Lorsque la nouvelle est tombée un jour de novembre, c’est peu dire que pas mal de bordelais ont eu un coup de flip ; l’Heretic, l’une des seules salles du centre-ville encore capable d’accueillir une programmation d’une grande qualité allait fermer. Qu’allait-il advenir d’un lieu pourtant essentiel à la vitalité culturelle bordelaise ? Heureusement, très rapidement, une bonne nouvelle est venue recouvrir la première : le VOID allait prendre la suite de l’Heretic. Le lancement d’une campagne de crowdfunding (toujours en cours) nous donna quelques éléments d’informations supplémentaires quant à la manière dont la nouvelle équipe du lieu (Boubi, Pierrot, François, Michol, Nyky et Ricky) allait envisager le fonctionnement et le contenu proposé par le VOID. Afin d’en apprendre un peu plus sur les contours du nouveau projet, le Type est allé poser quelques questions à deux des membres de cette nouvelle équipe. Interview fleuve avec Boubi et Pierrot, représentants pour l’occasion du VOID.
Crédits photos : Alice Belair
Pour commencer, pouvez-vous présenter l’équipe, vos parcours, et comment vous êtes-vous tous rencontrés ?
Boubi : On s’est tous rencontrés en bossant ici, à l’Heretic. Pierrot est là depuis quasiment le début, 9 ans et demi. Moi je suis arrivé dans l’équipe il y a environ 5 ans. En tout on est 6, on a tous bossé ici et on continue. Il y aura François, Nyky Michol, Ricky, Pierrot et moi.
Pierrot : Concernant nos parcours personnels, on est tous musiciens, pratiquants d’un instrument. Boubi est batteur, François aussi… C’est cette pratique amateur qui nous réunit. On n’a pas vraiment de parcours particulier, moi j’ai bossé dans le socio-culturel par exemple. On n’est pas des investisseurs ou des créateurs d’entreprise à la base. On est sur un format associatif, on a une association loi 1901, tout ce qu’il y a de plus classique, qui vise la promotion de la culture locale, internationale, et ça en tant que salle de concert.
Qu’est-ce qui a poussé les actuels dirigeants de l’Heretic à arrêter ?
Pierrot : Ce sont des choix de vie. Ça fait 20 ans qu’ils sont dedans, ils approchent 40 ans ; certains ont des gosses, d’autres sont mariés et ont donc d’autres aspirations. Nous, on a toujours évolué dans cette scène-là, les concerts, le punk, ce qui se fait en France, en Europe ou dans le monde. Eux, c’est pareil et c’est comme ça qu’on s’est connus, sur les festivals ou d’autres concerts. C’est cette passion commune qui nous a fait travailler ensemble et qui nous fait reprendre la salle aujourd’hui.
Vous avez fait le choix de commencer par une campagne de crowdfunding, comment ça se passe ?
Pierrot : Ça se passe bien. On s’est rendu compte, quand on a annoncé la fermeture officielle de l’Heretic, que ça marquait beaucoup les gens. On a eu une énorme audience, on était loin d’imaginer ça. On a attendu que l’effet retombe un peu – mais pas trop – pour expliquer que ça n’allait pas fermer définitivement. C’est vrai qu’on avait besoin de ce crowdufing pour deux choses. D’une part pour boucler le budget, qui est quand même assez conséquent, et également pour voir si ça a vraiment un impact, pour voir si les gens sont motivés, s’ils ont envie de s’impliquer un peu plus. Que ce soit financièrement ou même d’une autre façon. On a par exemple beaucoup de gens qui nous proposent du bénévolat ou de filer un coup de main, chacun en fonction de son savoir-faire.
Vous avez eu du soutien de la part des pouvoirs publics ?
Boubi : On ne les a pas contacté. La salle n’en a jamais eu, elle a toujours fonctionné en autofinancement. C’est dans l’idée de rester le plus indépendant possible, on n’a pas envie d’avoir de comptes à rendre. Et puis, éthiquement, vu la scène d’où on vient, on est dans un esprit DIY. Si on gagne de l’argent tant mieux, mais si on n’en gagne pas, tant pis.
Et avec les riverains, ça se passe comment (la salle est en plein centre ville de Bordeaux, rue du Mirail ndlr) ?
