Rencontre avec le street-artist Jonas Laclasse

Le Type est allé à la rencontre du street artiste bordelais Jonas Laclasse dans le cadre de son exposition “Les Véhicules de l’Amour”, visible du 13 au 29 février aux Vivres de l’Art. Du quartier Saint-Michel aux grandes villes d’Europe en passant par le Maroc, ou les Balkans, sujet de son dernier travail, il nous raconte son parcours parsemé de voyages, rencontres et anecdotes. Entretien avec un passionné à la fois graffeur, photographe, plasticien, et explorateur.
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Bonsoir Jonas, tout d’abord peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaissent pas ou peu ?

Je suis arrivé par hasard sur Bordeaux il y a un peu plus de 15 ans maintenant, je devais finir mes études ici. À la base, j’arrivais des Beaux-Arts d’Orléans où j’avais passé 4 ans, dont une année en Erasmus à Londres, et en complément de ça je voulais faire une formation plus technique et pratique, plutôt arts appliqués que Beaux-Arts. Un pote à repéré ça à Bordeaux, on s’est installé en cherchant un contrat en alternance que nous n’avons finalement jamais trouvé. Donc je me suis mis en free-lance avec des petits jobs à côté puis au final maintenant je n’ai plus les petits jobs ! Et actuellement nous sommes dans mon atelier que je partage avec le studio photo Maison Spectre de Pierre Wetzel rue des Faures dans le quartier Saint-Michel.

Comment es-tu devenu l’artiste indépendant que tu es aujourd’hui ?

Il y a eu un moment assez important dans ma carrière, en tout cas là où je considère que ma carrière d’artiste en tant que professionnel à débuté, et je dirais plutôt « artiste professionnel » – car artiste, avant d’en faire un métier, c’est d’abord plein d’autres choses – c’est qu’au début de mon activité j’étais beaucoup plus sur des choses de commandes. Je faisais du graphisme et de la photographie, et à côté j’avais toujours des petits projets récréatifs, du perso que j’exerçais de manière très ponctuelle, vraiment quand j’avais du temps quoi. Puis au bout de 7-8 ans en tant que graphiste indépendant j’ai commencé à en avoir marre, les projets m’intéressaient moins et je ne m’y retrouvais plus. J’avais envie de porter des projets persos, que l’on ne me dise pas ce que je dois raconter, avoir une véritable liberté d’expression et de créativité. Du coup pendant un an j’ai pris le temps d’une part d’économiser et de l’autre de choisir un peu ce que j’allais faire et bosser sur un projet qui me tient à cœur, l’expérimenter avec l’espoir que je le professionnalise derrière.

Quel a été ce vrai gros projet ?

C’était Doors Of Europe, qui m’a vraiment permis de mettre le pied à l’étrier. C’est à partir de là où j’ai commencé à gagner ma vie avec autre chose que des projets de commande. C’était un peu comme l’expo que je présente aux Vivres de l’Art, c’est à dire multi-techniques avec d’une part du dessin, car je dessinais une porte imaginaire sur un mur, un rectangle blanc très minimaliste avec un simple trait pour la poignée, et juste avec la proportion et ça interpelle immédiatement. Que tu parles serbe, bulgare enfin n’importe quelle langue, tout le monde comprend ce symbole de porte. Et à partir de cette porte j’installe un dispositif photographique et j’attends qu’une personne passe devant, je vais la voir, parfois ce sont les gens qui viennent me voir, puis je fais un portrait. À partir de ce moment-là, cette porte devient réelle car quelque chose s’y passe. Je réalise ensuite un deuxième cliché en contre champ, on peut y voir le paysage comme si tu sortais de la porte. Donc j’ai fait tout un voyage en Europe en me concentrant sur une quinzaine de capitales.

Comment est né cette envie de connexion entre pays/peuples ?

Cette envie est née pendant le projet Doors Of Europe justement. J’avais envie de voyager, avec plein d’idées de destination comme l’Amérique du Sud etc., mais je voulais que cela aie du sens, en rapporter un vrai projet. Et à ce moment là l’Union Européenne à reçu le prix Nobel de la paix. Certes il y a des raisons de critiquer cela et d’y voir que c’est plutôt une sorte de médaille derrière une union bancaire, avec le libéralisme etc., mais j’ai choisi d’y voir autre chose aussi, le côté humain avant tout, le côté physique, la proximité. Me dire que je n’ai pas besoin de faire 12 heures d’avion pour être dépaysé et ne plus rien comprendre à ce qui se passe, et en même temps me poser la question : quels sont les liens avec ces gens là ? Les points communs ? La culture, les différences. Il y a aussi une idée de donner la parole, collecter des opinions. Je voulais leur demander ce qu’ils pensaient de l’Europe mais j’ai finalement détourné cela en demandant un mot clé à chaque personne que je photographiais, un peu comme un hashtag sur instagram.

