Savoir s’écouter : une conversation avec DJ Koyla

Rencontre avec DJ Koyla, artiste très active au sein de la scène bordelaise. Derrière les platines ou à travers son média Art 2 Talk, elle est une témoin privilégiée du dynamisme culturel local. Elle est également régulièrement confrontée à des situations de racisme ou de sexisme ; elle l’évoque dans cet entretien paru simultanément en partenariat sur Le Type et le média anglais Ransom Note, dans le cadre d’une série d’entretiens d’artistes de la scène bordelaise à paraître sur les deux médias dans les prochains mois.

La version anglaise de l’entretien avec DJ Koyla est disponible sur le média anglais Ransom Note ici.

Le Type : Tu viens d’une famille où la musique a toujours été très présente. En quoi cela a-t-il construit ton rapport à cette pratique artistique ?

Koyla : Dès mon plus jeune âge, vers 4 ans, je voyais effectivement mes frères et sœurs faire de la musique avec notre père. On les accompagnait en concert avec le reste de la famille. Deux ou trois ans plus tard, j’ai commencé à apprendre à chanter, danser et à jouer des percussions à leurs côtés. On faisait aussi beaucoup de concerts.

Quand j’ai eu 18 ans, le groupe familial s’est un peu séparé. Mes sœurs ont alors commencé leurs projets personnels. J’avais un peu enlevé la musique de ma vie, sauf à l’occasion de cours de danse. C’était chaque semaine les lundis et jeudis. J’y faisais des percussions. C’est finalement quand j’ai commencé à me lancer en tant que DJ que j’ai pensé à associer les deux pratiques : la musique électronique et les percussions.

Comment est-ce que ce bagage continue à t’influencer aujourd’hui ?

C’est surtout au niveau de la production. J’ai commencé à m’y mettre il y a peu de temps. Je réutilise certaines rythmiques et des sonorités que j’ai découvertes plus jeune. Je m’inspire aussi de musiques traditionnelles, que je mêle à des influences plus électroniques.

Tu expliquais dans une interview : « Mon projet, c’est me lancer dans la production, quand j’aurais le courage de le faire. » Tu as fini par t’y mettre ; comment et pourquoi ?

Je faisais déjà un peu de production, mais je ne sortais rien parce que je n’aimais pas trop le résultat. Au final, en octobre dernier (2023, ndlr) j’ai sorti mon premier morceau de techno. Je me disais que les gens avaient aussi envie de découvrir ce que je faisais musicalement. C’est ça qui m’a encouragé à sortir mes premières prods. D’autres artistes m’avaient aussi fait des retours dessus, m’avaient donné quelques conseils. Je me suis dit : « let’s go ». Pour l’instant, je n’ai pas vraiment développé cet aspect-là. J’aimerais sortir des EPs à l’avenir. Faire de la production est en tout cas un autre travail que d’être DJ !

Qu’est-ce que la production t’apporte en plus du DJing ?

Je pense que pour tout DJ, il est important de faire de la production. Quand tu mixes, tu joues avec les sons des autres. Même si les gens peuvent kiffer, ils ou elles peuvent vouloir découvrir ton propre univers. La production, c’est aussi une partie de toi. C’est ta pensée, c’est complètement différent de tes choix musicaux. Pour se développer dans cette scène, je pense qu’il est hyper important de passer par la production. Sans ça, j’ai l’impression que ça peut vraiment te bloquer dans ta carrière.

L’important c’est d’être soi-même : il faut s’écouter. La musique c’est aussi une manière de s’exprimer.

DJ Koyla

Quelles sont les valeurs que tu prônes à travers ta musique ?

C’est super important pour moi de me développer et de me sentir libre artistiquement. De ne pas me bloquer par rapport à ce que les gens font. Au début, je me demandais comment le public allait être réceptif aux artistes qui proposent de nouvelles choses – avec les percussions notamment. Au contraire, les gens adorent. L’important c’est d’être soi-même : il faut s’écouter. La musique c’est aussi une manière de s’exprimer.

Derrière le fait de faire de la musique, il y a aussi une dimension assez politique : je suis une femme noire sur scène, qui fait des percussions. À ce titre, j’ai besoin de côtoyer des espaces festifs safe. Je suis confrontée à beaucoup de situations diverses quand je mixe. Face à ça, je privilégie des organisations (lieux, festivals…) qui prônent cette safe place, l’égalité, qui luttent contre l’homophobie, la transphobie, etc.

Qu’est-ce que ça représente pour toi d’être une femme racisée dans le monde de la musique et de la fête, notamment à Bordeaux où la scène est relativement homogène ?

Au début, ça m’a fait un peu peur. J’ai très vite remarqué qu’il y a une très grande majorité d’hommes blancs dans cette scène, et quelques femmes, blanches aussi. Je n’arrivais pas du tout à m’identifier au sein de cet écosystème et je ne savais pas si j’avais ma place ici. Finalement, je ne me suis pas trop posé de question, je me suis lancée.

Par moments, je me pose un certain nombre de questions. Notamment parce qu’il y a des gens autour de moi qui ne sont pas forcément dans la même approche ni défendent les mêmes valeurs. Ils ou elles ne vont pas forcément comprendre les situations auxquelles il m’arrive d’être confrontée pendant certaines dates.

