Rencontre avec Yanné Ramakers et Téo Campa de PLUG, référence bordelaise en production visuelle. L’occasion de mieux comprendre les enjeux liés à la réalisation de vidéoclips.
Ces dernières années, les productions visuelles ont pris une place importante dans la direction artistique d’un artiste. Pop, rap, musiques électroniques : tous les genres de musique sont concernés. Grâce à l’essor des nouvelles technologies, le vidéoclip est devenu un média puissant pour transmettre des émotions, des messages, au-delà de la musique. Un complément à l’audio tout aussi essentiel dans l’ère numérique actuelle.
En France, c’est à travers des rappeurs comme Laylow, Orelsan, Vald ou SCH que l’on a découvert la puissance de ce support de diffusion. Storytelling, univers marqué, concepts forts, innovations dans le thème ou la narration : l’esthétique visuelle est indispensable à la progression de la carrière d’un artiste.
Peut-on obtenir des dates de concerts sans une direction artistique affirmée ? Peu probable. Certain·es privilégient une identité visuelle forte, autant par ambition artistique que par nécessité marketing. À Bordeaux, le studio PLUG participe de cette dynamique, en offrant aux artistes des contenus visuels travaillés, œuvrant à la construction de leur univers – et donc de leur image.
Genèse et coulisses
Yanné Ramakers et Téo Campa se rencontrent en 2010 lors de leur première année de lycée. Animés par une passion commune pour le cinéma et des goûts esthétiques similaires, le duo choisit de fusionner leurs talents. C’est d’abord au sein de WL Crew, groupe de rap bordelais, que les deux compères se font la main petit à petit. Chacun dans leur domaine de prédilection : la réalisation pour Yanné, la post-production pour Téo.
Ainsi voit le jour le clip « Laisse » de WL Crew, fruit de leur première collaboration : « On a directement senti un step-up, autant dans le résultat que dans le confort de travail. Avoir deux cerveaux pour mener à bien la réalisation de ce clip a accéléré le processus de création et de finalisation. » Tirant parti de cet accomplissement, c’est ensemble que les deux Bordelais continuent leur aventure.
L’année 2020 marque alors le début de l’aventure PLUG pour les deux vidéastes. D’abord axé sur la réalisation de productions visuelles – vidéoclips, publicités, aftermovies – , le duo propose également des prestations de photographie et de post-production. Bien que l’équipe soit basée en Nouvelle-Aquitaine, elle développe également ses activités à l’échelle nationale.
« Un exercice un peu particulier »
La production d’un vidéoclip se divise en trois étapes fondamentales : la pré-production, le tournage et la post-production. Premièrement, il y a la conceptualisation et le scénario : c’est l’étape où l’idée générale du clip est définie. Cet aspect se passe en collaboration avec l’artiste, suivant son implication : « Certains nous laissent cartes blanches et d’autres souhaitent s’impliquer dès le départ dans la pré-production. Au final, le processus de préparation est l’étape la plus longue, c’est un échange constant de conversations, d’appels téléphoniques, sur telle ou telle demande ». explique Téo.
Pour les vidéastes, il faut avant tout cerner la personnalité, les valeurs, la vision artistique et la musicalité de son sujet : « Afin d’avancer efficacement, il est important de comprendre ces aspects à travers des discussions, en écoutant la musique avec attention et en interrogeant l’artiste sur son univers et ses intentions » poursuit Yanné.
Volontés, obsessions et décisions sont également des divergences auxquelles les vidéastes doivent répondre : « Le vidéoclip est un exercice un peu particulier, où deux visions artistiques se rencontrent. Il est important de trouver un équilibre entre notre approche et celle de l’artiste, sans jamais chercher à s’approprier son univers. »
Une fois toutes ses réponses apportées, Yanné et Téo ont plusieurs références pour trouver de l’inspiration et ainsi créer cet outil visuel qu’est le moodboard. Il permet d’exprimer et rassembler des idées, des inspirations et des atmosphères en vue de la création d’un projet. Il s’agit généralement d’un collage d’images, de textures, de couleurs, de typographies et d’autres éléments visuels qui illustrent l’esthétique, le ton ou l’ambiance de la proposition.
