Le bordelais du mois #07 – Sean Bouchard (fondateur de Talitres)

Quand on parle de production de musique indé, quelques mots concernant son éthique reviennent couramment : « sortir vos propres disques, le faire bien, être ami avec vos artistes et ne pas les arnaquer ». Cet adage, prononcé par Tony Wilson, pourrait sans souci être associé à la vision de Sean Bouchard, fondateur du label Talitres. Basé place de la Victoire, à Bordeaux, Talitres fait parti de ces labels indépendants qui résistent, sans jamais perdre de leur exigence. Résolument tourné vers la pop-folk américaine, Talitres compte à ce jour 85 artistes et groupes dans son catalogue (dont Motorama, Thousand, Flotation Toy Warning, Emily Jane White…) et s’est doucement imposé comme un label français incontournable. Alors que la structure s’apprête à souffler ses 15 bougies, le Type est allé papoter un peu avec Sean Bouchard. Rencontre avec un stakhanoviste passionné, toujours en recherche de ses “prochains meilleurs souvenirs”.

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Pour commencer, comment définis-tu l’esprit de Talitres ? Quelle est la musique que tu cherches à défendre avec le label ?

Pour le dire grossièrement, on est dans une veine pop-folk indépendante. Au début, le label s’est beaucoup appuyé sur une scène américaine de la côté ouest, que je qualifierai de slowcore ou sadcore. C’est une scène un peu dépressive, il faut le dire, mais que je trouve très belle. J’aime ressentir une pop tailladée au couteau et avec une certaine urgence dans la composition, à l’inverse d’une pop trop sucrée. C’est ce que j’ai trouvé chez Motorama, The Walkmen… On sent qu’il n’y a pas beaucoup de repos de l’âme derrière tout ça quoi. (rires)

Avec ton équipe, vous vous occupez de toute la promo des artistes en interne ?

Oui parce que j’ai le sentiment qu’on est les plus à même de défendre les projets qu’on porte. Je crois que les journalistes sont sensibles à ça. Maintenant, je sais que quand un disque est envoyé à Libération, aux Inrocks ou à Magic, il est clairement identifié Talitres par les journalistes.

Et tu gères personnellement le management des artistes du label également ?

Oui et ça demande beaucoup de temps parce que ce sont souvent des artistes qui débutent. Je tiens vraiment à ce que mes artistes connaissent et comprennent les contrats. Et puis, après ce travail d’accompagnement, ça ne m’intéresse pas de sortir un disque pour sortir un disque. L’important c’est de construire une histoire autour de nos groupes.

Talitres n’est pas qu’un label. Tu as notamment bien diversifié les activités au fil du temps.

Par envie et nécessité. On fait notamment du montage de tournées pour un certain nombre de groupes. C’était une volonté pour avoir une vision plus globale des projets. En 2005, j’ai aussi développé l’activité d’édition musicale, avec toute la partie de placement de musique dans des films ou des publicités notamment.

Talitres

Est-ce qu’il y a des labels en particulier qui t’inspirent au quotidien ?

S’il y a des labels qui m’ont donné envie de créer le mien, c’était des labels américains et quelques labels anglais comme Matador, Drag City, Domino…

Aucun label français qui pourrait se rapprocher de Talitres ?

Si je devais citer un label français, ça serait Lithium. Je pense qu’il y avait une certaine esthétique dans le projet et une vraie intégrité dans la façon de fonctionner. Je ne me retrouvais pas forcément dans toutes leurs signatures mais dans l’image qu’ils dégageaient du moins. Je pense aussi au label des Disques du Soleil et de l’Acier, à Nancy.

Tu penses que le Sean d’il y a 15 ans porterait quel regard sur le Talitres aujourd’hui ?

C’est assez amusant parce que, quand j’ai créé le label en 2001, je n’aurai pas forcément parié beaucoup de kopecks sur le devenir du label. J’ai vraiment monté le label sur un coup de tête. C’était une période où chacun créait des start-ups, c’était l’avènement du numérique… Parallèlement, je mettais les pieds dans une industrie au tout au début d’une crise profonde et durable. Je pense que c’était un pari à la fois audacieux et peut-être un peu inconscient de créer un label indépendant qui reposait sur la vente de produits physiques. Mais j’ai toujours été super ambitieux dans ma façon de monter le label car j’ai le sentiment qu’il faut l’être. Quand je signe des groupes par exemple, j’ai toujours l’impression que ce sont les meilleurs groupes du monde ! Et puis, il m’est arrivé d’écouter des albums sortis il y a quelques années et d’être beaucoup plus critique, même si je ne regrette quasiment aucune signature.