Boubi : Ça s’est toujours bien passé. C’est peut être un des seuls lieux qui ferme par choix et pas pour des raisons administratives…
Oui parce que ces derniers temps on a pu dénombrer un certain nombre de lieux qui ont fermé, entre la fermeture temporaire (entre mars et octobre 2014) du Bootleg , ou celle définitive du Saint-Ex, du Boobooz…
Pierrot : C’est la politique de la ville qui veut ça… Après, on a pu avoir quelques soucis, mais peut-être deux plaintes en dix ans, et qui sont restées sans suite. On a toujours eu de très bons rapports avec la police. Quand ils viennent, ils savent qu’ils peuvent tomber sur quelqu’un et discuter. Et même au niveau des retours que j’ai pu avoir des médias, on a toujours eu un bon écho auprès de la mairie, qui a l’air de considérer qu’on fait les choses bien.
Concernant l’origine du nom du projet, d’où est venue l’inspiration ?
Boubi : VOID c’est un groupe de hardcore des années 80, qui est mon groupe préféré personnellement.
Pierrot : C’est venu dans le brainstorming. Il fallait un nom, un concept qui plaise, avec du sens, une signification qui parle à tout le monde. Que ça parle, autant mélodiquement que par écrit. On a mis du temps à se mettre d’accord, on avait d’autres idées de noms mais qui, après réflexion, ne marchaient pas trop. En tant que nom « the void » signifie le vide, et l’adjectif peut signifier énormément de choses ; vomir, rendu, déclassé, annulé, abandonné… Aux Etats-Unis, il y a un tampon hyper connu en mode militaire estampillé VOID. On peut l’associer à tout ça et donc c’est resté.
Ne pas reprendre le nom de l’Heretic était un choix de votre part ?
Pierrot : Après concertation, on a décidé que, pour l’équipe qui arrête, celle qui reprend, et le public, il fallait un peu de cohérence et de lisibilité dans tout ça. Et c’est normal ; quand t’as ton projet qui s’arrête, t’as pas forcément envie que des gens derrière reprennent avec le même nom.
Par rapport à l’Heretic, quelle différence va-t-il y avoir en termes de programmation ?
Boubi : On va avant tout continuer à faire ce qu’on aime, les concerts qui nous plaisent.
Pierrot : On va continuer à travailler avec les assos avec lesquelles on travaille régulièrement, que ce soit en punk rock, pop ou électro… On maintient les partenaires, on a déjà travaillé sur la programmation. On va rester sur une ligne « musique actuelle » pour être large. Après, c’est vrai que nos sensibilités musicales personnelles sont peut-être plus larges que ce qui était proposé ici. On va donc essayer, avec nos propres réseaux, de proposer plus de hip hop, de soirées électro, que nous produirons.
Parce que avant c’était surtout des organisateurs externes qui organisaient les soirées…
Pierrot : Oui, on faisait surtout du lien, de la gestion de salle, avec ce lien vers les associations, les particuliers, les collectifs. Là, on a cette volonté de produire plus de choses nous-mêmes.
On verra donc toujours des soirées estampillées house ou techno ?
Boubi : On fait un peu le tri avec les gens avec qui on bosse dans ce milieu-là, parce qu’on se retrouve souvent juste à drainer les jeunes qui veulent se mettre la race, ce qui est assez chiant. On préfère bosser avec des gens qui font ça bien.
Pierrot : Peut-être viser un public plus âgé avec des trucs plus pointus. Il faut effectivement préciser qu’avant le VOID et l’Heretic, il y a eu le Plug et le Zoo Bizarre, qui étaient vraiment deux références dans le milieu électronique. Il y a encore des gens qui viennent nous voir pour nous parler du Zoo Bizarre, avec de très bons souvenirs. Ça montre que ça a vraiment marqué la mémoire collective des gens.
Boubi : De toute façon, on considère notre public dans sa globalité, il n’y a pas que des punks qui viennent ici. Ça se reflète au sein de notre équipe ; on est plein à écouter des choses différentes. En espérant que ça se ressente sur la programmation.
Il y a des lieux qui vous inspirent, en France ou à l‘étranger ?
Boubi : En ce qui me concerne, c’est plutôt des lieux que j’ai vu ailleurs qu’en France. Après, le truc c’est que nous avons format un peu bâtard. On n’est pas une boîte, pas un squat, on n’est pas un café-concert ; on est un club. C’est plus un format qu’il y a aux Etats-Unis, avec des plus petits clubs.
