Librement inspirée de la bande dessinée éponyme de l’autrice suédoise Liv Strömquist, L’origine du monde et son sarcasme dénonciateur sont programmés au TNBA jusqu’au samedi 10 décembre. Claire-Aurore Bartolo, metteuse en scène de la pièce et jeune diplômée de l’éstba (l’École supérieure de théâtre Bordeaux Aquitaine), revient au cours de cet entretien sur son processus d’écriture, la cohésion entre commédien·nes et la nécessité du rire. Il ne s’agit plus d’apaiser la colère, mais de la transformer pour qu’elle se donne en spectacle : L’origine du monde promet « un spectacle d’un genre profondément nouveau ».
Crédit photos : Pierre Planchenault
Le Type : Comment t’est venue l’idée de retranscrire L’origine du monde, la bande dessinée de Liv Stromquïst, en pièce ?
Claire-Aurore Bartolo : À la lecture de la bande dessinée à 19 ans, je me suis dit que c’était une œuvre incroyable et qu’il fallait que tout le monde la lise. Si un jour je devais monter quelque chose, ce serait ça. J’ai fait beaucoup d’études avant d’intégrer l’éstba. À 20 ans, au conservatoire régional de Paris, j’étais obligée de jouer dans une pièce et de mettre en scène quelque chose, pendant vingt ou trente minutes. J’ai donc mis en scène une première fois la BD, et j’avais un sentiment d’inachevé. C’est pour cela que lorsqu’on m’a proposé de créer un projet personnel à l’éstba, je l’ai repris. Je suis contente de la forme que l’on a aujourd’hui.
As-tu fait seule le travail d’adaptation ? Comment as-tu procédé ?
Oui j’ai tout fait toute seule. C’est ce qu’on appelle de la dramaturgie en théâtre, c’est-à-dire que l’on va se demander quelle est la cohérence de dire cela à tel moment, comment construire une pièce dans son intégralité, que ce soit pendant l’écriture ou au plateau. Je me suis par exemple demandée si j’avais envie que tel élément vienne au début, ou après, comment je devais créer le lien, la ligne directrice, etc.. La bande dessinée est très dense, je n’en utilise que 30 ou 40 %, en ne gardant que le plus important. Je pourrais faire un deuxième et un troisième spectacle rien qu’avec les choses que je n’ai pas dites !
Quel rôle les comedien·nes ont eu dans la construction du projet ?
Ils et elles ont eu un rôle important, dans le sens où j’ai pensé et imaginé des choses, mais elles et eux ont aussi été là pour en proposer. Par exemple pour me pousser à faire que la personnalité des conférencier·es soit encore plus forte. Je leur avais donné une caractéristique et eux avaient besoin d’en savoir plus, d’être nourri par plus, que ce soit plus clair. Il y a tellement d’informations à donner qu’il faut que les personnages soient bien définis.
Il y avait plein de choses déjà écrites, et il y en a plein d’autres que l’on a écrit ensemble.
Claire-Aurore Bartolo
C’est ce qui pêchait dans la première version que j’avais faite. C’est donc avec eux qu’on se disait par exemple : « ton personnage doit être timide ». Puis qu’on se demandait pourquoi, d’où ça venait, comment… Ce travail de « creuser les personnages » a vraiment été fait avec eux. Et puis ils et elles ont été force de proposition au plateau. Plus on avançait dans la création des personnages, plus au plateau ils et elles rajoutaient des choses, coupaient la parole à l’autre alors que ça n’était pas prévu… Il y avait plein de choses déjà écrites, et il y en a plein d’autres que l’on a écrit ensemble.
Tu as inclus du chant et des chorégraphies dans la pièce. D’où t’est venue cette idée ? Comment les as-tu choisis ?
J’aime beaucoup la musique et la danse. J’ai d’ailleurs commencé la danse et le théâtre en même temps, quand j’étais petite. Je voulais même être danseuse, mais je n’aimais pas forcément le milieu – c’était trop dur. Le chant ou la danse font partie selon moi de la dimension spectaculaire d’une représentation : c’est ce qui en fait du spectacle vivant. C’était donc une évidence, d’autant plus que le texte est très informatif de base.
Dès lors, à partir du moment où je me suis dit que j’allais monter le projet, j’écoutais de la musique. Dès que j’avais un coup de cœur, je voulais que la chanson y soit. Comme avec « Party in my pussy » de Catastrophe, juste avant la scène sur l’orgasme ou « More than a Woman » pour dire que les femmes sont bien plus que des femmes, juste avant la scène où l’on présente des hommes qui se sont trop intéressés à leur sexe. Créer les liens dramaturgiques, ça s’est fait comme ça.
