DJ, curatrice et agitatrice culturelle, Romy White fait vibrer la scène bordelaise avec des sets éclectiques mêlant baile funk, afro beats, bass music et une diversité de styles musicaux. En parallèle, elle a récemment lancé STOER, un média hybride entre plateforme éditoriale et laboratoire événementiel, visant à mettre en lumière les artistes émergent•e•s et à favoriser une scène plus égalitaire. Rencontre avec une artiste qui transforme l’énergie collective en moteur de création. Une conversation à retrouver en français ici sur Le Type et en anglais sur Ransom Note, dans le cadre d’un partenariat entre les deux médias pour promouvoir la scène musicale bordelaise.

La version anglaise de l’entretien avec Romy White sera bientôt disponible sur le média anglais Ransom Note.
Crédit photos : Kath Garmendia
Le Type : Tu viens de lancer STOER : qu’est-ce qui t’a poussé à créer ce média ?
Romy White : Ça fait à peine un an et demi que je mixe, je suis encore dans une phase de tremplin, d’émergence. J’ai toujours eu soif de travail, que ce soit en tant que DJ ou dans mes projets. Je poursuis aussi mes études en parallèle, c’est donc beaucoup d’organisation.
J’ai commencé à apprendre à mixer avec des ami·es. Il y a quelques mois j’ai initié des apéros de rencontres et d’apprentissage du mix entre filles actrices culturelles. C’était des moments où elles apprenaient ensemble, et se rencontraient ; on commençait à créer un réseau. On se rappelait entre nous pour bosser sur d’autres projets, et à un moment je me suis dit qu’il fallait structurer tout ça. STOER est né de cette envie de proposer quelque chose de plus gros, de plus solide. Un format hybride, à la fois média et plateforme d’événements.
Ce média, je l’ai pensé comme un espace où je peux mettre en avant les artistes qui me touchent.
Romy White
En néerlandais, « stoer » veut dire « audacieux ». Ce média, je l’ai pensé comme un espace où je peux mettre en avant les artistes qui me touchent, toutes disciplines confondues, avec un focus sur la musique. Il y a aussi une partie événementielle : des ateliers, des clubs. J’ai envie de recréer une dynamique entre les artistes et les acteur·ices du milieu culturel.
On passe beaucoup par Instagram et les réseaux sociaux en général. C’est un vrai outil pour bien présenter les projets. L’objectif, c’est d’avoir un échange direct avec le public.

L’idée est de défendre une scène égalitaire.
Romy White
Quel est le positionnement éditorial de STOER ?
STOER n’est pas un média exclusivement féminin, mais il met majoritairement en avant des femmes, sans pour autant exclure qui que ce soit. L’idée est de défendre une scène égalitaire. L’interface se veut accessible, inspirante et directe : on y retrouve des portraits d’artistes, des interviews, la présentation de leurs projets… Tous les profils sont représentés, émergents comme déjà installés.
Chaque artiste mis·e en lumière est quelqu’un avec qui été invité sur un événement ou un projet programmé par STOER. Le ton est bienveillant, sincère, parfois ça peut s’apparenter à du mentorat. Côté formats, STOER existe principalement via les réseaux sociaux : Instagram, YouTube, SoundCloud. Il y a aussi une dimension événementielle avec des ateliers et des soirées club où l’on mêle curation artistique et partage. Je gère tout de A à Z, il n’y a pas de journalistes.
Comment as-tu construit la communauté autour de ce projet ?
C’est un projet que je mène en solo, même si je suis très soutenue par mon entourage. Mon copain m’aide notamment sur la partie visuelle. STOER ne pourrait pas exister dans une bulle fermée : ce n’est pas un projet collaboratif au sens classique, mais il repose sur un réseau de gens avec qui je travaille, qui partagent les mêmes valeurs. La communauté s’est formée naturellement autour d’idées de solidarité, de bienveillance, d’inspiration. Beaucoup d’artistes y trouvent une forme de transmission, un accès à l’apprentissage et une reconnaissance.
Quel lien fais-tu entre ton expérience de DJ et la création de ce média ?
STOER est une extension directe de ma pratique artistique. Le fil rouge, c’est la création. J’adore être DJ, mais j’avais aussi envie d’offrir un cadre plus large aux artistes pour qu’ils ou elles puissent vivre de leur art. Avec le média, je crée un lien entre différentes disciplines : musique, danse, arts visuels… et j’essaie de rassembler autour de tout ça.