Collaborations
C’est en étroite collaboration que l’artiste et les vidéastes travaillent. D’un côté comme de l’autre, ils sont pleinement impliqués dans le processus. Organisation, choix des lieux, intervenant·es et figurant·es : ils se soutiennent mutuellement pour obtenir un résultat final de qualité : « De plus en plus, l’artiste s’implique activement dans la production de son vidéoclip, apportant son regard et validant les décisions. La collaboration se fait d’égal à égal, sans qu’une opinion ne prenne le dessus. »
Fort de leurs nombreuses expériences petits budgets, les deux Bordelais arrivent régulièrement à trouver des parades, des tricks ou des idées innovantes pour réaliser leurs vidéoclips. Lors du tournage, Yanné occupe le poste de chef opérateur, responsable des prises de vues. Téo, de son côté, est souvent présent pour l’épauler, en lui fournissant des retours sur les images capturées et en se projetant vers la post-production dont il aura la charge.
Ils suivent le travail effectué en pré-production notamment celui du découpage technique qui est une description de plusieurs séquences. Il permet de renseigner différents points comme la référence de la séquence concernée, sa durée, ou la description de l’action réalisée. « On se laisse toujours une part d’impro suivant le lieu, la lumière et les idées qui émergent le jour même » ajoute Téo.
Certaines difficultés peuvent également se présenter le jour du tournage, telles qu’un·e figurant·e qui manque à l’appel, des conditions météorologiques défavorables ou des lieux d’accès refusés. Quelle que soit l’envergure du projet et la durée de la pré-production, des imprévus surgissent souvent, nécessitant d’inventer des solutions rapidement. Il est donc important de rester flexible et créatif, au risque de ne pas avoir certaines séquences nécessaires pour le montage.
Selon le budget fourni par l’artiste, PLUG peut s’entourer de collaborateurs externes pour leurs tournages : « Si l’on peut se le permettre alors oui c’est quelque chose que nous faisons. Par exemple, un projet ambitieux nécessite parfois un chef électricien (celui qui est chargé de l’éclairage sur le tournage) , qui fera un travail plus précis et nous fera économiser du temps. Ce qui nous importe avec un budget, c’est essentiellement d’optimiser la qualité de notre travail, et non de chercher à augmenter nos gains.»
L’art de la post-production
Une fois le tournage terminé, ils passent à la phase de post-production du projet. Première étape : le dérushage. Ceci consiste à trier tout le contenu produit, en conservant les meilleures séquences et en supprimant le superflu, un processus long mais crucial pour organiser une session efficace.
Vient ensuite le montage. Cette étape se déroule systématiquement à deux, avec Téo aux commandes et Yanné en soutien. Toutes les séquences d’images y sont méticuleusement assemblées. Peu après, ils transmettent une version du vidéoclip à l’interprète. Lors des sessions de modifications, l’idéal est que l’artiste soit présent·e afin qu’il ou elle puisse voir en direct les défis auxquels sont confrontés les vidéastes, ainsi que les alternatives possibles, ce qui facilite le processus décisionnel.
L’interprète participe activement, ce qui lui permet de mieux comprendre les contraintes et possibilités, et d’apporter ses idées lorsque cela lui convient, menant souvent à une version finale gagnant-gagnant. « Notre priorité est de s’assurer qu’il ou elle soit pleinement satisfait du résultat, surtout lorsqu’il s’agit de son propre morceau. Le rendu doit être le plus fidèle possible à son univers, car la musique est une forme d’expression intime qui reflète sa personnalité. » expliquent les compères de PLUG.
Une fois la version finale approuvée par l’artiste, Téo et Yanné passent à l’étalonnage, où ils travaillent sur l’image et les couleurs. Un processus généralement long, mais qui procure beaucoup de plaisir aux vidéastes. C’est là où ils travaillent sur l’exposition, le contraste et les effets qui les définissent esthétiquement, comme le grain et le glow. Tout ça plan par plan pour harmoniser et unifier le tout.
C’est pendant l’étalonnage que le clip entier prend tout son sens.
Téo et Yanné (PLUG)
D’après eux, « C’est là où le clip entier prend tout son sens, il nous offre l’opportunité de développer notre esthétique. C’est à ce stade que l’on peut juger la qualité du travail effectué pendant la prise de vues. En général, si l’éclairage et les réglages ont bien été géré, c’est assez facile d’arriver à un résultat qui nous plait. » Les tâches liées au sound design et aux graphismes sont également des aspects de leur travail, et doivent être intégrées dans le budget. Si les conditions le permettent et que l’artiste souhaite un sound design de qualité, ils n’hésitent pas à faire appel à leurs potes du Magma Studio.
