Une cartographie des 826 festivals en Nouvelle-Aquitaine

A l’occasion de la parution d’une « cartographie nationale des festivals » présentée le 1er décembre dernier lors de la troisième édition des États Généraux des Festivals, on s’arrête ici sur le cas de la région Nouvelle-Aquitaine. « Festivalisation » de la culture, répartition de l’offre sur le territoire, diversification artistique… Le chercheur Emmanuel Négrier et Antoine Augeard de L’A. Agence culturelle Nouvelle-Aquitaine qui ont tous les deux travaillé sur cette étude partagent le fruit de leur recherche, tandis que Florent Teulé du RIM alerte sur l’un des risques qui pèse sur l’écosystème festivalier : le phénomène de concentration à l’œuvre dans le secteur.

Crédit photo de couverture : Alice Belair

La « festivalisation » de la culture est un phénomène qui s’observe et se fait ressentir depuis de nombreuses années en France, sans pour autant avoir déjà fait l’objet d’une étude approfondie. Pourtant, à l’heure où les pouvoirs publics (l’État en tête) entendent accentuer leur soutien à ce type de manifestations culturelles, il convient de pouvoir comprendre au mieux la réalité de cet écosystème. C’est précisément l’une des ambitions des États généraux des festivals initiée par le Ministère de la Culture en 2020, et d’un travail de cartographie mené en parallèle, région par région. En Nouvelle-Aquitaine, c’est L’A. Agence culturelle Nouvelle-Aquitaine qui a conduit cette étude, accompagné par le laboratoire Le CEPEL à Montpellier, que dirige le chercheur Emmanuel Négrier, qui avait précédemment mené des études similaires dans d’autres régions, avec le Département des études de la prospective du Ministère de la Culture et de France festivals.

Un travail de collecte et de recensement au plus proche de la réalité

Point de départ de ce travail d’enquête : la définition de l’objet festival. Comment en délimiter les contours ? Interrogé sur cette question, Antoine Augeard de L’A. Agence culturelle Nouvelle-Aquitaine prévient d’entrée de jeu : « Il n’existe pas de définition officielle d’un festival ». Pour l’étude, des données objectives ont donc été fixées : « Pour être pris en compte, il fallait que le festival ait déjà eu lieu sur au moins deux éditions, étalé sur deux jours, et avec au moins six représentations, ou six invités ». Avec cette nomenclature, sur 2019, ce sont 826 festivals qui ont pu être recensés pour la seule région Nouvelle-Aquitaine. « A l’échelle nationale, on va sûrement arriver à plus de 8000 » complète le chercheur Emmanuel Négrier, spécialiste de la question festivalière et dont le laboratoire à Montpellier le CEPEL a participé activement à l’élaboration de l’étude.

Des chiffres importants, qui témoignent de la vitalité de l’écosystème festivalier en France, comme le mentionne Emmanuel Négrier : « La dynamique de festivalisation est encore extrêmement active. Les festivals qui se créent en 2010-2020 sont plus nombreux que dans les années 2000-2010, et que sur les décennies précédentes ». Pour parvenir à ces résultats, un important travail de récolte de données a été effectué sur l’ensemble du territoire, en collaboration avec plusieurs acteurs. « Nous étions déjà en discussion avec l’ALCA pour faire des échanges de bases de données et travailler sur les festivals. Cette étude nous a permis de réaliser un inventaire complet des festivals sur toutes les disciplines. Nous avons également travaillé avec le Conseil régional, la DRAC et le réseau Astre pour les arts visuels » explique Antoine Augeard de L’A. Agence culturelle Nouvelle-Aquitaine. Un inventaire quasi-complet a donc pu être effectué en Nouvelle-Aquitaine, autant en croisant les données des différents réseaux parties-prenantes de l’étude qu’en recherchant par exemple aussi les licences d’entrepreneurs du spectacles, ou via une recherche active sur les réseaux sociaux, la consultation des listings des collectivités locales… « Il y a même eu une relecture des listes par les conseils départementaux » précise Antoine.

Les festivals néo-aquitains

Lorsqu’on s’attarde sur le cas néo-aquitain, on constate les mêmes dynamiques que celles à l’œuvre sur l’ensemble du territoire français. Avec, d’abord, une forte métropolisation des festivals, à travers des logiques de marketing territorial de plus en plus affirmées pour les élu·es. « Quelle grosse ville n’a pas son festival d’été organisé par les collectivités locales ? » interroge ainsi Antoine Augeard. Cette « festivalisation » de la culture et cette métropolisation de l’offre festivalière se traduit notamment par un renouvellement et une diversification des disciplines proposées par ce type d’événement, avec une place plus importante prise par les arts visuels, la lecture ou le cinéma. Ce constat d’augmentation des festivals dans la région, Florent Teulé le partage lui aussi, en tant que directeur du Réseau des Indépendants de la Musique (RIM) qui compte « une quarantaine de festivals » parmi ses 198 membres (recensés en novembre dernier), avec « une augmentation de ce type de structure dans le réseau depuis une quinzaine d’années, confirmant ce phénomène de festivalisation. »

L’une des singularités de la Nouvelle-Aquitaine, en tant que région maritime, par rapport aux 3 autres régions françaises côtières (Occitanie, PACA et Bretagne) réside dans le relatif faible développement des festivals sur le littoral, laissant Emmanuel Négrier souligner que « La Nouvelle-Aquitaine a résisté à la littoralisation de ses festivals » et Antoine Augeard d’ajouter qu’en Nouvelle-Aquitaine, l’objet festival « n’est pas qu’un fait touristique ».