Tu es par ailleurs active sur la scène bordelaise en tant qu’artiste. Comment ton parcours musical s’est-il construit ?
Je suis franco-kabyle et néerlandaise. Chez moi, on écoutait très peu de variétés françaises. J’ai grandi avec des sons de Seu Jorge, Mayra Andrade, Sade, les Fugees, Jamiroquai… J’ai donc baigné dans des genres très variés et ça se retrouve dans mes sets : je mixe toujours au moins dix styles différents dans mes sets. Que ce soit du baile funk, de l’afro beats, de la bass music ou la jersey club et le dancehall.
Mes sélections sont très axées sur le corps, le mouvement, la pulsation.
Romy White
La danse a aussi joué un rôle important. J’en ai fait pendant longtemps et mes sélections sont très axées sur le corps, le mouvement, la pulsation. Je veux faire voyager les gens à travers des univers musicaux riches.
Tu es aussi impliquée dans des événements engagés comme le Super Bamboum ou des ateliers à l’IBOAT. Comment choisis-tu les projets et événements auxquels tu participes ?
Je fonctionne beaucoup à l’humain. Je bosse avec des gens avec qui il y a une vraie connexion. Si ça ne matche pas en termes d’énergie, je ne m’embarque pas. Je refuse de travailler avec des personnes qui ne sont ni bienveillantes, ni professionnelles.
Concernant l’IBOAT, Je travaille avec eux seulement depuis janvier, depuis qu’ils ont changé de programmateur. Je connaissais Alexis Modine personnellement, et on se connaissait personnellement, c’est ce qui nous a amené à travailler ensemble surtout qu’il voulait soutenir mon projet artistique. Résultat : j’ai lancé avec eux les soirées Abrasive : un club et apéroboat avec une initiation au mix. Je suis par ailleurs très contente que des projets comme le mien soient soutenus.

On est en train d’aller vers une scène plus égalitaire, et c’est beau à voir.
Romy White
En tant que femme DJ dans un milieu encore très masculin, comment as-tu trouvé ta place ?
J’ai eu la chance d’être bien entourée. J’ai appris avec des gars, et ça s’est globalement toujours bien passé. Mais, évidemment, j’ai connu les complications de base : des mecs qui dépassent leurs horaires de set, qui ne respectent pas toujours… J’ai appris à rester ferme, à affirmer ma place. Aujourd’hui, je vois une nouvelle vague d’artistes féminines qui prennent leur place avec force. On est en train d’aller vers une scène plus égalitaire, et c’est beau à voir.
Tu sembles très investie dans la mise en avant des artistes et leurs projets. Comment cela se traduit-il dans ta programmation ou tes collaborations ?
Je choisis les artistes avec qui je collabore selon un seul critère : leur travail. Peu importe leur genre. Il faut que leur univers me parle, que leur démarche me touche. Mon but, c’est de valoriser la scène dans son ensemble, de créer des ponts, et de favoriser une vraie mixité artistique.
Quels conseils donnerais-tu aux jeunes artistes qui souhaitent se lancer dans cette scène ou créer leur propre média ?
Deux choses. D’abord : rester fidèle à ce qu’on aime. Ne pas s’adapter pour plaire à une orga ou à un public, mais garder son identité artistique. Et ensuite : rester humble, mais ferme, surtout quand on est une femme dans ce milieu. Autre chose importante : si on veut professionnaliser son projet artistique, il faut comprendre dans quoi on met les pieds. Le monde de la nuit, c’est intense : le rythme, la fatigue, les gens sous substances, l’exposition physique… Il faut savoir que toi-même tu deviens ton produit. Et surtout : ne jamais avoir peur de poser des questions, d’échanger, de prendre le temps de comprendre les codes.
- La version anglaise de l’entretien avec Romy White est disponible ici sur le média anglais Ransom Note.