Pierrot : C’est le genre de lieux que tu retrouves beaucoup en Allemagne, ou en Angleterre. Le format intermédiaire qui n’existe pas vraiment en France. Et c’est ce qui est chiant dans le réseau de salles : t’as soit le café-concert, ou la SMAC, et entre les deux, pas grand-chose… Sans doute parce que c’est un modèle assez difficile à tenir économiquement ; tu peux pas faire plus en termes d’activités, mis à part ouvrir tous les soirs.
Boubi : On a aussi une éthique qui fait qu’on refuse de faire des places ou des consos trop chères.
Pierrot : C’est vrai qu’on pourrait faire comme l’Iboat, changer les prix après minuit (depuis peu, les prix changent à 1h00, ndlr) ou ce genre de truc, mais on se targue d’avoir la carte la moins chère de la ville. Même à Saint-Michel, tu peux difficilement trouver moins cher. On continue à suivre cette ligne, pour avoir une politique d’accès large pour le plus grand nombre.
Pour les lieux inspirants, t’en vois plein quand t’es en tournée, des squats autogérés notamment. Pour le mythe, s’il fallait en choisir un, ce serait le CBGB à New York, qui était un club punk rock de la fin des années 70 et des années 80. J’ai vu plein de bouquins de photos où tous les groupes qu’on aime ont joué plusieurs fois. C’est en mode tout en bois, taggué partout, des affiches partout, hyper crado, c’est cet esprit de salle qu’on aime, celles qui ont véritablement une âme.
Justement, vous allez repenser le lieu ?
Pierrot : Il va y avoir un coup de neuf, deux-trois aménagements, on va rajouter une boule à facette. (rires)
Boubi : On pourra s’asseoir mieux, on a prévu quelques aménagements d’accueil. Ce sera plus cool pour tout le monde.
Est-ce qu’il y a des groupes, notamment locaux, que vous comptez soutenir, qui vous tiennent à cœur ?
Boubi : C’est ce qu’on fait tout le temps en fait. Surtout dans notre scène, hardcore et punk notamment, ça a toujours marché comme ça. On privilégie les groupes locaux. Dès qu’il y a un concert, on met des groupes locaux avec. On fait des soirées avec uniquement des groupes locaux, des DJ locaux aussi, de tous les horizons. Ça peut aussi être des groupes plus gros, qui viennent faire des release parties.
Quelles sont, selon vous, les qualités indispensables que doit avoir une salle pour bien fonctionner ?
Pierrot : La rigueur et la discipline déjà. L’ouverture d’esprit musicale.
Boubi : Et puis être cool avec les gens et faire des bières pas chères.
Pierrot : Ouais, tout le monde ne te le dira pas mais avoir une carte et des entrées hyper accessibles, ça te sauvera toujours la mise. Il y a plein de gens qui viennent le weekend sans connaître le programme mais ils savent que ça va pas être trop cher et que ça va fermer tard. Donc ils se disent que c’est un bon moyen de faire la teuf quoi.
Boubi : Et puis du coup, ça brasse un public plus large que des salles comme l’Iboat où les consos sont vraiment très chères. On n’a pas envie de ça, on n’aime pas ces endroits pour sortir, et on n’apprécie pas la politique qui en découle. On n’a pas envie d’être assimilé à ce genre de trucs.
Pierrot : Ouais il faut aussi avoir la foi, la ferveur. (rires)
Vous portez quel regard sur la scène culturelle bordelaise actuelle ?
Boubi : Ça bouge pas mal dans à peu près toutes les scènes. C’est les vieux qui trouvent que ça bouge plus parce qu’ils ne foutent plus rien en fait !
Pierrot : Ça s’est jamais trop arrêté en fait mais ça dépend des styles musicaux. Par exemple, le rock un peu veste en jean et garage est devenu hyper à la mode depuis 2-3 ans.
Boubi : Grâce aussi à des gars qui font vivre ça hyper bien.
Pierrot : Ouais c’est aussi les groupes à la mode qui font les scènes en fait. Et ça, ça ne se maîtrise pas.
Boubi : Ce qu’on aime, c’est quand il y a un truc limite « consanguin » qui se fait avec un petit groupe de gens qui fait plein de groupes et de projets différents ensemble.