Festival Baleapop (Saint-Jean-de-Luz, Pyrénées Atlantique). Crédit photo : Julien Peyrou

Autre spécificité du paysage festivalier néo-aquitain : un développement des événements sur tout le territoire, autant en milieu rural qu’urbain. Et ce dans une région très rurale, avec seulement 49% de la population de la région vivant en commune urbaine. Dans une étude, L’A. Agence culturelle Nouvelle-Aquitaine avait révélé en effet que 45% des festivals régionaux se déploient en zone rurale. Un autre fait notable, relevé par Antoine Augeard est le cas de la Creuse, département de la Nouvelle-Aquitaine doté du plus grand nombre de festivals, rapporté à la taille de sa population. Proportionnellement, l’offre festivalière est plus importante pour un.e habitant.e de la Creuse (28 festivals pour 100.000 habitant·es) que pour une personne résidant en Gironde (12 festivals seulement pour 100.000 habitant·es).

Quel rôle de la puissance publique dans le soutien aux festivals ?

Si la cartographie présentée jusqu’ici n’a pas vocation à étudier directement le rôle des pouvoirs publics vis-à-vis de cette « festivalisation » de la culture, la place prise par l’objet festival partout en France et en Nouvelle-Aquitaine interroge sur les relations qu’il entretien avec les collectivités territoriales. Et ce notamment sur la question de l’accompagnement et de la nature du soutien qu’accorde ou non les collectivités à telle ou telle manifestation. En Nouvelle-Aquitaine, c’est surtout le Conseil Régional qui est actif à ce niveau-là.

L’État de son côté soutient pour sa part principalement les festivals les plus visibles, à même de rayonner à l’échelle internationale, là encore dans une logique de marketing territorial. Dans la Région, on peut penser aux Francofolies par exemple. Une politique publique nationale peu susceptible de favoriser l’émergence de nouveaux événements. Plus globalement, c’est la ville qui reste l’interlocuteur le plus susceptible de soutenir les festivals, comme le précise Antoine Augeard.

Enfin, l’un des enjeux majeurs dès lors que l’on évoque les liens entre puissance publique et festivals est celui de la concentration à l’œuvre dans le secteur. En effet, depuis quelques années, on assiste à un phénomène qui voit certains grands groupes s’accaparer des festivals autrefois associatifs, ou simplement se lancer dans l’organisation de projets de festivals, à renfort d’importants capitaux. En Nouvelle-Aquitaine, c’est le cas de Garorock à Marmande, dans le Lot-et-Garonne, désormais détenu par une filiale de Vivendi (entreprise du capitaine d’industrie et magnat des médias Vincent Bolloré) : Olympia Production. Celle-ci détient également Brive Festival et gère également la programmation du festival ODP à Talence. Dans le Pays basque, l’apparition de Biarritz en été répondait aux mêmes logiques : Matthieu Pigasse, homme d’affaire et propriétaire de nombreux médias (Les Inrocks, Radio Nova… regroupés sous la holding Combat) en était à l’initiative. Un processus « ancien » selon Florent Teulé, directeur du RIM, qui indique ne pas être surpris par ces récentes arrivées et cette « concentration industrielle qui touche le secteur musical à tous les niveaux, avec des intégrations horizontale et verticales : de la main-mise sur la carrière des artistes jusqu’aux systèmes de billetterie ».

Festival ODP. Crédit photo : Astrid Lagougine.

Parfois assez éloignée de logiques associatives et répondant davantage à des enjeux de soft power pour leurs propriétaires, l’organisation de ces festivals méritent une attention particulière des élu·es du territoire. Pour Florent Teulé, cet intérêt accru d’entreprises qui n’ont a priori rien à voir avec le maillage culturel associatif est « dangereux pour la question de la diversité artistique, des droits culturels, mais aussi pour les équilibres économiques de l’écosystème musical. »

Face à ce phénomène, la Région Nouvelle-Aquitaine a ainsi fait le choix de ne pas subventionner directement ces événements, ou de les soutenir simplement sur de la visibilité, sur un volet communication. « Les politiques publiques ont fait des pas dans le bon sens. Les choix de la Région vis-à-vis des structures indépendantes et des festivals
sont plutôt bons
» insiste Florent Teulé qui s’active avec le RIM pour s’inscrire dans la co-construction des politiques publiques culturelles régionales, à travers notamment un contrat de filière (renouvelé en janvier dernier) intégrant les multiples enjeux auxquels font face les festivals dans la période actuelle. Une dynamique qui, comme l’étude menée par L’A. Agence culturelle Nouvelle-Aquitaine et le CEPEL le démontre, témoigne d’une compréhension et d’une prise en compte plus importante de l’objet festival par différents acteurs de cet écosystème. Au point d’encourager la création de nouveaux festival en Nouvelle-Aquitaine ? La prochaine étude le dira.

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