Entretien avec Laroze, fraîchement diplômé d’un permis de tuer

Officiant depuis plusieurs années dans le Port de la Lune, Laroze n’est pas un marin d’eau douce mais bien un dj-producteur émérite qui part en mission. Son objectif n’est pas d’appréhender le narcotrafiquant Franz Sanchez, mais bien le dancefloor. Armé de son nouvel EP Licence To Kill, sorti vendredi dernier sur le label autrichien RTCT.records, l’agent Laroze tire à balles réelles chargées d’acid. On s’est entretenu avec Robin, à défaut de James, pour l’occasion.

Le Type : Salut Robin, comment vas-tu depuis le 1er avril dernier, où tu nous avais confié ta playlist le confinement en 19 tracks ?

Laroze : Salut ! Bah écoute, ça va plutôt bien : j’entame mon huitième mois de télétravail, et mon huitième mois sans soirées (ou presque). Heureusement, j’ai fait un ou deux écarts dans l’été et à l’automne qui m’ont permis de ne pas oublier ce que c’était de pouvoir danser et mixer, sinon ça commencerait à faire très long. En avril quand j’ai fait la playlist, j’espérais que ce soit la première et dernière du genre… et 8 mois plus tard nous en sommes toujours au même point ou presque. Mais j’en profite pour me reposer, prendre le temps afin d’être en forme pour mieux en profiter lorsque tout redeviendra normal.

House, hip-hop en passant par l’acid, avec des notes de breakbeat, de disco et d’électro. Une large partie de mes influences sont réunies dans cette sortie.

Tu as sorti Licence To Kill le 27 novembre ; peux-tu nous parler un peu de cet EP et nous dire l’idée générale qu’il y a derrière celui-ci ?

Comme dans la plupart de mes sorties, j’ai voulu proposer un produit large et complet, à la fois dans la forme et dans le fond. J’ai donc finalisé un EP de 5 titres (le maximum que l’on peut loger sur un disque), dont les styles vont de la house au hip-hop en passant par l’acid, avec des notes de breakbeat, de disco et d’électro. Une large partie de mes influences sont réunies dans cette sortie. C’est un défaut que j’ai de vouloir toujours tout dire, tout montrer, pour être sûr d’intéresser un peu tout le monde. Le titre lui, est une référence au catalog number de l’EP : RTCT.007 (pour l’agent secret t’as vu).

Laroze, fraîchement diplômé d’un Permis de tuer

Qu’en est-il de ton processus de création en cette période sanitaire instable où finalement on doit beaucoup rester à la maison ?

Pendant le premier confinement, j’étais à fond. J’ai beaucoup produit, et ça va se ressentir sur les prochains mois puisque après celui-ci, un autre EP de 4 titres sortira en janvier/février, et quelques tracks aussi sur des compil de copains (TXTR recordings, Ola Radio). Cet été aussi, j’ai pas mal produit, et j’ai fait l’ébauche d’un futur EP, mais pour être franc depuis le reconfinement, je n’ai pas ouvert Ableton. Je passe énormément de temps devant mon ordi puisqu’à côté de la musique j’ai un « vrai travail ». Je passe mes journées en visio, à fixer mon écran. Donc le soir et les weekends, j’ai moins envie de me refoutre sur l’ordi. La prod, c’est par période : parfois je ne vais rien foutre pendant des mois, et d’un coup je vais m’énerver et produire à fond. Là, on est clairement dans une période pas très active…

Dans mes rêves les plus fous, j’imagine Macron faire une allocution et dire « PUTAIN LES GARS C’EST OFFICIELLEMENT FINI, VOUS POUVEZ FAIRE LA TEUF, JETER VOS MASQUES, ALLER EN CLUB ». Je produis en pensant à ce jour qu’on attend tous.

D’ailleurs à l’écoute de Licence to Kill on ne peut s’empêcher de te demander ce qui t’a amené à produire des bangers aussi taillés pour le club à l’heure où les lieux de fêtes sont à l’arrêt ?

Pour être franc, beaucoup des morceaux de cet EP ont été commencés bien avant la crise du COVID. Cependant, j’observe depuis le premier confinement une envie de produire de la musique club, et je pense que c’est justement le manque de soirées et de DJ sets qui me donne cette envie. Et puis, je suis assez optimiste, donc je pense au jour de ce que j’appelle « la libération ». Dans mes rêves les plus fous, j’imagine Macron faire une allocution et dire « PUTAIN LES GARS C’EST OFFICIELLEMENT FINI, VOUS POUVEZ FAIRE LA TEUF, JETER VOS MASQUES, ALLER EN CLUB » genre avec une cérémonie où il officialise la fin de tout ça. Et je m’imagine que, ce soir-là, on fera tous la fête, et que mes morceaux résonneront alors un peu partout. Ça ne se passera sûrement pas comme ça mais, dans l’idée, je produis en pensant à ce jour qu’on attend tous.

