Théo Bidou : « Le Quartier B n’est que le point de départ de quelque chose de plus grand »

Alors qu’il vient de souffler la première bougie des Block Boat, ses soirées rap organisées à l’IBOAT, rencontre avec Théo Bidou, le patron du Quartier B, le seul et unique bar spécialisé dans le rap à Bordeaux. 

« On vient d’annoncer BabySolo33 pour la prochaine Block Boat à l’IBOAT. Les places partent super vite, c’est cool » déclare Théo Bidou, le patron du Quartier B, bar spécialisé dans le rap, un soir où le rappeur Jeebs est venu faire la release party de son premier EP, l’excellent Kintsugi. Ça, c’était avant que l’IBOAT n’annonce sa fermeture administrative temporaire (suite au décès de l’un de ses clients), pile au moment où le concert de BabySolo33 devait avoir lieu. Peu importe : on peut compter sur Théo pour rebondir, lui qui a déjà prouvé plusieurs fois par le passé qu’il savait le faire, malgré de nombreux obstacles.

« On m’a dit : « un bar hip-hop à Saint Pierre ? Ça ne marchera jamais » »

Retour en 2019. Fan de rap (Lunatic, Nekfeu et Kanye West font partie de ses artistes préférés), Théo se pose un jour une question simple : comment se fait-il que le genre musical numéro 1 en France, à savoir le rap, n’ait pas de bar ou de restaurant dédié à Bordeaux ? Issu d’une famille de restaurateurs, et lui-même ayant beaucoup travaillé dans la restauration, que ce soit à l’IBOAT, au Santosha ou à Darwin (« c’est la seule chose que je sais faire » dit-il en rigolant), il se dit qu’il peut sans doute réussir à réunir les deux, et ainsi lier l’utile à l’agréable : « quand tu commences ton service en mettant du Isaiah Rashad ou du Nes, c’est tout de suite plus cool » raconte-t-il.

Et surtout, il se dit que c’est maintenant ou jamais : « j’avais 27 ans à l’époque. Si ça marche, tant mieux. Si je me plante, bah tant pis. Au moins, j’aurais essayé ». Il imagine alors plusieurs concepts pour mettre en valeur le côté rap de son futur bar à cocktails et à tapas : un mur rempli de paroles de rap, ou encore des cocktails avec des noms d’albums ou de chansons, comme le Strass & paillettes à base de champagne en référence au célèbre titre de Booba, ou le Daytona et son rhum épicé en référence à l’album de Pusha T.

Premier obstacle rencontré dans cette aventure ? Trouver des fonds. « J’ai fait 10 banques, j’ai mangé 9 refus. On m’a dit : “un bar hip-hop à Saint Pierre ? Ça ne marchera jamais ». » Finalement, il arrive à contracter un prêt auprès d’une banque qui croit en son projet. Puis le lieu est trouvé : il sera situé au 32 rue du Cancera. « Je voulais faire une sorte de bar de copains, pas trop grand, à échelle humaine. Donc ce lieu était parfait. »

Manger des tapas en écoutant Ready to Die de Notorious B.I.G. ou Errr de La Fève

Grâce à une belle campagne de communication sur les réseaux sociaux, le lancement est réussi. Les premiers mois, le bar marche plutôt bien, et attire du monde, que ce soit les amateurs et amatrices de rap, ou les habitant·es de ce quartier assez huppé de Bordeaux, curieux·ses de venir découvrir ce nouveau lieu où l’on peut manger des tapas en écoutant Ready to Die de Notorious B.I.G., comme Errr de La Fève. « J’aime bien mélanger les gens. La dernière fois il y avait des jeunes qui twerkaient sur de la trap devant une table de nanas de 40 ans… Le mélange des genres était marrant à voir. »

L’ambiance est à la cool, et on peut même demander à passer des morceaux… dans une certaine limite. « J’aime bien mettre du gros rap. Mais à partir de minuit, ça peut partir en funk, on peut mettre du disco… des trucs qui bougent quoi. J’ai pas trop de limite. À part peut-être Céline Dion et « Les lacs du Connemara » (rires). » 

Naviguer en période incertaine

Mais au bout de quelques mois, patatras : le Covid-19 et le confinement arrivent, et le bar doit fermer ses portes durant deux mois. Puis il rouvre, avant de refermer à nouveau, à cause du deuxième confinement. Le moral plombé par ces fermetures forcées, puis par les restrictions sanitaires qui l’obligent à fermer sa terrasse qui ne rouvrira jamais malgré l’arrivée de la nouvelle mairie »), Théo a « l’impression de repartir de zéro. »