Peut-on parler d’un véritable attrait pour les mots en général ?

C’est quelque chose que je ne maîtrise pas complètement dans ce que ça représente pour moi et dans ce que je transmets au travers de ce que je fais et ce que je montre, mais c’est un peu ça le langage, au premier lieu typographique « écrit », c’est quelque chose qui m’a toujours fasciné et obsédé. De base je suis un peu dyslexique, très mauvais en orthographe, j’ai eu un rapport avec l’écrit qui n’était vraiment pas bon au début. En tout cas, dans le cadre scolaire j’ai souffert de ça. Et c’est justement ce qui m’a emmené au graphisme car je compensais mes lacunes avec une belle présentation. Ce que j’ai appris à théoriser et à enseigner après c’est que le graphisme avant d’être esthétique c’est de la hiérarchisation, transmettre un message, communiquer et donc je compensais mes fautes d’orthographe par aérer mes copies, une belle écriture, faire des titres qui se voient bien, bref gagner des points que je perdais dans le reste. En tant que graphiste tu comprends que la forme elle est importante et ton message sera d’autant mieux reçu et interprété.

Ton dernier projet c’est un peu la suite des Mots Bleus ?

Oui, c’est presque la suite des Mots Bleus, à la différence que cette fois c’est moi qui choisi les mots, c’est moi qui vais dans les pays et qui en ramène des mots. A la base les Mots Bleus c’était un travail avec le festival Chahuts où l’on a invité les gens du quartier Saint Michel, et chaque plaque, chaque mot c’est une personne du quartier qui l’habite, qui y travaille ou de passage qui choisi un mot dans une langue et qui le partage. J’étais porte voix pour eux quoi. Ce qui est différent avec le projet actuel qui est totalement personnel et où j’ai choisi moi-même les mots.

Explique nous ce fameux Bisous / Fessée

Et bien ce sont des installations que j’ai fait en amont de ma dernière exposition pour interpeller et qui participe au projet. Les Mots Bleus c’était des mots étrangers qui venaient nous chercher dans notre quotidien, dans le quartier de Saint Michel où il se trouve qu’il y a plein de communautés et que le quotidien est fait de plein de langages. Donc on retrouve l’esprit des Mots bleus sur ce nouveau projet. Cette fois-ci je suis allé dans les pays discuter avec les gens de la traduction de ces deux mots et faire ces fresques. À partir de ces deux mots Bisous et Fessée c’est à différent niveaux la question de l’amour que je cherchais à questionner.

Pourquoi l’Amour ?

Je pense déjà que cela fait partie de notre quotidien à tous. Il y a par exemple la pratique récréative de la fessée, il y a le bisous qui est de la tendresse, mais il y a aussi la douleur que l’on peut voir dans la fessée, synonyme aussi de la douleur que l’on peut rencontrer dans l’amour et les sentiments, ça peut faire des dégâts. C’est quelque chose que j’ai toujours ressenti dans mes relations. « Si tu ne veux pas souffrir, ne tombe pas amoureux » mais en même temps je préfère souffrir que de ne pas tomber amoureux.

« Si tu ne veux pas souffrir, ne tombe pas amoureux » mais en même temps je préfère souffrir que de ne pas tomber amoureux.

Comment tu expliques ce projet à l’étranger, les réactions ?

Et bien il y a toujours une part de médiation dans ce que je fais. À travers des ateliers ou même en amont du projet. Ça permet de rendre la chose concrète et de permettre au public de se l’approprier. C’est toujours très varié à chaque fois. Ce que je préfère entre guillemets c’est quand il y a des gens totalement réfractaires au départ, par principe, et qui quand tu commences à discuter au final comprennent un petit peu ce qu’il y a derrière et qui trouvent ça génial, et finissent par prendre un selfie avec moi ou même des fois ils participent. Il y a un exemple comme ça pour moi qui est marrant, du moins qui a fait date pour moi, c’était à Bucarest en 2016 ou 2017 pour Doors Of Europe dans une ruelle en arrière cour. Je dessinais à la craie et là, un mec est sorti d’une voiture pour me dire, en bref ; « C’est fini pour toi mon gars je t’ai filmé, je suis le chef du chantier, t’es dans la merde ça va chier. » Et au final, j’ai discuté et expliqué le projet au mec et il a fini en photo devant la porte (rires) !