Pour en revenir plus spécifiquement à cet EP, on a trouvé que la face A était particulièrement branchée acid et on a l’impression d’entrevoir une forme d’accentuation crescendo par rapport à tes derniers opus, tu nous confirmes ça ?

A vrai dire, j’ai toujours eu un petit penchant pour l’acid. Mon tout premier EP en 2015 contenait un face A très acid également, et presque tous mes EPs suivants contenaient au moins un track acid/rave. Donc ce n’est pas si nouveau, mais j’avoue que pour cet EP, j’y ai été fort. Cela traduit sûrement encore une fois le manque de fête. Et puis, dans le contexte actuel, les fêtes auxquelles j’ai participé étaient plus sombres et non-légales, la musique était plus agressive, alors cela m’a sûrement influencé. Enfin, je dois admettre que j’ai de moins en moins envie de produire de la disco-house, qui pourtant a été à l’origine de mes plus gros « succès ». J’aime toujours ce style, mais je sens qu’on en a un peu fait le tour : la majorité des morceaux à sampler ont été samplés, et la recette a été un peu épuisée. Je pense qu’une petite pause sur ce créneau ne fera pas de mal, pour mieux revenir un jour. Une chose est sûre, c’est que je ne veux plus faire des boucles disco sur laquelle je plaque de la TR909, du moins pas si ça ne permet pas d’apporter une vraie nouveauté.

Aujourd’hui, avec les premieres sur des chaînes Youtube et les playlists sur Spotify, ce n’est plus toujours « la scène » qui décide de qui a le droit d’être entendu, et c’est très bien.

Concernant la distribution, c’est la deuxième fois que tu sors un EP chez le label innsbruckois RTCT.records, on en conclue qu’ils ont été très satisfaits par Past 20 Years sorti il y a maintenant trois ans ?

Je pense qu’ils ont été satisfaits, et je l’ai aussi été. Ce qui était censé être ma plus petite sortie au départ (car RTCT est le plus petit label sur lequel j’ai sorti un EP) a finalement été mon plus gros succès. « What About Me » approche les 300k lectures, « You Gotta Keep On » les 100k lectures, « 7AM Feelings » est encore jouée par Dan Shake parfois, et « Arcade Desire » fait aussi son petit bout de chemin. Comme quoi, la popularité du label ne fait pas tout. Aujourd’hui, avec les premieres sur des chaînes Youtube et les playlists sur Spotify, ce n’est plus toujours « la scène » qui décide de qui a le droit d’être entendu, et c’est très bien.

Past 20 Years, EP sorti sur le label RTCT en 2017
Licence To Kill, EP sorti sur le label RTCT

Je cherche parfois à contacter les gros labels, mais la plupart n’ouvrent même pas leurs e-mails et ne répondent qu’aux copains. Comme faire de la lèche ne me branche pas, je passe vite à autre chose, et je travaille avec des gens que je connais et apprécie. Ils n’ont peut être pas la même audience et le même réseau, mais au moins ils font leur travail avec plaisir et réactivité. En plus, à la sortie de mon EP en 2017, Georg et Leo (les boss de RTCT) m’ont invité à Innsbruck pour mixer dans un igloo en haut des Alpes autrichiennes. J’y suis resté le weekend, ils sont devenus des potes.

Par quel artiste aimerais-tu être remixé ?

Je ne suis pas fan du remix d’une manière générale. C’est intéressant certes, et cela fait plaisir de voir que certains artistes acceptent de s’approprier ta musique à leur manière, mais j’ai rarement été surpris. Même si le remix que l’américain Andres a fait pour moi en 2016 était sympa, il ne m’a pas transcendé. Peut-être parce que je n’ai pas été remixé par les bonnes personnes, ou pour les bonnes raisons. D’ailleurs, à la réflexion, j’ai l’impression que le remix est un concept en voie de disparition, on en voit de moins en moins. Je suis assez indépendant et solitaire dans ma démarche créative : mon EP, c’est mon EP ! J’aime avoir le contrôle sur sa totalité, donc si on me propose un remix qui dénote avec ce que j’ai voulu dire, ça me tracasse.

Sauf erreur de notre part, on n’a jamais vu de clip pour aucun de tes sons. Aimerais-tu cliper un des morceaux de l’EP ?

