Les années bordelaises de Black & Noir

En avant-première, Le Type dévoile des bonnes feuilles du nouveau livre Black & Noir, enragez-vous ! de Patrick Foulhoux. L’auteur retrace l’histoire du label Black & Noir, avec tout un chapitre consacré aux années bordelaises du projet, dont nous reproduisons ici des extraits.

Patrick Foulhoux, auteur passionné et fin connaisseur de la scène rock indépendante, s’apprête à dévoiler son nouveau livre Black & Noir, enragez-vous !, publié sur le label et maison d’éditions Metro Beach. Le livre, dont la sortie est prévue le 11 octobre prochain, retrace l’histoire fascinante du label Black & Noir, une aventure musicale et humaine qui a marqué les années 1990 en France.

Pour raconter cette épopée, Patrick Foulhoux est allé à la rencontre des figures emblématiques de l’époque, comme Éric Sourice des Thugs, Philippe Labeyrie et Vincent Delmas. À travers ces témoignages, il plonge dans les coulisses d’un label qui a incarné l’esprit rock indépendant de villes comme Angers, Bordeaux ou Nantes. Le livre est un hommage vibrant à cette époque. Extraits du livre, et notamment du chapitre consacré aux années bordelaises du label.


Guillaume Gwardeath (éditeur) : Pour écrire son histoire du label Black & Noir, Patrick Foulhoux est allé à la rencontre de bon nombre d’acteurs de l’époque afin de recueillir leur témoignage. Il a interviewé bien entendu les activistes d’Angers, la ville où tout a commencé, mais aussi de Bordeaux et de Nantes, les deux villes où Black & Noir a voulu « développer sa marque », pour reprendre l’expression utilisée par Eric Sourice (l’emblématique chanteur du groupe Les Thugs avait créé la boutique angevine et le label avec son associé Stéphane « Martinez » Martin). Le livre inclut ainsi des témoignages clé de Philippe Labeyrie et de Vincent Delmas.

Patrick Foulhoux (auteur) : En 1994, après concertation avec Éric et Stéphane , Philippe Labeyrie, connu dans le circuit pour avoir créé le label Fu Manchu Records et pour avoir managé Kid Pharaon ouvre une boutique Black & Noir dans le centre de Bordeaux, place de la Ferme de Richemont.

Ce que nous voulions, c’était étendre l’esprit Black & Noir à d’autres villes où il n’y avait pas de disquaire

Éric Sourice

Éric Sourice : Ce que nous voulions, c’était étendre l’esprit Black & Noir à d’autres villes où il n’y avait pas de disquaire, en défendant la musique que nous aimions et notre label parce que, évidemment, dans ces magasins, les productions Black & Noir étaient mises en avant. On cherchait à collaborer avec des gens qui étaient en phase avec nous. Que ce soit à Bordeaux ou à Nantes, les deux étaient partie intégrante de la SARL. Financièrement, c’est nous qui nous en occupions.

En revanche, chaque disquaire faisait bien ce qu’il voulait. Autant du point de vue de l’agencement que des choix musicaux qu’il défendait et des commandes. C’étaient des gens qu’on avait déjà rencontrés et qui nous avaient confié leur envie d’ouvrir une boutique, mais qui ne savaient pas comment procéder. On leur a proposé de le faire sous l’enseigne Black & Noir et après, ils avaient totale liberté pour faire ce que bon leur semblait dans les limites du raisonnable, surtout financièrement. Il fallait que ce soit bien tenu pour ne pas se planter.

Philippe Labeyrie : On avait besoin d’une personne de confiance, quelqu’un connu du milieu rock local. Parmi les figures qu’on croisait régulièrement aux concerts, il y avait Vincent Delmas. Un personnage central dans le petit monde du rock bordelais dans la mesure où il était vendeur à la Fnac. On l’a débauché. Il était super emballé à l’idée de se lancer dans l’aventure.

