Nail art et grillz : plongée dans deux scènes créatives depuis Bordeaux

Reportage auprès d’actrices et artistes de la culture nail art et grillz, depuis Bordeaux. Ces deux scènes, de plus en plus visibles partout dans le monde grâce aux réseaux sociaux et à leur popularité auprès de certaines célébrités, sont des foyers de créativité insoupçonnés, qui méritent qu’on s’y intéresse au-delà de stéréotypes dont elles font l’objet. Plongée au cœur de l’art de décorer les ongles et les dents, en compagnie de professionnelles bordelaises.

Crédit photo : Vmae_nails, Les mains célestes, Fromnottthing et Grillz_i

On a trouvé un rapport entre les dents et les ongles – et non, ce n’est pas l’onychophagie. Après les piercings et les tatouages qui sont aujourd’hui relativement communs, de nouvelles parures corporelles se développent, à l’heure où chacun·e cherche à se démarquer. À l’image des jeunes artistes qui participent grandement à la diffusion de ces tendances, on assiste à une demande croissante de « customisation physique ». Dents et ongles compris.

Le nail art pour habiller les ongles. Les grillz et bijoux dentaires pour faire briller les sourires. Du gel, de la résine, du vernis d’un côté. De l’or, de l’argent et des diamants de l’autre. Ces nouveaux « accessoires » connaissent un essor important. Ils font désormais partie intégrante du paysage de la mode, propulsés par le monde de la musique. Des tendances qui se sont beaucoup développées en Asie et en Amérique, et qui s’implantent maintenant partout, y compris à Bordeaux. Tour d’horizon de cette scène au niveau local.

Ongles surréalistes

Le nail art – ou « art de décorer les ongles » – est devenu un véritable art à part entière grâce au travail des prothésistes ongulaires. Il est aujourd’hui possible d’arborer des petits chefs-d’œuvre au bout de ses doigts, sur des ongles toujours plus longs et stylisés. De nombreuses femmes célèbres, que ce soit dans le monde de la musique, du cinéma ou de la mode, ont grandement participé à la diffusion de cette mode, à l’image des sœurs Kardashian, de Beyoncé, Cardi B, Billie Eilish, ou encore de Doja Cat.

Nail art réalisé par Maëva, inspiré du tableau « La persistance de la mémoire » de Salvador Dali

Maëva (Vmae_nails) et Salomé (Les mains célestes) sont « colocataires de salon ». Elles partagent au quotidien leur lieu de travail, et bien plus encore. Plutôt que prothésistes ongulaires, elles préfèrent être qualifiées de nail-artistes, car leur métier ne consiste pas seulement à poser des extensions mais bien à faire de l’art sur les ongles. Maë a créé sa micro-entreprise et exerce depuis l’été 2019, et est également formatrice au Gel-X (des capsules fixées sur les ongles avec du gel) ainsi que sur certains nail arts depuis six mois. Salomé pratique de son côté depuis bientôt un an, en tant qu’auto-entrepreneuse.

Origine et évolution du nail art 

Le nail art est apparu dès le treizième siècle, dans une forme bien différente que celle qu’on lui connaît aujourd’hui. Les Incas décoraient déjà leurs ongles en hommage à leurs dieux, en les peignant à l’effigie d’animaux. C’était alors une tradition mixte. Cette pratique connaît par la suite un essor au vingtième siècle, dans les pays asiatiques, comme le Japon et la Corée. Les ongles sont alors de plus en plus longs et colorés, et leurs formes se diversifient.

Leur but était d’avoir les ongles les plus longs possibles. Et moi, ça, j’adore !

Maëva (Vmae_nails)

Les grandes longueurs sont très en vogue dans les années 1980 et 1990, avant de tomber progressivement en désuétude, au profit de plus de sobriété et de praticité. Ce sont les prothésistes ongulaires des années 1980 et 1990 dans le Bronx aux États-Unis qui ont beaucoup inspiré Maëva : « Elles portaient des ongles en résine extrêmement longs, pour se faire remarquer et pour afficher une forme de richesse. Leur but était d’avoir les ongles les plus longs possibles. Et moi, ça, j’adore ! ». Salomé quant à elle a eu le déclic en découvrant le travail de Lili Nguyen, également connue sous son alias This is Venice. Elle est la première nail-artiste à vraiment avoir été médiatisée en France.

A la fin des années 2010 et au début de la nouvelle décennie, la mode des griffes acérées fait son grand retour. Avec toujours plus de formes et de techniques différentes. Le nail art a évolué, au point qu’il est aujourd’hui possible de transposer quasiment n’importe quelle envie graphique sur ces dizaines de petites toiles vierges que constituent les ongles. L’art de la manucure se développe, et s’exporte même dans le monde entier grâce à la culture Internet. Une pratique esthétique en pleine expansion, qui reste encore malgré tout principalement l’apanage des femmes. Les prothésistes ongulaires et autres nail-artistes sont aussi convoité·es lors de tournages de cinéma, pour étendre le maquillage jusqu’au bout des ongles.