Et quelle est ta plus grande fierté par rapport à Talitres ?

C’est de pouvoir faire vivre du monde, que ce soit dans l’équipe mais aussi vis-à-vis des artistes. C’est aussi d’avoir pu travailler avec des groupes dont j’étais fan avant de monter le label comme Idaho ou The Apartments. Quand j’écoutais ces groupes au début des années 90, j’étais très loin d’imaginer sortir leur disque 15 ans plus tard !

Talitres va fêter ses 15 ans cette année. Quelque chose est prévu pour marquer le coup ?

On est en train de mettre en place une double soirée avec le Rocher de Palmer les 11 et 12 novembre. Il y aura des artistes emblématiques du label avec, à priori, Flotation Toy Warning, Motorama, Thousand, Frànçois & The Atlas Mountains, Stranded Horse, Emily Jane White et j’espère Idaho. L’idée, c’est aussi de pouvoir relayer cet anniversaire avec un certain nombre d’événements dans Bordeaux.

Pour le futur, tu aimerai orienter Talitres vers quoi ?

Ce que j’adorerai, ça serait d’aller chercher des groupes d’ailleurs. On travaille déjà avec des groupes russes et estoniens mais je trouverai ça fantastique de pouvoir signer un groupe brésilien, indonésien, grec… A mon avis, ces territoires fourmillent de groupes intéressants.

Un conseil à donner à quelqu’un qui voudrait monter son label ?

En général, j’essaye toujours de le faire parce que je trouve ça super de pouvoir aider les autres à se structurer. J’ai toujours considéré les autres labels comme des partenaires et non comme des concurrents. Le premier conseil que je donne c’est : travaille et sois patient. Il faut être présent et sérieux, se questionner, potasser des bouquins, échanger avec d’autres personnes… On a toujours l’impression que tout va aller très vite mais ça prend du temps. Parfois, les retours intéressants n’arrivent que lors de la sortie du deuxième album par exemple. Aussi, ce que je dis c’est : crois en ce que tu fais. Si on n’est pas persuadé que les albums qu’on porte ont une vraie force artistique, on aura du mal à faire tout le travail de promotion et de communication. C’est tellement compliqué qu’il faut être habité par le projet.

On pourrait conseiller un peu les mêmes choses à un artiste qui se lance non ?

Effectivement, parce qu’en plus d’être structurés artistiquement, on demande aux artistes de travailler leur communication pour dégager l’image qu’ils veulent transmettre, d’être présents sur les réseaux sociaux, de pas trop faire la tronche pour les photos de presse, de se montrer… J’ai le sentiment qu’on est une grande famille, qu’on porte les mêmes projets. Ce n’est pas l’artiste d’un côté et le label de l’autre.

Est-ce que tu as un « pire souvenir » avec Talitres ?

C’est compliqué de répondre… Je pense au groupe The Walkmen qui est parti de Talitres pour un gros label mais pour qui rien ne s’est passé ensuite pour le coup. C’est rageant de voir que tout le travail fait sur un groupe est un terreau qui n’est pas utilisé ensuite, parce qu’il n’y a pas de suivi derrière.

Et pour finir, un meilleur souvenir ?

Je réponds toujours que mes meilleurs souvenirs sont mes souvenirs à venir. Je pense aux prochains groupes qui rejoindront le catalogue et aux prochaines sorties. J’ai par exemple sur mon disque dur quelques démos que je trouve assez fabuleuses du prochain disque de Flotation Toy Warning. C’est un album qui est attendu et ça fait partie des groupes emblématiques du label car la sortie de leur premier disque nous a permis de franchir des paliers en termes de reconnaissance du milieu, ventes, retombées médiatiques… Dans les meilleurs souvenirs, il y a aussi les rencontres avec des journalistes. Si je devais me retourner sur mes 15 ans de Talitres, je devrais distribuer pas mal de couronnes de lauriers à des gens qui ont porté le projet, comme Bernard Lenoir. Ce qui épatant, c’est que les journalistes qui nous ont soutenu étaient des journalistes qui n’avaient plus rien à prouver à personne. Je leur dois beaucoup. C’est pour ça que, pour les 15 ans du label, j’aimerai demander à certains journalistes d’être en quelque sorte les parrains de cet anniversaire. J’aimerai leur faire comprendre que, si le label est encore là, c’est aussi grâce à eux.


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