Parité et représentativité au sein de la scène électronique : entretien avec Bernadette

Récemment invitée par l’IBOAT à jouer à Rêve de Jour dans le cadre d’une soirée au plateau 100% féminin, l’artiste Bernadette s’engage depuis quelques années pour rendre la scène électronique française davantage paritaire, à travers des cours de mixes qu’elle propose notamment. On a profité de son passage à Bordeaux pour lui poser quelques questions sur le sujet. De la façon dont elle a commencé à se plonger dans cet univers jusqu’aux solutions qu’elle propose pour une féminisation des programmations d’événements, échange avec une dj qui s’active pour lutter contre les déséquilibres à l’œuvre au sein de la scène électronique.

Crédit photo : Jim Prunier, cours de mixes à Lyon au Sucre

Le Type : Comment t’es-tu lancée dans l’aventure du mixe et de la production ?

Bernadette : Il y a 6-7 ans, j’étais à l’IBOAT à Bordeaux, emmenée par l’équipe The DARE night, et j’y ai découvert le milieu de la musique électronique et de l’organisation d’événements. Rapidement, j’ai eu très très envie d’apprendre à mixer. Je me suis acheté du matos d’occasion et j’ai passé un an dans ma chambre à m’entraîner ou à jouer devant mes petits potes.

Il y a 5 ans, en septembre 2016, on m’a proposé de faire ma première date dans un bar à Grenoble et, en juin 2017, ma première date dans un club. La suite a été très rapideLa production, elle, est très récente. Je produis depuis un an environ avec la sortie en mai 2021 d’un morceau sur la compilation d’Ola Radio, Haute Fréquence, playlistée sur Trax Magazine.

https://www.youtube.com/watch?v=vUN9BAYbPSo&ab_channel=Bernadette

As-tu rencontré des obstacles ?

Bernadette : Des obstacles ? Je dirais surtout qu’au départ, personne ne me prenait au sérieux. C’était encore très rare les filles qui mixaient à l’époque, surtout à Grenoble. Mais l’envie était tellement forte que je ne me suis pas laissée décourager. Ensuite, les premières dates où j’ai pu mixer, les regards étaient très présents. Heureusement que je m’étais bien entraînée en amont, car la moindre erreur était plus visible et moins pardonnée.

Les instruments de musique sont genrés, et la musique électronique l’est clairement au masculin.

Bernadette

Comment observes-tu le manque de parité dans les programmations d’événements de musiques électroniques ? Selon toi, pour quelles raisons manque-t-on de femmes qui mixent ?

Bernadette : Je me suis rendue compte que les instruments de musique étaient genrés, et la musique électronique l’est clairement au masculin. Notre société et notre éducation nous poussent inconsciemment à aimer telle ou telle chose en fonction de si on est « garçon » ou « fille », alors que le sexe n’a aucun impact sur la musique que nous allons produire. Forcément, moins de personnes de sexe féminin vont s’intéresser à ce milieu. Inconsciemment elles vont avoir l’impression que ce n’est pas fait pour elles. Enfin, le manque de représentativité est aussi un problème, car sans modèle, il est difficile de se projeter.

Quelles seraient, selon toi, les solutions pour que les line-up se féminisent ?

Bernadette : Il y a plusieurs solutions. La mienne a été de créer Move UR Gambettes et de faire des ateliers de djing pour rendre la pratique plus accessible aux femmes. Il y a aussi Connect Her qui a créé un site Internet pour référencer les différentes femmes DJ en France. Cela permet de connecter les artistes entre elles et de donner aux programmeurs des pistes pour leurs line up. Il y a également Vénus Club qui monte une agence de booking réservée aux femmes. Ou bien, Unit Sœur qui organise un livestream avec des femmes. Bref, pleins d’actions et de moyens sont possibles …

Cours de mixes à Lyon, au Sucre, crédit photo : Jim Prunier

Peux-tu nous parler plus en détail de ton projet Move UR Gambettes ?

Bernadette : Depuis mes premières dates, j’ai très rapidement trouvé des copines à qui je souhaitais transmettre ma passion, puis les faire mixer sur des petits évènements dans des bars. D’abord à Grenoble, puis Lyon et Paris. Ce qui m’a motivé, c’est sincèrement passer du temps avec des copines avec qui mixer, et partager des choses tout simplement.

Si je pouvais me dédoubler ou me tripler, je pourrais faire beaucoup plus de choses avec l’association et former encore plus de monde !

Bernadette

Ce projet, ce sont surtout des objectifs. Faire découvrir le métier de DJ à toutes les curieuses de cette vocation, et leur proposer une formation bienveillante, sans sentiment d’oppression. Puis, accompagner et promouvoir des talents émergentes de la musique électronique au féminin. D’un côté, développer pour les femmes et minorités de genres des possibilités de formations professionnelles et gratuites à la pratique des musiques électroniques avec les ateliers de mixes gratuits sur Lyon, Bordeaux et Paris. De l’autre, soutenir de jeunes artistes émergentes sur une durée d’un an aussi bien dans leurs pratiques techniques (vinyle, CDJ, MAO) que dans la gestion de leur carrière naissante à Grenoble avec Sister Act et à Marseille avec Iels Mixes. Pour le moment, je n’ai rencontré aucun obstacle, à part le manque de temps (rires). Si je pouvais me dédoubler ou me tripler, je pourrais faire beaucoup plus de choses avec l’association et former encore plus de monde !

SISTER ACT, Grenoble

Penses-tu qu’une des solutions peut être d’encourager davantage d’événements avec des plateaux 100% féminins, sur le modèle de la soirée du 14 juillet de Rêve de Jour où tu as récemment joué à Bordeaux ?

Bernadette : Bien sûr ! Il faudrait surtout que cela soit fait sans forcément y penser. Juste un fait : cette fois-ci il n’y avait que des filles, mais parfois il y aura 50% d’hommes, 50% de femmes et parfois que des hommes. A la fin, l’idée c’est que le sexe n’entre plus en compte dans la construction des programmations. Même si, pour l’instant, nous avons encore besoin de faire attention.

Ce que j’ai beaucoup aimé avec la date du 14 juillet de Rêve de Jour, c’est vraiment d’avoir fait un line up 100% féminin sans l’avoir dit nul part dans la communication ! Et si on ne me l’avait pas dit, je ne l’aurais peut-être même pas remarqué !

Comment envisages-tu l’avenir de la place des femmes au sein de la scène électronique ?

Bernadette : J’envisage un avenir où il n’y aura plus besoin de Move UR Gambettes, car la pratique sera beaucoup plus représentative des minorités de genres. J’ai l’impression que les choses bougent et que l’on prend enfin conscience de certaines inégalités, et ça fait du bien. Même si le chemin à parcourir est encore long, il y a beaucoup d’espoir !

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