Bar à ongles, Gel-X & Instagram : la culture nail art 

L’art de la manucure peut s’exercer partout. Onglerie ou institut, à domicile, « bars à ongles »… C’est dans un salon privé situé au 18 rue Albert Pitres (près de la place Paul Doumer à Bordeaux) qu’elles partagent depuis bientôt un an que Maë et Salomé pratiquent leur profession. Un endroit décoré à l’image de leurs personnalités.

Pour se former au nail art, nul besoin d’être un·e grand·e dessinateur·rice. Maë confie qu’elle ne savait pas vraiment dessiner de base, bien qu’elle ait toujours été attirée par les loisirs créatifs : « J’ai découvert l’univers du dessin grâce aux ongles ». Celle-ci a d’abord été formée à l’amiable par sa première prothésiste ongulaire. Ensuite elle a suivi les formations de professionnelles qualifiées comme la parisienne Lilicreuk ou l’américaine Insatiable nails, très connue dans le milieu du Gel-X.

En complément, des formations avec des nail-artistes françaises autour de sujets spécifiques sur différents nail arts ont permis à Maëva de se diversifier et de se perfectionner. Salomé l’a rejoint au salon après un CAP esthétique, une formation initiale de prothésiste ongulaire et plus tard une formation Gel-X avec Lilicreuk également (la référence de cette technique en France selon elle). Ayant toujours apprécié le dessin, le nail art l’a aussi attiré rapidement, bien que la pratique n’existait alors pas vraiment en France. Côté entraînement, il y a plusieurs écoles. Salomé s’entraîne essentiellement sur des capsules, des proches ou sur elle-même. Quand elle se sent prête elle intègre la prestation à sa carte tarifaire. Maë ne s’entraîne que très peu, ou alors sur elle-même ou sur des copines, et préfère ainsi surtout y aller « au feeling ».

Je vois le métier comme de l’art. Et je me vois mal faire de l’art sur des pieds. Je préfère pimper des mains.

Maëva (Vmae_nails)

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, prothésie ongulaire et pédicure ne sont pas forcément reliées. Maëva et Salomé ne proposent par exemple pas cette prestation qui demande une certaine organisation en termes de matériel et d’installation. « Je vois le métier comme de l’art; Et je me vois mal faire de l’art sur des pieds. Je préfère pimper des mains » plaisante Maë. De plus, Salomé justifie aussi l’absence de beauté des pieds au salon par une demande inexistante.

Elles-mêmes très créatives, les deux nail-artistes s’inspirent par ailleurs aussi beaucoup d’autres professionnel·les qu’elles admirent. Et plus largement d’art sous toutes ses formes, de tout ce qui les entoure. Instagram devient alors une mine d’idées exploitable à leurs yeux : « J’ai fait des reproductions de fauteuils, de tapis… De plein de trucs différents ». Quand on demande à Salomé d’où viennent ses inspirations elle répond quant à elle : « De partout ! Tout ce que je vois m’inspire. Que ce soit un lieu, un tissu, un tableau… Évidemment je m’inspire aussi de nail-artistes ou parfois une idée sort de ma tête sans forcément que ce soit consciemment inspiré par quelque chose de précis. »

Nail art réalisé par Maëva
Nail art réalisé par Salomé sur ses propres mains

Art pour certain·es, simple manucure pour d’autres : la question du rapport des artistes à leurs productions se pose. Pour Salomé par exemple, le nail art est une forme d’art à part entière, au même titre que le tatouage par exemple. De son côté, Maë explique que, selon elle, tout n’est pas de l’art en onglerie – loin de là. Les projets très élaborés pour lesquels elle fait marcher son imagination et utilise de nombreuses couleurs, pinceaux, reliefs, peuvent être considérés comme de véritables œuvres d’art, dont elle est d’ailleurs fière. Dès lors qu’il s’agit de décorations plus simples, c’est autre chose. 

Longueur d’ongles 

Différentes techniques de pose existent. Il y a le press on nails (amovibles et réutilisables), le gainage (un gel assez fluide qui s’applique sur ongles naturels quand la cliente ou le client ne veut pas d’extension), les capsules Gel-X… Maëva et Salomé pratiquent presque exclusivement la technique du Gel-X. C’est un peu la « nouvelle génération” des anciennes capsules. Moins invasives, plus respectueuses de l’ongle, elles permettent à ses utilisteur·ices d’utiliser des marques en adéquation avec leurs valeurs, à l’image de The gel bottle et Aprés nail. Ces marques proposent des produits très qualitatifs, garantis sans tests sur les animaux. Salomé explique : « J’utilise essentiellement la marque The Gel Bottle, dont les produits sont vegan, cruelty free, et 10-free (exempts de 10 produits toxiques controversés). À ce jour, c’est une des marques professionnelles les plus responsable et qualitative du marché. En onglerie, comme dans pas mal de domaines malheureusement, c’est impossible d’être 100% clean vis-à-vis de l’environnement. À ma connaissance, il n’existe aucune marque éco-responsable. »

En matière de formes et de longueurs d’ongles, il y a également du choix : du S au triple XL, carré, en amande, stiletto, ballerina ou encore coffin. Les capsules s’adaptent aux envies et il est possible de créer une multitude de formes différentes.