Ça ajoute un stress en plus, de se demander, s’il m’arrive quelque chose, comment l’expliquer aux autres, parce qu’ils ne vont certainement pas le comprendre. Après, au fond, je pense que les choses évoluent un peu à Bordeaux. Maintenant, en général, les retours que les gens me font – au-delà de celles et ceux qui me ramènent à ma condition de femme noire – tournent aussi autour de nouvelles sonorités, de l’ajout des percussions dans mes performances… Tout ça forme mon identité et j’ai réussi à m’imposer avec sur la scène.

Je suis toujours en train d’apprendre. C’est aussi compliqué car je n’ai pas de modèles d’artistes femmes noires à Bordeaux – en tout cas dans le monde de la techno.

DJ Koyla

En tant qu’artiste, comment est-ce que tu as appris à gérer les situations compliquées que tu évoques ?

Je suis toujours en train d’apprendre. C’est aussi compliqué car je n’ai pas de modèles d’artistes femmes noires à Bordeaux – en tout cas dans le monde de la techno. Je n’ai personne sur qui m’appuyer, pour me soutenir, partager ces questionnements. Malgré tout, j’ai la chance d’être bien entourée, par les gens qui me suivent, mes potes, ou même ma famille qui m’aide et me permet d’extérioriser certaines choses.

J’essaie aussi de faire de la méditation, du sport et tout ce qui peut m’aider à me vider l’esprit. Quand de telles situations se produisent aussi fréquemment, ça peut te dégouter de ton métier. On n’est jamais à l’abri d’un commentaire mal placé, de se faire toucher les cheveux… C’est un fardeau, il faut être prête. Je pense que par la suite, avec l’expérience aussi que je vais gagner, je vais pouvoir de mieux en mieux gérer ça.

Mon but serait de me détacher de la scène bordelaise pour aller vers d’autres villes. Voire même d’autres continents.

DJ Koyla

Quels sont tes projets pour la suite sur le plan musical ?

Mon but serait de me détacher de la scène bordelaise pour aller vers d’autres villes. Voire même d’autres continents. Mon but serait aussi d’aller mixer beaucoup sur le continent africain, de ramener le côté electro et techno, qui n’est pas forcément très présent là-bas. Je voudrais aussi ramener plus de percussions sur mes sets. Et travailler sur des sets qui mêlent plein de choses, même rajouter de la danse…

J’ai envie d’aider d’autres personnes racisées, d’autres femmes aussi à s’insérer dans ces milieux-là, en en parlant. C’est tout ce combat afroféministe que j’aimerais aussi développer.

DJ Koyla

La production aussi est un projet, pour développer ma patte artistique. Ce sera une façon de mélanger des percussions, de la techno, un côté vraiment afro, un peu expérimental. J’en ai envie. Au-delà de ça, il y a une dimension sociale que je veux pousser : donner des cours de percu ou de mixes dans des quartiers plus reculés, à Bordeaux ou ailleurs. J’ai envie d’aider d’autres personnes racisées, d’autres femmes aussi à s’insérer dans ces milieux-là, en en parlant. C’est tout ce combat afroféministe que j’aimerais aussi développer.

Au-delà de la musique, tu as co-fondé un média, Art 2 Talk. Peux-tu nous expliquer ce qu’est ce média, en quoi ce projet est-il complémentaire à ta pratique artistique ?

C’est un projet que j’ai développé à côté de DJ Koyla. Sur Art 2 Talk on fait notamment des interviews d’artistes de la scène bordelaise. J’avais cette idée en tête mais je ne savais pas du tout comment la développer. J’en ai parlé à une copine, et on en est venues à créer un média, en s’inspirant de Konbini aussi, pour faire ça à Bordeaux et mettre en valeur les personnalités des artistes.

On faisait le constat qu’il y a plein d’artistes à Bordeaux que les gens connaissent. Mais au-delà de leur musique, on connaît peu leur personnalité. Je pense que c’est par là qu’on donne envie de découvrir des artistes. Le média nous permet de faire des partenariats. La communauté des artistes nous découvre et notre communauté aussi découvre les artistes. J’ai utilisé un peu mes contacts sur les personnes que je connaissais dans ce milieu-là : des DJs, artistes… C’est une façon de mettre Bordeaux en valeur.

En tant qu’observatrice de la vie culturelle bordelaise en tant qu’artiste mais aussi via Art 2 Talk, quel regard portes-tu sur la scène artistique locale ?

Bordeaux se développe beaucoup. Il y a beaucoup de personnes qui veulent se lancer dans le DJing, ou dans la musique de manière plus générale. C’est un truc qui est 10 fois plus accessible qu’il y a même 5-6 ans. Le problème à Bordeaux, c’est qu’il n’y a pas assez de médias. C’est pour ça qu’on a lancé Art 2 Talk. De nouveaux médias arrivent ! Il n’y a pas assez de lieux non plus. On se retrouve souvent avec les mêmes endroits pour mixer. C’est ça qu’il faut développer davantage à Bordeaux : utiliser des caves, découvrir de nouveaux lieux… Je pense qu’on est sur la bonne voie.

  • La version anglaise de l’entretien avec DJ Koyla est disponible sur le média anglais Ransom Note ici.