 

Pourquoi ce road trip dans les Balkans ?

Mon premier contact avec l’ex-Yougoslavie ça a été la Slovénie, que j’ai fait pour les portes de l’Europe, où je me suis fait jeter en voulant rentrer en Croatie, avec dans l’idée d’enchaîner avec la Serbie etc., mais j’avais perdu ma carte d’identité et il se trouve qu’en sortant de la Slovénie nous n’étions plus dans l’espace Schengen, donc je me suis fait virer du train comme un mal propre. En gros, j’étais clandestin. Donc, bref, plusieurs tentatives et étapes qui ont fait que je n’ai pas réussi à y aller et cette fois-ci j’ai pu le faire et ça s’est fait assez vite, je me suis donc concentré sur l’ex-Yougoslavie.

Et ton premier contact sur place ?

Je suis arrivé avec mon concept, Bisous / Fessée, assez simple, parler avec les gens, pour être sur que cela se prononce bien comme ci ou comme ça. J’ai pré-traduit avec Google sur le téléphone pour être sûr que l’on me donne le bon orthographe, et j’ai pris le temps d’avoir une bonne connexion pour parler de ce projet et ne pas être trop direct avec la première personne venue. Dans le voyage on s’est arrêtés à Mostar en Bosnie, le soir on a pris un verre dans un bar et le contact était assez cool. Le lendemain on y est retournés il y avait la même serveuse. Elle était cool et on délirait bien, puis je lui ai expliqué le projet du Bisou / Fessée en lui précisant que ce n’était pas un plan drague ou autre, et que je cherchais à traduire ces mots, et là d’un coup elle s’est décomposée et elle est devenue très froide. Pourtant j’ai essayé de lui faire comprendre que la fessée ce n’était pas forcément violent et que ça pouvait être aussi être quelque chose de réclamé, qu’il pouvait y avoir différentes manières de le faire. Et ce n’était pas du tout le même mot pour les bosniens. Chez eux, le mot tel qu’il est traduit littéralement c’est une punition, et c’est assez violent, tu ne vas pas le réclamer. Et finalement elle est revenue au bout d’un quart d’heure à peu près, avec un post-it en me faisant comprendre que ce mot là était le bon, j’ai vérifié et c’était le mot « câlin » qu’elle m’avait donné, premier mot que j’ai fini par dessiner dans un lycée abandonné en Bosnie.

Combien de spots as-tu utilisé là-bas ?

Une dizaine de spots, et j’ai fait des spots presque officiels graffitis, par exemple à Sarajevo il y a l’ancienne piste de bobsleigh qui est un vestige des Jeux Olympiques d’hiver de 1984, et qui est aussi devenue une zone touristique, qui est vivante, où il se passe des choses, et notamment donc un gros spot de graffeurs.

Qu’est ce que signifient pour toi les « véhicules » ?

Il y a un jeu de mot car dans l’expo il y a d’une part des fresques qui sont photographiées, et présentées, mais aussi des petits véhicules qui sont à peu près comme les fresques mais à une échelle réduite, une sorte de mélange entre du tuning et du modélisme. Et ces mêmes mots avec le fond bleu, ces textures, ces crachotis, le travail de peinture que je peux faire c’est à une toute petite échelle, et les véhicules de l’amour on pourrait croire que c’est cela mais en vrai ce sont les mots, ce sont eux les véhicules.

Peux-tu nous dire quelques mots sur la soirée Balkan Trip qui aura lieu le 22 février aux Vivres de l’Art ?

Ce qui est intéressant c’est qu’il y a un double match avec la thématique que l’on propose, qui est les Balkans et le voyage et aussi la musique avec Dj Stanbul, même si le nom renvoie à Istanbul donc la Turquie, d’un point de vue musicale il touche aussi beaucoup les Balkans dans son travail, et le label Banzaï Lab ce sont des proches et avec qui j’ai déjà travaillé.

Merci beaucoup Jonas.

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