En tout, la durée nécessaire pour produire un clip peut fluctuer entre un et quatre mois, de son commencement à sa finalisation. D’ordinaire, les deux Bordelais préfèrent éviter de jongler avec de nombreux projets simultanément. Ils s’efforcent alors d’organiser leurs emplois du temps afin de se concentrer pleinement sur chaque projet.
Identité visuelle et inspirations
Pour commencer, PLUG façonne son esthétique visuelle principalement par le biais de son cadrage. Ils privilégient souvent des plans fixes bien composés ou des plans shaky. Progressivement, ils s’éloignent des déplacements trop fluides et stabilisés à la manière d’un Ronin, un dispositif conçu pour réaliser des prises de vue stables et fluides, même en mouvement. Le montage contribue également à définir leur identité, et le rythme du clip est fortement conditionné par la musique, notamment à travers l’utilisation de coupes précises.
Nous nous détournons surtout de l’image parfaite souvent véhiculée par la publicité et la télévision.
Téo et Yanné (PLUG)
De fait, la ligne artistique est donc celle d’une esthétique inspirée de la pellicule 16mm, oscillant entre plans dynamiques et compositions soigneusement cadrées. Leur approche se manifeste par un traitement des couleurs assez contrasté et saturé, offrant une esthétique visuellement marquée qu’ils estiment authentiques : « Finalement, notre but est d’obtenir un résultat qui diffère de la réalité. Dans le cadre de projets artistiques et musicaux, nous nous détournons surtout de l’image parfaite souvent véhiculée par la publicité et la télévision. »
Passionnés de clips vidéos, ils en créent avant tout par plaisir. Regardent-ils cela régulièrement ? Tout à fait. Cependant, c’est avant tout la créativité et l’ingéniosité des réalisateurs derrière les images qui suscitent leurs intérêts. Inspirés par Valentin Petit depuis leurs premiers projets, cet ex-réalisateur français a marqué de son empreinte leur démarche créative. Tout comme Gabriel Dugué, qui a réalisé une série de clips pour Deen Burbigo, Alpha Wann ou Sopico et des spots publicitaires pour Reebok, Adidas et Salomon. Marcus Gonzalez, surtout connu pour avoir collaboré avec Josman, figure également parmi les nombreuses inspirations du duo.
Dotés d’une grande créativité, les deux vidéastes tirent aussi beaucoup d’inspiration des professionnel·les qu’ils estiment. Et plus largement d’art sous toutes ses formes ; de tout ce qui les entoure. Quand on demande à PLUG d’où viennent leurs inspirations, ils répondent : « Nos influences majeures en cinéma seraient sans doute Damien Chazelle. Notamment pour l’aspect brut et imparfait de sa réalisation. Guy Ritchie et David Fincher comptent aussi parmi nos réalisateurs préférés.»
Travail avec la scène locale
Alors dans tout ça, pour qui Yanné et Téo travaillent-ils ? Le duo collabore avec des artistes émergents tels que Malcolm, Igee, ou encore Maydo – pour ne citer qu’eux -, tout en travaillant sur des projets pour le label Baco Records, créé par Danakil. Les Bordelais visent aussi à créer des collaborations avec des acteurs locaux, et ils ont déjà eu l’occasion de travailler avec des lieux emblématiques de la ville comme le Rocher de Palmer et le Krakatoa.
En travaillant sur des projets liés au skate – FISE – , au basket – INTHEZONE – et aux événements urbains – Palmer Block Party – , le duo révèle ainsi son attachement profond à la culture hip-hop. Comme l’atteste Yanné durant notre entretien : « J’ai commencé à tenir une caméra en filmant du skate, l’urbain c’est notre ADN depuis longtemps. Fortement influencé par cette culture, je fais aussi du rap et du basket. »
En conclusion, quelles aspirations ont-ils pour l’avenir de PLUG ? « Notre ambition est de grandir avec les artistes tout en continuant de collaborer avec ceux qui partagent notre vision. Nous souhaitons travailler avec le plus grand nombre, dans la mesure où nous avons le temps nécessaire. Le clip restera notre cœur de métier, mais nous aimerions intensifier notre collaboration avec les structures locales et urbaines. En parallèle, nous prévoyons de nous lancer dans des projets personnels comme des courts métrages et des fictions » concluent les vidéastes.