Pierrot : C’est des générations de personnes en fait. En ce moment, il y a plein d’assos et d’orgas garage et punk un peu cheapos qui se montent. En électro, il y a eu une vague fin 2000 autour de la minimale, truc berlinois. Maintenant, la house est revenue… C’est hyper cyclique en fait.
Boubi : Et puis dans la scène punk aussi il y a plein de vieux de la vieille qui sont encore là et qui seront toujours là.
Pierrot : Ouais par exemple un truc comme l’Athénée Libertaire qui est là depuis 68 si tu veux… Bon après c’est hyper niché, des trucs de punks ou assimilés. Mais ça reste un lieu qui est hyper méritant pour ne jamais avoir dévié de la ligne qu’ils s’étaient tracés.
Et est-ce que pour vous Bordeaux c’est une ville underground ?
Pierrot (de façon nette et tranchée) : Non. (rires)
Boubi : C’est quand même une ville de bourges Bordeaux !
Pierrot : Non mais ça l’a été dans les années 80 quand il y a eu beaucoup de groupes de rock précurseurs style Noir Désir, Strychnine… Mais ça ne l’est plus trop maintenant. Tu vois quand je suis arrivé tu avais des salles partout à Bordeaux : le Son’Art, l’Inca, la Bamboula… J’sais pas mais des salles il y en avait bien une quinzaine et en 10 ans plus une seule. La politique de la ville n’est pas du tout dans ce truc là quoi.
Boubi : Ouais ça n’a rien à voir avec la motivation des gens mais quand on te donne pas le droit de le faire…
Pierrot : Ça collait avec l’image de la ville quand elle était noire, pleine de crasse et de voitures. Mais maintenant c’est des design stores et des marchands de je-ne-sais-quoi-d-eau-fraîche… Une autre image quoi, plutôt bourgeoise et clean.
Vous regrettez ça alors ou quoi ?
Boubi : Je ne sais pas si on le regrette parce que c’est vrai que ça apporte un côté tranquille.
Pierrot : De toute façon, il y avait des rues, il y a 10 ans, où tu ne passais pas le soir parce que c’était des énormes coupes gorges. Maintenant, tout le monde trace, picole, fume des joints, baise, pisse partout… Dans les années 80, tu ne pouvais pas sortir comme tu le voulais, comme c’est le cas maintenant. Ça passe aussi par des caméras partout et une politique plus consumériste. C’est même inscrit dans la politique de la ville avec des projets comme Bordeaux 2030 où on t’explique qu’ils veulent créer des pôles « Sortir la nuit » comme ils font aux Bassins à Flots. Tu sens qu’ils veulent tout virer mais, en même temps, ils nous ont gardé, pour on ne sait quelle raison. On reste optimiste pour la suite mais bon.
Boubi : On n’a pas de relations avec la ville et c’est pas plus mal. Je crois qu’il y a une espèce d’accord tacite : on les fait pas chier, ils nous emmerdent pas.
Pierrot : Il y a une paix sociale aussi. Les flics passent tous les soirs par exemple et voient bien qu’il n’y a pas d’embrouille comme il peut y en avoir ailleurs.
Pour finir, est-ce qu’on pourrait avoir un avant-goût de l’agenda 2016 du VOID ?
Boubi : On va ouvrir mi-janvier. On a déjà des trucs qui sont programmés jusqu’en novembre 2016.
Novembre 2016 ?!
Pierrot : Ouais ! Les programmateurs n’ont pas attendu en fait, on est en contact avec eux depuis longtemps et depuis début décembre ça s’enchaîne à mort. De toute façon, tout le programme complet sera mis en ligne fin décembre/début janvier.
Et des belles surprises du coup à attendre en termes de programmation ?
Boubi : Ouais on est plutôt contents.
Pierrot : En électro, si tout se fait, il y avoir des trucs vraiment pas mal et qui peuvent surprendre.
Merci à vous, on se retrouve le 14 janvier pour la soirée d’inauguration du VOID (event) !
Interview réalisée avec Marion Bernès.
Infos :
L’ Heretic, c’était tellement bien… ! Bar, programmation…
Le Void est super aussi, mais dommage qu’il faille refuser qu’on vous vende du speed ou quoique ce soit d’autre dès qu’on dessend dans l’arène !