris pas trop dans la rue comme ça. Parfois je réfléchis à des phases comme ça. Mais plus que je réfléchis à des phases, j’ai une espèce de pensée ou une vision et je vais la garder et quand je veux écrire je vais la ressortir.
Fini le vol à Monoprix ?
Ouais gros. J’ai grandi, L’homme de l’ombre j’avais 18 ou 19 ans, j’en ai 22. Forcément on évolue.
Dans la longue interview que tu as accordé à Grünt, tu disais que pendant l’enregistrement de l’album, le rap te saoulait. Est-ce que ça va mieux maintenant que t’as accouché de Bleu noir ?
J’écoute de moins en moins de rap. Je suis tout, j’écoute tout en avance, mais ça me traumatise moins qu’avant. J’écoute plein d’autres trucs.
Du coup tu ferais peut-être évoluer ton trip vers d’autres univers ?
Bah je sais pas, car finalement c’est dans le rap que me retrouve le plus. C’est la musique sur laquelle tu peux mettre le plus de mots, varier les flow, les rimes. C’est très dense le rap. Et c’est pas dans toutes les musiques que tu peux faire autant de variations. Du coup, comme je disais, j’écris souvent frustré ou en colère et c’est donc dans le rap que je me plais le plus à écrire, parce que je peux tout lâcher, et c’est vachement intense. Et je vais continuer.
Si tu faisais pas du rap tu ferais quoi aujourd’hui ?
Je serai dans un groupe de rock. Ou même peut-être de jazz. Je ferai du piano, c’est mon instrument préféré. Dans le piano y’a pas de demi-mesure ; soit c’est vraiment de la merde soit c’est le plus bel instrument. Après ça ce serait la guitare.
Tu fais d’un instrument, ou tu composes un peu des beats ?
J’ai essayé un moment, ça ressemblait à des sonneries de Nokia 33-10.
Merci Georgio, bonne continuation pour ta tournée !
Interview réalisée avec Kontadit /Crédits photos : Alice Belair.
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Album dispo un peu partout sur les internet et dans les bacs
Georgio continue sa tournée un peu partout en France.