Ça me plairait énormément, mais comme expliqué plus tôt, j’ai un « vrai travail » à côté de la musique qui ne me laisse pas le temps de tout faire. Impossible pour moi de caser travail, prod, DJ sets, vie sociale, vie amoureuse, et tout le reste. Donc le clip, c’est un bonus que je n’ai pas le temps de m’offrir. Tout comme d’autres aspects de mon projet artistique d’ailleurs : la com, l’agence de booking, le réseautage, l’imagerie et l’identité visuelle… tout ça, j’aimerai l’avoir et je suis sûr que cela me permettrait de décoller, mais je n’en ai pas le temps. Il faudrait que quelqu’un s’en occupe à ma place, mais ça coûte de l’argent, et la musique n’en rapporte pas. Je pourrai piocher dans mes économies personnelles, mais je n’ai jamais été du genre à préférer acheter un synthé vintage à 2000€ plutôt que de me payer des vacances au soleil. On l’a vu avec le COVID, la musique c’est un milieu très incertain, et je ne suis pas capable de tout plaquer pour quelque chose qui peut s’arrêter du jour au lendemain. Donc si un jour je trouve des personnes qui peuvent m’aider, pourquoi pas, mais pour le moment ce n’est pas ma priorité.

C’est ton 6ème EP ; tu les as tous sortis sur des labels nationaux voire internationaux, mais jamais à Bordeaux, sans doute par manque de structure locale. On voit que des labels se créent pour autant ici et que de plus en plus d’artistes à Bordeaux se mettent à la prod. Comment observes-tu cette dynamique ?

Peut-être que j’ai manqué quelques infos, car je ne trouve pas que la scène locale (en termes de production) a tant évolué que ça. Peu de collectifs ou de groupes de potes à Bordeaux utilisent leur temps libre pour monter un label, produire, faire presser des vinyles, tamponner des skeuds, envoyer des colis, créer des covers, passer des journées entières à créer de la musique et l’arranger, échanger avec l’usine de pressage, payer un distributeur.

Moi-même j’avoue que je n’aurai pas la patience de faire tout ça, c’est pour ça que je ne fais que produire et que je laisse le reste du boulot aux labels. Finalement, seuls quelques labels existent à Bordeaux, comme Broken District par exemple, mais ce que je fais ne colle pas forcément à ce qu’ils veulent produire. Et puis, en collaborant avec des boss de labels avec qui je n’ai jamais partagé de verre en soirée, avec qui je n’ai jamais fait d’after, ou à qui je n’ai jamais rendu de service, je prouve que je ne l’ai pas volé, que je n’ai pas copiné pour obtenir cette sortie. Dès mes premières sorties en 2015, j’ai toujours visé des labels hors-Bordeaux pour (me) prouver que seule ma musique a permis d’être signé.

Pour finir ; il semble que les clubs ne puissent pas rouvrir avant un bon moment ; au moment où ça sera le cas, est-ce qu’il y a des choses que tu aimerais voir un peu évoluer dans la façon dont les choses se passent à Bordeaux sur ce plan-là ?

Je trouve que Bordeaux est sur une très bonne dynamique en termes d’événementiel. J’ai hâte de voir ce que le déconfinement nous réserve, surtout avec une mairie de gauche et écologiste. J’espère que cela nous permettra d’avoir plus d’autorisations, et plus de considération de la part des autorités. Je préfère nettement que nos élus dépensent de l’argent public pour soutenir notre scène plutôt que pour faire plaisir aux réacs passéistes qui bégaient parce qu’on leur sucre un sapin à 60k€.

La scène locale est aujourd’hui monopolisée par ceux qui proposent de l’événementiel

En revanche, si je devais changer quelque chose à notre scène, c’est la place donnée aux producteurs par les organisateurs. Évidemment, comme c’est moi qui le dit vous allez penser que je le dis par intérêt personnel, mais je trouve vraiment qu’il y a trop peu d’intérêt à Bordeaux selon moi pour les producteurs. Ils ne sont pas exclus, mais ils ne sont pas valorisés non plus. La scène locale est aujourd’hui monopolisée par ceux qui proposent de l’événementiel, et c’est eux qui ensuite sont sollicités de toute part, car c’est eux qui distribuent ce qui intéresse les DJs : des dates. Un cercle vicieux s’est un peu emparé de la scène : les organisateurs s’invitent entre organisateurs. « Tel collectif invite tel crew », « Untel soundsystem invite le collectif untel »… C’est super, mais cela se fait malheureusement au dépend des producteurs indépendants qui remplissent leurs clés USB et qui parfois font rayonner Bordeaux à l’échelle nationale ou mondiale.

J’ai le sentiment qu’à Bordeaux il est indispensable de faire partie de son propre collectif et d’organiser ses propres événements si l’on veut avoir des gigs, et c’est dommage, car la production est un travail minutieux et très long qui mériterait lui aussi d’être récompensé. Je ne dis pas que l’un doit être préféré à l’autre, mais qu’ils peuvent cohabiter un peu mieux. En bref, producteurs ou organisateurs, on peut vivre ensemble comme le disait Florent Pagny ou Christophe Mae ou je sais plus quelle autre fragile personne.
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