Si certain·es se demandent comment il est possible de vivre au quotidien avec des ongles aussi longs, la réponse des deux nail-artistes rencontrées indiquent qu’il s’agit d’une question d’habitude. Elles-mêmes travaillent avec leurs ongles longs. Selon Maë, qui ne descend jamais en dessous du XL : « Il faut avoir des années d’ongles longs derrière soi. Il faut progresser : passer du S au M, du M au L, etc.. Il ne faut jamais griller des étapes. Ça peut être mauvais et on risque de se blesser. »

Petits tips : il faut beaucoup utiliser les phalanges et les côtés des doigts puisqu’on ne peut plus utiliser la pulpe du doigt. »

Salomé (Les mains célestes)

De plus, il faut évidemment prendre particulièrement soin de ces ongles-bijoux : plier le doigt pour ne pas appuyer sur les boutons directement avec l’ongle, prendre l’habitude de taper au clavier avec, bien se sécher les mains, mettre des gants pour faire la vaisselle, faire attention aux produits chimiques… En bref ; essayer de respecter au maximum ses ongles. Surtout lorsqu’ils arborent une œuvre d’art. A ce propos, Salomé a résumé les lifehacks des porteuses d’ongles longs qui, elle le rappelle, ne sont pas des outils. « Quand tu portes des ongles longs, il faut faire attention et prendre le temps de bien s’habituer. C’est très important pour ne pas se faire mal. Une fois que tu as les bons gestes, tu peux tout faire. Tout ! Petits tips : il faut beaucoup utiliser les phalanges et les côtés des doigts puisqu’on ne peut plus utiliser la pulpe du doigt. »

Pierres ongulaires 

Pour embellir ses ongles, un travail très minutieux d’ornementation graphique est nécessaire. Et pour un résultat encore plus bling-bling, on peut même y apposer des bijoux, voire y faire des perforations. Pour Salomé, le métier se résume à ça : « Je construis, dessine, ajoute des bijoux. Tout ça, c’est créer et décorer des ongles ». Des vernis texturés, de profonds pigments et un nuancier rempli de couleurs : la pratique d’un artiste sur ongle s’apparente parfois au travail d’un peintre sur toile.

Les moyens techniques aujourd’hui développés permettent des poses toujours plus fantaisistes, parfois bizarres. Il n’y a plus aucune limite à la création et on pourrait même presque qualifier d’expérimentaux certains nail arts. C’est par exemple le cas du travail de l’anglo-saxonne Coca Michelle qui semble pouvoir transformer n’importe quel objet pour le mettre sur ongle. Elle travaille notamment sur ceux de Megan Thee Stallion ou Cardi B.

Nail art réalisé par Coca Michelle
Nail-art réalisé par Salomé

J’ai posé du XXL pour la première fois sur une cliente. On a ajouté un nail art hyper années 2000, avec du nuage et du cœur vaporeux un peu dreamy, tout ce que j’aime !

Salomé (Les mains célestes)

Maëva et Salomé reviennent sur leurs poses les plus fantaisistes ou celles dont elles sont le plus fières. C’est le cas du tableau Le Baiser de Gustav Klimt, que Maë à pris plaisir à reproduire sur des ongles vierges. Une reproduction fidèle mais personnelle qui brille de mille feux, très représentative de l’univers abstrait et coloré de l’œuvre originale. « J’ai adoré la faire, j’adore ce tableau depuis que je suis enfant ! ». La pose la plus originale que Salomé a quand à elle pu faire récemment l’a surtout marquée par sa longueur : « J’ai posé du XXL pour la première fois sur une cliente. On a ajouté un nail art hyper années 2000, avec du nuage et du cœur vaporeux un peu dreamy, tout ce que j’aime ! ».

Nail art réalisé par Maëva, inspiré par Le Baiser de Gustav Klimt
Nail art réalisé par Salomé

Des ongles en expansion, comme la profession

En France, il existe une grande communauté nail art, et celle-ci est en pleine effervescence, composée d’influences différentes. Il y a d’ailleurs beaucoup d’interactions – essentiellement sur Instagram – entre les prothésistes ongulaires qui ont les mêmes influences, qui utilisent les mêmes marques. Elles et ils s’encouragent et se soutiennent, se partagent des astuces, réfléchissent ensemble à la création de concours et d’évènements.