Malgré tout, l’enthousiasme prime : en parallèle des release party d’artistes locaux (comme Diboujone, Noham ou encore Maydo par exemple, que l’on a interviewé pour Le Type de Rap), il se met alors à organiser des soirées à thème pour faire revenir le plus de monde possible. Ainsi, on voit naître les Bad Bi, des soirées consacrées aux meufs, des soirées quizz rap, des soirées R’n’B, et même des soirées stand-up ; « des événements qui ont toujours un petit lien avec le rap à chaque fois » explique Théo. Résultat ? Le succès est aléatoire. « Y’a des soirs, tu fais 300 balles. D’autres, tu fais 3000, tu ne sais pas trop pourquoi. Mais c’est comme ça. »

Block Boat

Mais alors que le Quartier B est assez limité en termes de place et qu’il commence à avoir quelques problème de voisinages à cause du bruit engendré par ses concerts, il décide de lancer un nouveau concept, les Block Boat. Environ tous les deux mois, il fait venir un rappeur ou une rappeuse en pleine ascension à l’IBOAT, et invite des artistes de la scène locale à venir se produire avant ou après. On peut aussi y entendre des DJ sets, et des stands de tatouage ou de strass sont parfois présents.

« Je vois ces soirées comme des sortes de mini-village le temps d’une soirée. » Ainsi, les Block Boat voient passer ThaHomey, Rad Cartier, ou bien encore HIMS et Moka Boka. Et alors qu’il a lancé le concept il y a environ 1 an, le bilan est plutôt bon, malgré quelques obstacles. « À termes, j’aimerais que les gens viennent pour le concept, et pas forcément pour le nom de l’artiste. Mais le public bordelais, c’est pas le plus simple à bouger quand il faut venir écouter du rap. Quand on compare à l’engouement des open air électro… Je vois surtout que la nouvelle vague attire un public jeune. Les plus vieux, eux, bougent pour le old school. L’entre-deux, les mecs de 30 ans comme moi, ils ne bougent pas beaucoup. Mais j’aime bien le côté “défi” que ça engendre. »

Diffuser le rap à Bordeaux

Car malgré tout, Théo continue d’y croire. Et il a beaucoup d’ambitions : pour le Quartier B en lui-même, il se dit prêt à accueillir toute sorte d’initiatives, lui qui voit son bar comme « un lieu de vie », qui est disponible de 8 à 16 heures. « Je suis ouvert à tout : des tatoueur·euses, des shops qui veulent faire des pop-up… » Il souhaite également organiser des soirées rap et des concerts au Secteur, la boîte de nuit 100% rap old school de Bègles, ou encore, plus étonnant, à la Guinguette Chez Alriq, un lieu accueillant plutôt de la musique d’autres esthétiques d’habitude.

Dans le futur, il se voit même organiser des open air de rap. « Il y a plein de collectifs comme l’Orangeade qui ont pris ce créneau dans l’électro il y a 10 ans. Cet été, il y a eu au moins une dizaine d’open air électro. Sur le rap, à part le Rest in Zik, il n’y a rien. Alors qu’encore une fois, le rap est la musique numéro 1 en France… »

« Le point de départ de quelque chose de plus grand »

Lui qui voit le Quartier B seulement comme « le point de départ de quelque chose de plus grand », a également, dans un coin de sa tête, le fantasme de créer un label. « Plus tard, j’aimerai faire du management, du booking d’artiste, ce que je fais déjà dans d’autres lieux. J’ai déjà pensé à nous renommer QB prod ou un truc comme ça, pour que les gens comprennent qu’on fait plein d’autres choses. »

Surtout, il ne souhaite pas le faire tout seul. « J’aimerais bien faire comme avec les collectifs électro : tous se rassembler, mais dans le hip-hop. On n’est pas énormément, et moi, je suis ouvert à n’importe quelle collaboration. Avec Medusyne, avec Sauce Prod… J’aimerais bien rassembler tout ce petit monde pour qu’on fasse des choses ensemble. » Pour ça, il compte sur l’une de ses forces : savoir créer du lien entre les gens. « Personnellement, je n’ai pas de talent. Je ne suis pas musicien, je ne suis pas rappeur… mais je pense être assez bon pour m’entourer des bonnes personnes, les faire se rencontrer, qu’ils travaillent ensemble. » Et pour ça, il se donne 5 ans maximum pour y arriver. « Je me donne jusqu’à 35 ans pour le faire. Après, je partirais me reposer sur une île avec ma femme et mes enfants (rires). » Chiche ?

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