Quand mon assistant – qui écoute beaucoup de rap – m’a proposé « L’origine » de Grems, on a beaucoup parlé de ce qui se faisait ou non en termes de codes. Pourquoi est-on obligé de dire des choses comme ça dans les paroles de rap ? Quand j’ai écouté ce son, je ne savais pas où me situer. Je voulais que les gens aussi ne sachent pas. Il y a quelque chose de prenant dans cette musique et, en même temps, c’est encore un homme qui aujourd’hui s’est trop intéressé au sexe féminin ! Mais, en même temps, pourquoi pas (rires) ? Tout ça me questionnait, et je voulais que le public aussi s’interroge, sans lui donner de réponses.
C’est ça que je trouve hyper fort dans l’écriture de Liv Stromquist et que j’essaye de retranscrire dans la mise en scène : l’humour vaincra.
Claire-Aurore Bartolo
Qu’est ce que cela te procure de mettre en scène ton premier spectacle ?
De l’énergie ! C’est très excitant, très stressant. En tant que metteuse en scène, je dois penser à beaucoup de choses en même temps. Je suis suivie par une structure, ça n’est donc plus à moi de tout gérer. Je peux un peu déléguer, mais il faut que je sache quoi. C’est encore très frais pour moi. Je pense que, petit à petit, je trouverai de l’apaisement ! Pour l’instant, c’est très excitant dans tous les sens du terme.
Dans ta note d’intention tu écris « Parfois je me réveille et j’éprouve une grande colère. Une colère de femme. Et je ne sais pas jusqu’à quel point elle m’appartient ». Est-ce que la mise en scène et l’adaptation de cette BD a transformé cette colère, et si oui en quoi ?
Je ne sais pas si ça l’a transformée. J’ai toujours tendance à être un petit peu en colère. Mais en tout cas, ça me fait très plaisir quand les gens viennent et quand les gens sont réceptifs à tout ce qui est dit, à cette forme-là. Je me dis qu’alors, cette colère on peut la transformer, on peut en faire autre chose. Et je passe énormément par le rire ! Parce que c’est important pour moi et que sinon, en fait… je pleure (rires). Il vaut mieux qu’on arrive à en rire et à prendre de la distance pour se rendre compte de tout ça plutôt que d’être en colère. C’est ça que je trouve hyper fort dans l’écriture de Liv Strömquist et que j’essaye de retranscrire dans la mise en scène : l’humour vaincra.
Quelle futur existe-il pour cette pièce ? Voudrais-tu la faire tourner, as-tu d’autres projets ?
J’aimerais beaucoup qu’elle tourne. C’est mon premier spectacle et j’arrive enfin à toucher du doigt quelque chose qui me plaît, parce que j’ai tendance à être très perfectionniste. Là je me dis : « ok, c’est bien ». Donc autant qu’un maximum de gens puisse le voir. J’ai des idées pour la suite, mais j’aimerais bien jouer aussi, je me questionne un peu pour l’instant. Je pense qu’il y aura un projet dans lequel je jouerai et qui ne sera pas forcément remis en scène par moi. Et un deuxième projet que je mettrai en scène. Je vais jouer dans L’origine du monde mais dans un autre format à trois commédien·nes qui sera destiné aux lycées.
Que retiens-tu de tes années à l’éstba ? Quelles pensées as-tu sur cette nouvelle génération de comédien·nes ?
L’éstba est une formation très intense, très riche, très dense, qui m’a beaucoup apportée. Je commence seulement à intégrer les choses que j’ai apprises il y a deux ou trois ans, à le voir sur mes camarades aussi. Ce processus prend du temps parce que ce sont des enseignements très intenses. Ça nous a permis de créer des liens très forts, parce qu’on est dix heures par jour ensemble tout le temps.
C’est comme une famille, parce qu’on ne s’est pas choisi·es artistiquement et qu’on a des point de vues très opposés parfois. Mais ces trois ans permettent de nous rencontrer vraiment et de nous rassembler. Il y a quelque chose de commun avec les comedien·nes de mon spectacle, c’est sûr. Et il y a des gens avec qui je suis rentrée à l’école et avec qui je pensais que nous n’avions pas les mêmes esthétiques. Mais peut-être que demain on pourra travailler ensemble ! On a des visions qui sont opposées, mais au niveau des valeurs il y a quelque chose de commun et bienveillant. Artistiquement on est très différents : c’est ce qui fait la richesse de notre promotion.
Le théâtre ça peut être cette joie-là aussi : on peut aimer la culture, et aimer rire, et aimer être ensemble.
Claire-Aurore Bartolo
Qu’as tu envie de dire à quelqu’un pour (re)venir à L’origine du monde ?
Que j’aimerais tellement que tout le monde ait accès à ces informations et à cette joie que les comédien·nes communiquent au plateau. Le théâtre ça peut être cette joie là aussi : on peut aimer la culture, et aimer rire, et aimer être ensemble. Tout ça est hyper important. Et si en plus ça peut servir la sexualité féminine…