Maë et Salomé font régulièrement dialoguer leur profession avec d’autres acteur·ices bordelais·es du milieu de la mode et de la beauté. Elles ont par exemple performé à l’occasion d’évènements organisés par des friperies, comme Platine Vintage ou des salons de tatouage. Salomé raconte « Dernièrement j’ai fait un guest dans un salon de tatouage, chez Les Epilithes, et c’était vraiment une trop trop bonne journée avec l’équipe ». Un réel échange semble ainsi exister dans le monde de la customisation physique à Bordeaux, entre nail-artistes, les personnes qui font de l’ornement dentaire, les coiffeurs etc.. Beaucoup se connaissent et essayent de promouvoir le travail des un·es et des autres, de se donner de la force. Le travail de Salomé apparaît notamment aux côtés de celui d’autres professionnel·les dans le nouveau clip du talentueux Texto Dallas, mettant à l’honneur des nail-artistes venus du monde entier.

Par rapport à la « scène » du nail art à Bordeaux, Maë indique : « Quand j’ai commencé en mars 2019, il n’y avait quasiment pas de prothésistes qui faisaient du nail art, ou alors c’était un peu inspi années 2000 et 2010. C’était loin d’être le top. On avait de l’hibiscus à foison, de l’effet pull en hiver, et ça s’en tenait là. Depuis, ça change énormément, et je pense que c’est vraiment dû au confinement. Je vois vraiment l’avant-après. Beaucoup de filles aux styles hyper originaux se sont lancées, je trouve ça génial. On a des styles hyper différents, hyper assumés, colorés, bijoux, longueurs… »

Un autre aspect extrêmement important dans la profession de nail-artiste est celui de la relation avec la clientèle. Car si les client·es viennent pour embellir leurs mains, ils et elles sont aussi là pour passer un moment de détente, de convivialité. Et il faut dire qu’avec trois heures toutes les trois semaines pour les personnes les plus régulières, cela laisse du temps pour apprendre à se connaître. Il n’y a pas vraiment de clientèle-type chez Salomé et Maë. La moyenne d’âge de la clientèle se situe aux alentours de 25 ans, avec parfois de jeunes majeures et certaines clientes de plus d’une cinquantaine d’années. Les appartenances sociales sont également très diverses. On retrouve en effet aussi bien des étudiant·es que de jeunes personnes actives, tantôt à l’aise financièrement et parfois moins. Les échanges entre les deux professionnelles rencontrées pour cet article et leurs client·es sont fluides. Ils et elles se confient beaucoup, au point d’entretenir une grande confiance et proximité avec elles. Cela leur tient à cœur et c’est sans doute l’une des raisons qui explique les excellents retours qu’elles obtiennent. 

Mes clientes me disent que je suis leur psy et qu’en plus je dessine sur leurs ongles

Maëva (Vmae_nails)

Pour Maë, sa profession consiste à « embellir des mains, faire son art, suivre son feeling et en même temps être psy, je trouve que c’est un énorme aspect du métier que l’on sous-estime beaucoup, mais j’ai l’impression parfois d’avoir une place hyper importante […] Ça va un peu à l’encontre de la vision un peu légère qu’ont les gens de la prothésiste, vue un petit peu comme une “cagole” qui ne pouvait pas faire autre chose de sa vie. Mes clientes me disent que je suis leur psy et qu’en plus je dessine sur leurs ongles ». Elle se confie d’ailleurs, un peu émue, sur une scène qui l’a particulièrement marquée. L’une de ses clientes était atteinte d’anorexie, à un stade assez avancé. Ensemble, elles en parlaient beaucoup. Un jour, celle-ci lui a dit droit dans les yeux qu’elle avait été plus utile pour elle que tous les psychiatres qu’elle avait vu dans sa vie.

Nail art réalisé par Salomé

« De manière générale, prendre soin de soi fait beaucoup de bien. Quand on a les ongles faits, c’est toute une personnalité qui s’exprime et s’affirme. Je trouve que c’est super empouvoirant ». Salomé aime par-dessus tout le fait de pouvoir exprimer sa créativité en décorant des ongles. Pour elle, être nail-artiste s’apparente à un métier-passion. De plus, ce moment aménage une pause dans le quotidien des client·es qui repartent pimpé·es de chez elle. Le travail des deux artistes représente donc beaucoup à leurs yeux, bien que, comme elles l’expliquent, le métier reste encore très dévalorisé. Beaucoup ne considèrent en effet pas la pratique comme un art à part entière, malgré le travail créatif d’orfèvre parfois réalisé. Une vision péjorative qui malgré tout évolue dans le bon sens, les consciences changeant progressivement.

