Quand Samara Scott s’empare de la Nef du CAPC

Du 18 septembre au 3 janvier, Samara Scott et son art « plasmatique » investissent l’espace de la Nef du CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux pour une installation impressionnante : the Doldrums. Cette gigantesque toile opaque qui esthétise des déchets et objets industriels propose un voyage réflexif sur les maux politiques, économiques et environnementaux de notre société.

Crédit photos : Arthur Péquin

La Nef versus Samara Scott

La Nef du CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux est l’espace emblématique de ce bâtiment à deux pas des quais. L’institution invite régulièrement des artistes pour investir son lieu propice à des installations monumentales. Elle a notamment été marquée par des artistes comme Allan Kaprow qui, à l’occasion des 40 ans du musée, avait déposé de grandes piles de pneus en son centre, ou encore Ruth Ewan et ses 360 arbres, plantes, minéraux, os, produits ou outils agricoles.

Une artiste qui travaille avec des objets industriels de tous types : CDs, pailles, cigarettes, sacs plastique, cartons, tubes, nouilles chinoises, épices…

Cette fois-ci, c’est l’artiste anglaise Samara Scott qui investit ce lieu symbolique. Le travail de cette plasticienne peintre et sculptrice est indescriptible : elle se démarque par ses « collages alchimiques ». C’est une artiste qui travaille avec des objets industriels de tous types : CDs, pailles, cigarettes, sacs plastique, cartons, tubes, nouilles chinoises, épices… Son trait artistique donne naissance à une peinture liquide, presque organique. L’œuvre dans le CAPC a été réalisée in situ, et lorsque l’on pénètre dans l’espace de la Nef, tous nos rapports sont bouleversés. Nous sommes happés par cette masse horizontale qui se dresse au-dessus de nos yeux. Nous nous positionnons en observateurs d’un paysage coloré qui nous dépasse. Nous reconnaissons, à travers une bâche tendue qui divise horizontalement l’architecture de la salle, des objets industriels. Cette gigantesque toile révèle des déchets et objets qui nous sont familiers, et qui pourtant dans cette disposition paraissent étrangers. Parsemée de couleurs et rayons lumineux , the Doldrums, c’est une œuvre qui nous traverse de part en part.

Samara Scott, vue de l’installation The Doldrums, CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux (18.09.2020 ‒ 03.01.2021)

Une installation qui esthétise les objets industriels

Il s’agit d’une œuvre à double perspectives et à messages multiples : au rez-de-chaussée, nous percevons une toile colorée, un écran lisse qui laisse apparaître la forme d’objets connus de tous. Cependant, vue depuis la mezzanine, l’œuvre a une toute autre dimension, elle s’avère être en reliefs, en profondeur, et nous y découvrons, disposés méticuleusement, les objets que nous percevions depuis le rez-de-chaussée. Cette installation épouse parfaitement l’architecture du CAPC, la membrane tendue de part et d’autre du bâtiment étant cousue autour de la Nef. Comme à son habitude, l’artiste utilise des poudres, liquides et matières divers et variées pour colorer son œuvre, des pigments que l’on n’utilise pas habituellement pour la peinture, pour obtenir des teintes inédites, et des épices, afin de faire écho à l’origine du bâtiment, ancien entrepôt de denrées coloniales. Samara Scott, dressée sur une nacelle, est à l’origine d’un travail physique, de la conduite d’un engin jusqu’à l’exécution de son geste artistique et la pose des objets. Une grande partie des matériaux utilisés par l’artiste ont été récupérés dans Bordeaux, tandis que d’autres sont des objets symboliques qu’elle avait à cœur d’intégrer à son œuvre.

Samara Scott est de celles qui refusent d’être trop explicites, préférant laisser planer le doute et entamer des pistes de réflexion diverses sur les enjeux politiques, économiques et environnementaux de notre époque.

Samara Scott raconte que son installation a été, entre autres, inspirée de l’œuvre Totes Meer par l’artiste abstrait Paul Nash, toile sur laquelle il a peint un champ d’avions de guerre détruits dans un océan déchaîné, une mer morte. L’impact de la guerre sur son œuvre peut être mis en relation avec l’importance qu’accorde Samara Scott aux luttes politiques actuelles dans son installation. Mais l’artiste l’affirme elle-même, bien que cette installation contienne des intentions de dénonciation de la surconsommation, de cristallisation des maux politiques de notre société et d’écologie, elle ne souhaite pas être trop formelle sur les messages de son œuvre. Samara Scott est de celles qui refusent d’être trop explicites, préférant laisser planer le doute et entamer des pistes de réflexion diverses sur les enjeux politiques, économiques et environnementaux de notre époque.

Samara Scott, détail de l’installation The Doldrums, CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux (18.09.2020 ‒ 03.01.2021).

Le paysage qui nous est donné à voir dans the Doldrums réitère la question de l’insaisissable paradoxe du sublime, qualité d’une extrême amplitude qui transcende le beau, tant convoité par le romantisme de la fin du XVIIIème et tout au long XIXème siècle. Cette étrange relation entre attraction et répulsion se ressent dans l’œuvre de Samara Scott : dans quelle mesure, à la vue de ce paysage coloré, trouvons-nous à la fois des qualités esthétiques et repoussantes à des objets qui n’auraient pas attiré notre regard sur l’espace public ? La caractéristique de cette artiste mise en exergue par cette installation est sa capacité à élever les matériaux industriels et déchets au rang d’œuvres d’art : Samara Scott joue avec les éléments, travaille sur leur matérialité, les dépossède de leur fonction initiale et enfin les métamorphose en médiums artistiques.

Bassins ornés de tissus et aquarelles nacrées à Londres, murs aux milles couleurs à Margate, marais de plastique à Los Angeles, paysages immersifs jonchés de déchets à Bordeaux et Glasgow… Samara Scott est une artiste touchante qui invite à de multiples questionnements sur notre société.
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