Alors qu’ils viennent de sortir leur premier numéro, nous sommes allés à la rencontre des créateurs du magazine Bordel. Un média papier au service de la culture rap bordelaise
Vous avez peut-être vu sa Une tourner sur les réseaux sociaux. Ou peut-être sa quatrième de couverture, sur laquelle une cinquantaine de noms de rappeurs bordelais y est inscrit. Lui, c’est Bordel, un magazine papier (oui, ça existe encore) de 16 pages, gratuit, que l’on pouvait notamment se procurer chez Six Six Six, une boutique de vêtements bordelaise, et qui a rencontré un franc succès. La preuve ? Deux semaines après sa parution, les 250 exemplaires imprimés avaient déjà trouvé preneurs.
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Les trois personnes à l’origine du projet ? Mathéo, Lucas (qui ont tous les deux 20 ans) et Quentin (23 ans), trois potes passionnés de rap, qui avaient juste envie d’écrire sur leur genre musical préféré. « À la base, l’idée vient de Mathéo, qui est un pote d’enfance. Dès qu’il m’en a parlé, je lui ai directement répondu que j’étais chaud. Pareil pour Quentin, que je connais depuis le collège, et avec qui on écrit déjà pour le média rap Murmure » lâche Lucas. Ayant tous les trois grandi à Bordeaux, c’est tout naturellement qu’ils ont eu envie de parler des rappeurs de leur ville. « On écoute tous les trois des mecs de la ville, et pas forcément les mêmes. Mais on est d’accord pour dire qu’il y en a de très chauds. » Ainsi, on trouve des articles sur des old-timer comme Fayçal ou Sam’s (« c’était important pour nous de parler d’eux »), mais aussi et surtout des rookies prometteurs comme Floki, Halim, ou encore Khali, à qui ils consacrent une double-page, et qu’ils considèrent comme le rappeur ayant le plus gros potentiel pour exploser au niveau national.
Au passage, on leur a évidemment posé la sempiternelle question que l’on pose à chaque rappeur bordelais : pourquoi aucun rappeur de la ville n’a encore explosé au-delà de Bordeaux ? « On pense qu’il manque des médias et des structures pour que les artistes puissent se développer. Et puis les artistes se donnent peu de force entre eux. Il n’y a pas de force collective comme à Paris, Marseille ou Lyon. Même eux le disent : tout le monde veut péter, mais ils veulent tous être les premiers à péter. Après, il y a quand même Sam’s… mais il est plutôt connu pour son métier d’acteur. Ce n’est pas vraiment une tête d’affiche du rap » estiment-ils.
L’une des caractéristiques de Bordel, c’est aussi de mettre en avant tous les métiers gravitant autour des rappeurs : on trouve notamment des articles sur Blakhat, un collectif de graphistes à qui on doit notamment la cover de La Menace Fantôme de Freeze Corleone, ou encore le beatmaker Raaash, qui a par exemple collaboré avec Jul, Alonzo ou Ashe 22. Des beatmaker qui, à l’image de Noxious, collaborent régulièrement avec les plus gros noms du game (on l’a récemment entendu sur Le monde est méchant de Niska), alors que de leur côté, les rappeurs bordelais peinent encore à se faire entendre hors des murs de Bordeaux. « Certains beatmakers sont déjà des stars dans leur domaine… Mais tous ceux que l’on a interrogés sont attachés à représenter la ville. Donc peut-être qu’un jour, ils arriveront à emmener un rappeur bordelais dans leur sillage… »
On voulait quelque chose qui dure dans le temps. Instagram, c’est trop éphémère. Et on voulait que les artistes soient fiers qu’on parle d’eux dans un objet physique
L’équipe de Bordel
Autre caractéristique de Bordel : les trois potes ont décidé de sortir un magazine papier, ce qui apparaît presque comme une hérésie à l’heure du tout numérique. « On voulait quelque chose qui dure dans le temps. Instagram, c’est trop éphémère. Et on voulait que les artistes soient fiers qu’on parle d’eux dans un objet physique. » Sur la forme, Bordel adopte un format fanzine, ces magazines gratuits et amateurs qui étaient très répandus dans les années 1990. Une idée que l’on doit à Mathéo. « Mon père a évolué dans la culture punk de Bordeaux. Et à cette époque-là, il y avait pas mal de fanzines. Un des potes de mon père travaille d’ailleurs à la Fanzinothèque de Poitiers. » (Fanzinothèque sur laquelle on a écrit un article dans le premier numéro de Akki, la revue papier de Le Type).
Mutualiser les forces
Après avoir choisi leur format, et malgré leur manque d’expérience dans le domaine du journalisme (« Moi et Lucas, on est en école de commerce, et Quentin travaille dans la menuiserie » explique Mathéo) les trois potes se sont donc lancés tête baissée dans ce projet un peu fou. Avec parfois quelques déceptions (« on taira les noms, mais il y a des rappeurs qui ne nous ont jamais répondu » rigolent-ils), mais pour un résultat super positif au final. « Globalement, on a eu que des bons retours. Ils étaient tous contents qu’on parle d’eux. Pendant les interviews, certains beatmaker comme 3G et Bricksy nous ont même donné des idées pour des articles. Ça donne de l’énergie pour la suite ».
On a envie de représenter tout le monde, et que tout le monde se sente représenté. Il n’y en a qu’en mutualisant les forces que l’on pourra aller plus loin
L’équipe de Bordel
La suite, parlons-en : alors qu’ils aimeraient augmenter le nombre de pages pour le prochain numéro (le nombre réduit de pages étant avant tout dû à une contrainte financière), ils envisagent de trouver des sources de financement, voir de passer à un format payant, histoire de rentrer de leurs frais (« on est en auto-financement, alors que deux d’entre nous sont encore étudiants… »). Surtout, ils veulent prendre leur temps pour le prochain numéro (qui pourrait sortir en début d’année prochaine), en privilégiant la qualité à la quantité. En attendant, alors qu’une soirée pourrait potentiellement être organisée pour fêter le succès du premier numéro, et alors qu’ils réservent d’autres petites surprises dans les semaines à venir, ils occupent le terrain sur les réseaux sociaux en relayant les actus des rappeurs bordelais. « On a envie de représenter tout le monde, et que tout le monde se sente représenté. Il n’y en a qu’en mutualisant les forces que l’on pourra aller plus loin ». Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin comme dirait l’autre…