Nail art réalisé par Maëva

Salomé et Maëva expliquent qu’elles sont totalement épanouies dans leur travail, celui-ci leur procurant semble-t-il une grande liberté. Gestion des horaires, sélection de leurs client·es, achat des décorations qu’elles affectionnent… Elles construisent un environnement qui leur ressemble. Au sein du salon, elles mettent un point d’honneur à l’ouverture d’esprit, à l’acceptation de soi et à la bienveillance. Leur but : être inclusives au maximum en travaillant avec du matériel de qualité, proposer une expérience haute-gamme mais conviviale, loin des salons guindés et aseptisés qui rappellent pour certains des hôpitaux. C’est précisément ce qu’explique Salomé : « Quand j’ai des client·es qui viennent pour la première fois et qui me disent qu’ils ou elles se sentent en confiance, j’ai tout gagné ! Après, on ne finit jamais d’en apprendre sur les différentes personnes. Il faut donc rester ouverte, et accepter de faire des erreurs, les reconnaître pour ensuite les corriger. »

La patience est indispensable pour gérer la clientèle et des nail arts très longs. Cela se ressent d’ailleurs dans les agendas complets des deux artistes : elles n’ont aucune disponibilité, sauf en cas d’annulation de dernière-minute. Les client·es sont fidèles et reviennent toutes les trois semaines. Les tarifs pratiqués sont fixés en fonction de la concurrence, de l’emplacement et des produits utilisés. Il faut ainsi compter 45 euros au moins pour une pose sur ongles naturels et 50 euros pour des extensions. A cela s’ajoute le nail art, un peu plus compliqué à tarifer. On arrive donc parfois à des poses allant jusqu’à 90 voire 95 euros pour la prestation la plus chère à l’heure actuelle.

Aujourd’hui, Maëva voudrait continuer à se développer dans l’axe de la formation, car elle apprécie particulièrement accueillir des élèves. De plus, elle entretient d’excellentes relations avec elles : « Je suis très bien au salon à tout partager avec Salomé avec qui je suis tout le temps, et j’avoue que j’aime beaucoup ce quotidien là ».

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Décoration dentaire

Autre univers mais culture commune : l’ornementation dentaire. D’abord symbole statuaire, puis signe distinctif avant de devenir simple accessoire de mode. Cette tendance s’est développée dans les années 1980 et 1990 et fait depuis quelques années son grand retour. Existant dès l’époque des Mayas, cette pratique permet aujourd’hui d’exprimer une forme d’originalité jusqu’au bout des canines, en décorant son sourire de façon éphémère ou amovible.

Aurore (Fromnottthing) pose des bijoux dentaires à Bordeaux. Ce sont des strass, des petites formes en or ou en argent collées sur la face visible de la dent. Il en existe des plus discrets et des plus fantaisistes. On parle aussi de grillz (bijou de dent amovible), ce que crée Inès (Grillz_i) : des bijoux amovibles, réalisés sur mesure, à partir d’une empreinte dentaire avant d’être personnalisés en fonction des goûts de la personne qui les porte.

Mouth full of gold : origine et évolution

L’art de se décorer les dents ne date lui-non plus pas d’hier. Le plus vieil ancêtre de grillz a été découvert à Gizeh en Égypte, et il date de 2500 avant J.-C. Aussi, les Mayas faisaient vraisemblablement des trous dans leurs dents, pour y incruster des pierres. De leur côté, les vikings se limaient les dents pour se reconnaître entre clans, là où les femmes étrusques s’arrachaient les dents pour y incruster de l’or et des pierres précieuses. Tout ça dans le but de donner à voir leur richesse et leur rang social. Cette pratique était alors un signe de distinction. Une dimension médicale peut également être mentionné ici, ce qu’Aurore explique : « Plus la pierre était claire et transparente, plus la santé était bonne, et si elle fonçait, tu étais potentiellement malade ».

Les bijoux buccaux ont évolué, avec aujourd’hui l’univers du rap qui s’est notamment emparé de la tendance dès les années 1980. A l’image d’Afrika Bambaataa ou de Big Daddy Kane, la dentition de certains artistes se parait d’or, d’argent ou de diamants pour incarner argent et pouvoir. Eddie Plein, le pionnier en la matière, a passé des heures dans le sous-sol de sa famille à Brooklyn à confectionner des grillz pour trouver la technique parfaite. Il a ouvert plus tard la première boutique de confection de grillz en or à New-York, puis à Atlanta. L’idée lui est venue lors d’un voyage au Suriname en 1983 lors duquel il s’était cassée une dent. Il a été contraint de se rendre chez un dentiste, qui lui a posé une couronne en or. Plein rêvait de confectionner des grillz pour les plus grands rappeurs, ce qui est vite devenu réalité, son premier gros client étant le rappeur Just-Ice.

La boutique « Famous Eddie’s gold teeth » au centre commercial Jamaica Colloseum dans le Queens

Plus tard, des artistes comme Method Man et Jay-Z ont continué d’entériner la tendance, et le grillz est devenu un marqueur de la culture hip-hop. Le dirty south (sous-genre de hip-hop américain apparu dans le Sud des États-Unis) a ensuite fait exploser les grillz. Ce sont des artistes comme Lil John, Ludacris et Lil Wayne qui ont contribué à la grande popularisation de cette culture. L’objet est alors devenu un vrai phénomène culturel et Eddie Plein fut consacré « le roi de New-York ». C’est aussi à ce moment-là que le phénomène a commencé à attirer l’attention, même en dehors des États-Unis. Les grillz étaient plus accessibles, avec plus d’options et plus de facilité pour les envois.

