Focus sur un enjeu crucial pour les artistes musicien·nes indépendant·es en 2025 : la découvrabilité musicale. Une problématique sur laquelle s’est penchée une récente étude de la FÉLIN et que l’on interroge ici à travers le profil de deux artistes de la scène musicale locale.
Crédit photo : William Millaud (Cheeko pendant la Fête de la Musique Le Type x Medusyne à Bien Public)
Comment émerger sur les plateformes de streaming ? C’est à cette épineuse question que tente de répondre l’étude Comment émerger sur les plateformes ?, réalisée par Alix Bénistant pour la FÉLIN, avec le soutien du LabEx ICCA et de Musicovery. Son objectif : comprendre le fonctionnement de la découvrabilité musicale, et sensibiliser sur ce défi pour les artistes indés. Deux d’entre eux sont pris en exemple ici pour l’occasion pour explorer les mécanismes de visibilité à l’ère des algorithmes ; le groupe Danakil, figure du reggae indépendant, et IGOR, artiste dirty pop émergent.

Comprendre les nouveaux parcours d’écoute
La notion de découvrabilité désigne la capacité d’un projet musical à atteindre son public dans un contexte saturé. En 2024, ce sont plus de 120 000 morceaux qui sont publiés chaque jour sur les principales plateformes de streaming (Spotify, Deezer, Apple Music…). L’enquête initiée par la FÉLIN avec le LabEx ICCA et Musicovery s’appuie sur les réponses et pratiques de 1800 personnes, âgées entre 15 et 69 ans, dont elle analyse les pratiques d’écoute en ligne. Elle s’inscrit dans la Mission franco-québécoise pour la découvrabilité des contenus culturels francophones.
Selon le travail d’Alix Bénistant, les recommandations algorithmiques orientent de plus en plus l’écoute. La musique ne se cherche plus : elle se présente à l’auditeur·ice via des extraits, des formats viraux ou des playlists éditoriales. Mais est-ce la seule façon de découvrir un artiste en 2025 ?
Ce qui fait la différence, c’est la communauté.
Danakil
Artistes indépendants et exposition : les cas Danakil & IGOR
Depuis plus de 20 ans, le groupe Danakil défend une approche fondée sur l’autonomie et les canaux humains : concerts, radios libres, et la création de sa propre structure, Baco Music. Ses membres considèrent les plateformes comme des relais, et non comme une finalité. C’est ce qu’ils évoquaient par exemple lors d’une interview accordée à Première Pluie en 2024 : « On est moins dépendants des algorithmes que d’autres artistes. Ce qui fait la différence, c’est la communauté. »
Artiste émergent, IGOR maîtrise pour sa part avec brio les codes des réseaux sociaux, sans pour autant s’y perdre. TikTok et Instagram, formats reels ou shorts : tout est mis au service de la diffusion de son travail, sans compromettre le fond, comme il l’explique : « Les humains font l’algorithme, pas l’inverse. » Pour lui, les playlists, qu’elles soient éditoriales, algorithmiques ou collaboratives, permettent de toucher un public varié et élargi.
Streaming et comportements d’écoute : une découvrabilité mouvante
L’étude de la FÉLIN révèle une grande variété de comportements d’écoute, selon l’âge ou l’usage. Les 15-24 ans sont ainsi plus présent·es sur TikTok, visionnent des Shorts sur YouTube Shorts et sont adeptes de playlists automatisées. De leur côté, les 25-34 ans sont plus enclins aux recommandations sociales, aux radios et aux « médias mixtes ». Quant aux personnes âgées de plus de 50 ans, elles ont une fidélité aux artistes historiques, aux radios FM et aux concerts.
Parmi ces groupes, on identifie ainsi plusieurs « profils » d’auditeur•ices : des « explorateur·euses assidu·es », à l’usage détaché et au profil curieux, à la recherche de nouveautés. Les « utilisateur·ices minimal·es » qui préfèrent une expérience simple et familière, ou des « playlist-centrique » très fidèles à des listes personnalisées. Les « découvreur·euses modéré·es » naviguent quant à eux entre radio et plateformes, tandis que les « auditeur·ices quotidien·nes » sont à la recherche la stabilité musicale.
Tous ces profils orientent leurs usages en fonction de l’algorithme, mais aussi du contexte d’écoute : sport, voiture, maison, événements culturels, etc. La découvrabilité ne se joue donc pas uniquement en ligne : elle navigue entre le numérique et le réel.

Diversité, singularité : les nouveaux enjeux
IGOR, distribué chez Jeune à Jamais et suivi par Z0NE en management, précise : « Je suis satisfait de ce que je propose, à partir du moment où ça me ressemble. » De son côté, Danakil, via Baco Music, promeut un modèle artistique plus collectif, durable, et fondé sur les fondations même du groupe : le partage et le rassemblement.
Le point commun ? Une stratégie hybride qui combine les outils du streaming avec des actions sur le terrain : concerts, rencontres, relation directe avec sa communauté. L’idée est donc de garder ses valeurs, tout en proposant quelque chose de nouveau. Pour IGOR, formats verticaux, courtes durées, visuels soignés font partie du jeu. Mais pas question de se trahir : « Il faut savoir jouer le jeu sans perdre le sens. »
Concerts, sincérité artistiques, approches hybrides : les chemins de la découvrabilité
Pour Danakil comme pour IGOR, la scène reste le lieu où le lien se crée. Festivals, tournées, showcases permettent une découvrabilité plus humaine, moins formatée.
En 2025, émerger sur les plateformes de streaming ne signifie pas uniquement jouer avec les algorithmes. L’étude conduite par Alix Bénistant montre que les stratégies les plus efficaces s’appuient sur la diversité des parcours, la sincérité artistique, et une approche hybride.
Malgré les algorithmes imposés par les plateformes de diffusion, les publics recherchent toujours des expériences musicales authentiques. La découverte de la musique, même médiée par la technologie, reste un acte profondément humain. C’est ce que démontrent les témoignages de Danakil et d’IGOR, qui représentent deux générations différentes ayant une même aspiration : être entendus, pas simplement écoutés.