À Bordeaux, on avait des concerts quasiment tous les soirs à cette période.

Philippe Labeyrie

On avait cherché une boutique pas trop chère, avec une surface suffisante. L’emplacement à côté du Palais des sports n’était pas extraordinaire au point de vue du passage, mais c’est le seul qu’on ait trouvé. Le local faisait une cinquantaine de mètres carrés. Notre clientèle était celle qu’on croisait aux concerts. On visait le même public. Il y avait du potentiel dans la mesure où la période était riche et vivante. Il y avait de nombreux labels indépendants et surtout, on trouvait beaucoup de gens avec des projets. À Bordeaux, on avait des concerts quasiment tous les soirs à cette période.

La boutique Black & Noir de Bordeaux

Vincent Delmas : On a ouvert en août 1994. Je suis passé directement de la Fnac à Black & Noir. J’ai même fourni la chaîne hi-fi : en tant qu’employé Fnac, j’avais la possibilité d’en acheter une à un prix préférentiel. La mise en place a été assez facile puisqu’on a bénéficié des comptes déjà ouverts chez les fournisseurs par Angers. Du fait de mon expérience récente, je savais ce qu’il fallait avoir en bacs.

Je n’ai pas tout à fait rentré les mêmes disques que j’avais en rayons à la Fnac, puisque le projet était clair dès le départ : c’était un magasin autour du rock indépendant, au sens large. Il était donc hors de question de proposer l’intégrale de Queen ou de Genesis. Je me suis concentré sur l’indé, la pop, le hardcore, le garage 60’s, un peu de soul…

C’était en quelque sorte l’âge d’or du rock indépendant, si tant est qu’il y en ait eu un. Je vendais énormément de Jon Spencer Blues Explosion, Shellac, Fugazi, Mano Negra ou Burning Heads, pour ne prendre que quelques exemples. Tout ce qui sortait sur Crypt Records fonctionnait bien aussi. On vendait du rock 60’s à profusion. On mettait évidemment les productions Black & Noir en avant. Quand Strike des Thugs est sorti en 1996, on a évidemment fait une grosse mise en place.

Cependant, j’admets volontiers que je ne faisais pas trop de place aux nouvelles tendances du milieu des années 1990, comme le rap ou l’électro. J’ai dû m’y mettre, par la force des choses… Quand j’ai vu arriver Daft Punk, j’étais dubitatif. Évidemment, on les a travaillés. Mais c’était sans conviction. Tout comme la scène anglaise trip hop. J’avais très certainement des réticences sur certains disques qui semblaient pourtant évidents.

La boutique avait commencé par bien fonctionner, mais on n’a pas vu venir de nouvelles têtes au fil des mois. La clientèle qu’on pourrait qualifier de grand public ne venait pas vraiment chez nous. Ce n’était pas qu’on faisait tout pour qu’elle ne vienne pas, mais on était dans une dynamique de rock indépendant avec toute une nouvelle scène émergente qu’on soutenait à fond. On était avant tout des passionnés. Or, vendre des disques, ça reste avant tout un buisness. Le fait est qu’on n’a jamais été des commerçants extraordinaires.

Stéphane Martin : Je me suis vite rendu compte que le magasin bordelais ne fonctionnait pas. De plus, l’enseigne Total Heaven a quitté Saintes pour s’installer à Bordeaux en octobre 1996. On a proposé une association à son fondateur pour n’avoir qu’un seul magasin au lieu de deux, et éviter une concurrence frontale. Il a refusé. Ça m’a fait de la peine, mais c’est lui qui avait raison. Total Heaven a gagné la partie puisqu’il est encore là.

Vincent Delmas : Black & Noir a cessé son activité à Bordeaux le 31 décembre 1997, après seulement trois ans et demi d’ouverture. Ça a été une tentative, elle n’a pas été fructueuse. Ce n’était pas la fin du monde. On a bien fait de tenter le coup. Pour moi, ce sont des super souvenirs.