Les boutiques spécialisées vont alors commencer à ouvrir en Europe. Dans « Seine-Saint-Denis Style » de NTM, le rappeur français Joey Starr porte un grillz. Kanye West (qui avait perdu toutes ses dents) et Asap Rocky entres autres ont remis l’objet au goût du jour après qu’il soit devenu un peu has been en 2006. Grâce aux réseaux sociaux, la mode s’est désormais diffusée dans le monde entier et ce style est clairement reconnaissable. Sa popularité ne cesse d’augmenter, sans vraiment connaître de ralentissement. Aujourd’hui, la nouvelle génération suit : Rihanna, Beyoncé, Lil Yachty, Trippie Red, 6ix9ine et même les rappeurs francophones Niska, Ateyaba, Laylow et Koba LaD en portent.

Depuis la rue et les clips de rap, les grillz ont progressivement dépassé les frontières du genre musical devenu mainstream et le royaume de la mode s’est approprié l’objet. De nombreuses personnalités arborent le grillz, et pas seulement dans le monde du hip-hop. Le grillz semble n’avoir ni d’âge ni de genre : Madonna, Lana Del Rey, Kim Kardashian ainsi que Mister V ou encore Johnny Depp en portent. L’industrie de la mode s’est emparée de la tendance et il n’est plus rare de voir des grillz sur le cat walk (scène étroite sur laquelle marchent généralement les mannequins ou les stars, ndlr).

Les grillz sont personnalisables : matière, couleurs, forme, tailles… Presque toutes les combinaisons sont possibles, il y en a pour tous les goûts. En France, l’experte du grillz de luxe c’est Dolly Cohen, très prisée par de nombreuses célébrités. Ayant commencé sa carrière en tant que technicienne dentaire avant de se diriger vers la mode et la bijouterie, elle a notamment habillé les dents de mannequins Givenchy.

Les bijoux dentaires pour faire scintiller les sourires

Aurore exerce sa profession en micro-entreprise à Bordeaux dans un salon situé 33 place Gambetta. Elle a commencé à poser des bijoux dentaires l’année dernière, en 2021, après avoir passé une formation pendant le confinement. Pour poser ces artefacts, il n’est pas nécessaire d’avoir de formation en orthodontie ou en dentisterie. Aurore est passée par un centre de formation privé en ligne pour partir sur de bonnes bases et elle est ensuite allée à « la pêche aux infos » comme elle le raconte, auprès de certaines Américaines expertes en la matière, ainsi que de dentistes et orthodontistes. Elle s’est d’abord exercée sur elle-même et sur des proches, avant d’ajouter cette prestation à la longue liste des services qu’elle propose – elle pratique aussi le microblading pour les sourcils, le lash enhancement pour les cils, le maquillage semi-permanent et le tatouage depuis peu. La professionnelle ouvre d’ailleurs son propre salon très prochainement, le « Sincère Club ». Elle recherche deux tattoo-artist·es pour l’accompagner dans cette nouvelle aventure.

Pose de bijoux dentaires réalisée par Aurore sur elle-même

La technique de pose des bijoux dentaires est exactement la même que celle de la pose de bagues orthodontiques. Le bijou en or blanc, en or jaune ou en strass est scellé sur la dent. Cette dernière est préalablement préparée, avec une colle dentaire biocompatible et une lampe UV. La prestation est indolore et sans conséquence pour l’émail. « C’est le même processus, le même matériel, sauf que le rendu est beaucoup plus stylé, bien évidemment ! » plaisante Aurore. Concernant les marques utilisées, il en existe des écoresponsables dans le « consommable-jetable » mais pour tout ce qui touche au composite, le recyclage n’est pas forcément compatible avec la composition des produits.

Les tarifs sont très variables, et dépendent du nombre de bijoux, de la matière, de la forme… Par exemple, le strass classique est à 25 euros, et plus il y a de bijoux posés, plus le tarif est dégressif. Il existe des modèles pré-faits qui vont de pair avec une grille tarifaire pour se faire une idée, mais Aurore fonctionne surtout sur devis : « Plus la pose est grosse, plus il y a de bijoux, plus le tarif est intéressant. C’est ce que j’adore : les grosses poses avec plein de bijoux, je trouve ça hyper joli. J’essaye donc d’être arrangeante avec mes clients et clientes ». La seule contre-indication pour une pose de bijou dentaire est lorsque la personne a des facettes ou des couronnes, car l’absence d’émail est totalement incompatible avec les produits : ça ne fonctionne pas sur une « fausse dent ».

Concernant les répercussions sur la santé bucco-dentaire, il n’y en a aucune à partir du moment où le travail est bien réalisé, avec les produits adéquats. Aurore explique : « C’est pour ça que j’ai fait appel à mes clientes qui sont dentistes et orthodontistes : pour être sûre d’utiliser la meilleure qualité de produits possible, et pour garantir la tenue de la pose à 100 %Je mets tout en œuvre pour que ce soit le plus safe possible pour mes clients et clientes, et qu’ils ou elles puissent les garder le plus longtemps possible ».

J’ai une clientèle que j’adore, qui me soutient à 800% dans absolument tout ce que je fais. […] J’ai eu des retours de personnes qui sont allés chez leurs dentistes et ils leur ont fait des compliments sur les poses, qui étaient bien faites.

Aurore (Fromnottthing)

Côté entretien, le brossage des dents régulier suffit. Si le bijou est bien posé, il tient. On peut également se faire des soins dentaires classiques, comme des détartrages, cela ne pose aucun souci. La durée de vie du bijou dentaire varie en fonction des gens (et de l’acidité de la salive par exemple), tout comme pour les bagues orthodontiques. Il est ainsi possible de garder le bijou pendant plusieurs années et la dépose peut se faire chez un dentiste, avec un simple polissage. Certain·es de ces professionnel·les sont d’ailleurs tout à fait réceptif·ves face à cette culture des dents pimpées, comme le raconte Aurore : « J’ai une clientèle que j’adore, qui me soutient à 800% dans absolument tout ce que je fais. […] J’ai eu des retours de personnes qui sont allés chez leurs dentistes et ils leur ont fait des compliments sur les poses, qui étaient bien faites. »

Il existe une interaction entre les différents professionnel·les du milieu, même s’il y a souvent une concurrence dans ce genre de métier selon Aurore : « Je trouve ça très bête, on peut toutes et tous faire nos métiers très bien et avoir une clientèle sans avoir besoin de se tirer dans les pattes ». C’est un travail de confiance, qui s’installe et se gagne. Elle-même fait dialoguer sa profession avec d’autres milieux. Elle a par exemple, participé à un pop-up sur Bordeaux organisé par Cosy Hestia, une bordelaise qui propose des articles de seconde main sur Instagram. « Faire des petits trucs en petite communauté sur Bordeaux pour faire découvrir le métier aux gens qui ne connaissent pas, je trouve ça sympa ».

Lorsqu’on lui demande si elle est épanouie dans son métier, la professionnelle acquiesce : « C’est même pas du taff, c’est vraiment du kiff. Tu fais un truc sympa, qui fait plaisir aux gens et qui sort de l’ordinaire : c’est que du plaisir ». Pour elle, l’aspect le plus intéressant de sa profession c’est la construction de la pose avec le client ou la cliente : « Des fois ils ou elles sont un peu timides, ne savent pas trop, tu vas leur proposer des idées. Ils ou elles vont te guider sur leurs goûts, et tout ce cheminement va servir à cerner la personne, à voir ce qui irait le mieux avec son caractère. Pour, in fine, parvenir à trouver une pose vraiment cool, et qui ressemble à la personne ». En revanche, c’est une prestation où la discussion avec les client·es s’avère compliquée, étant donné qu’ils ou elles ont la bouche occupée. Une situation parfois frustrante pour Aurore, qui apprécie échanger avec elles ou eux.

L’une de ses poses les plus fantaisistes est celle qu’elle a faite sur la nail-artiste Salomé : « Il y a eu un vrai travail en amont, et je trouve le rendu plutôt intéressant. C’est assez volumineux, avec de la couleur, du rose… Une pose qui lui ressemble ». Pour trouver les combinaisons les plus stylées possibles, Aurore se creuse la tête et s’inspire aussi évidemment d’Instagram. Elle aime lorsqu’il y a beaucoup de bijoux et de la couleur : « Même les contours de dent, les dents remplies, les petits motifs j’aime bien, c’est hyper cute ». Elle prend ainsi beaucoup de plaisir à faire ce métier qui exige une patience et une minutie à toutes épreuves (les bijoux sont parfois microscopiques), dans lequel elle s’épanouit totalement et apprécie le fait de « sortir des clous, surtout à Bordeaux, une ville où l’on voit quand même peu de choses qui sortent du commun. »

Pose réalisée par Aurore sur Salomé

La folie grillz

Inès est salariée en tant que prothésiste dentaire hautement qualifiée depuis environ 10 ans. Elle crée des grillz depuis 3 ans, et les fabrique à Bordeaux, un peu chez elle pour l‘aspect sculpture sur cire, mais aussi dans le laboratoire dans lequel elle travaille en prothésie dentaire pour le travail du métal. On dit qu’elle « loue une cheville », comme une location d’atelier, à la journée, car les machines coûtent très cher. Passionnée par le dessin depuis toujours, elle a trouvé le moyen de faire dialoguer sa profession « sécurité » avec son côté artiste : « Il y a le côté artistique dans les grillz et avec la culture hip-hop que j’ai, tout est un peu lié. Je n’ai pas choisi d’en faire, l’anecdote c’est que j’ai rencontré un mec en soirée qui avait des grillz en bouche […] On en a grave parlé, après ça trottait dans ma tête, j’ai revu des jeunes qui en portaient et du coup ça m’a donné envie d’essayer en autodidacte et il y a beaucoup de parallèles avec mon métier. C’est venu petit à petit, mes potes m’en ont demandé, les potes de mes potes… On m’a dit d’exposer mon travail donc j’ai créé une page Instagram et ça a pris de l’ampleur, pourtant avec mon travail à côté, je ne m’y consacrais pas à 200%. »

La technique utilisée par Inès pour créer les grillz s’appelle la « méthode de la cire perdue », utilisée depuis des millénaires pour les statues notamment. Il s’agit de la même technique, mais en miniature. Elle consiste à travailler sur de la cire, et sculpter la forme voulue avec des ustensiles tels des scalpels. Il faut ensuite mettre la sculpture dans un moule au four, entre 900 et 1 000°C, pendant au moins 45 minutes. Pour l’étape suivante, Inès met le moule de la sculpture dans une machine appelée une « fronde », qui fait entrer le métal en fusion pour qu’il devienne liquide. Avec la force centrifuge, le métal est injecté dans le moule. En refroidissant, on casse le revêtement et la sculpture de cire apparait, transformée en métal. Une sableuse est ensuite utilisée pour enlever les résidus du moule réfractaire et de nombreux autres outils servent à travailler et faire briller le métal.

Sculpture sur cire
Façonnage du métal finit

Inès n’utilise que des produits biocompatibles. Des matériaux qu’elle utilise avec les dentistes en prothésie dentaire. Elle « détourne » certains produits utilisés pour arriver au rendu qu’elle a en tête, pour ajouter de la couleur notamment : « J’aurais peur d’utiliser d’autres matériaux car c’est quand même en bouche. Il faut savoir que dans la bouche, il y a de l’électricité donc on ne peut pas mettre n’importe quoi. Le respect de la santé et des dents est extrêmement important ! ». Pour entretenir des grillz, il suffit de suivre les règles d’hygiène de base et de bien les nettoyer, surtout l’intérieur qui est poreux. Les personnes portant des grillz ne sont pas censées manger et dormir avec, bien que certaines le fassent. Le seul gros bémol, c’est l’utilisation de faux : « Quand des gens font des grillz et n’ont aucune formation, le truc appuie sur la gencive, ça la traumatise et il peut y avoir un déchaussement dentaire ».

Concernant les tarifs, au coût du matériel s’ajoute celui du temps de travail, dans la mesure où la conception de grillz est une activité à part entière. Les prix sont basés sur la « concurrence », l’expérience, les capacités et le temps passé sur le bijou. Inès explique : « J’ai envie que les gens se fassent plaisir en s’offrant des grillz, que ça reste raisonnable mais sans m’oublier moi. J’essaye de trouver un juste milieu ». Un grillz de base coûte 70€ (contour ou grillz lisse) mais c’est assez complexe de poser un prix, c’est un savoir-faire, de la technique et du temps, c’est difficilement quantifiable. Inès a l’honnêteté de ne faire que ce qu’elle sait faire, elle maîtrise parfaitement le design et la sculpture mais elle travaille avec un professionnel pour le côté bijouterie (sertissage de diamants, émaillage…). Elle met un point d’honneur à faire les choses à la main car c’est ce qu’elle aime mais certains grillzmakers créent à l’ordinateur.

Pour ses créations, Inès s’inspire du travail d’autres grillzmakers publié sur Instagram ou Pinterest, de pages de bijouterie classique, voire du style vestimentaire des gens. Quand elle a du temps libre, l’artiste sur dents laisse exprimer sa créativité en s’entraînant sur elle-même, en testant de nouveaux designs : « Quand on me fait des commandes un peu compliquées, c’est un nouveau challenge, j’aime bien. Et du coup je m’entraîne sur mes dents. »

« J’aime beaucoup quand le client crée son grillz. Quand il fait un dessin ou qu’on l’imagine ensemble. Pour moi c’est tout de suite plus fantaisiste […] Récemment on m’a commandé le corps d’une femme, j’ai eu beaucoup de projets coups de cœur mais là c’est le dernier gros coup de cœur que j’ai eu ».

Inès (Grillz_i)

Concernant l’un des aspects le plus intéressants de cette profession, elle rejoint les propos d’Aurore, l’experte en bijoux dentaires : c’est la construction du projet avec le ou la client·e qui lui plaît le plus, sans oublier la sculpture et le travail du métal. Comme elle le détaille : « J’aime beaucoup quand le client crée son grillz. Quand il fait un dessin ou qu’on l’imagine ensemble. Pour moi c’est tout de suite plus fantaisiste […] Récemment on m’a commandé le corps d’une femme, j’ai eu beaucoup de projets coups de cœur mais là c’est le dernier gros coup de cœur que j’ai eu ».

Le monde du grillz constitue une niche assez restreinte, avec sa clientèle-type, sa communauté. Le plus souvent, ce sont les 18-35 ans qui en sont les plus adeptes, et la clientèle d’Inès est majoritairement masculine. Par contre, elle voit défiler tous les styles vestimentaires : « Je kiffe avoir des clients qui sortent un peu du stéréotype entièrement tatoué ou complètement ghetto, je trouve ça trop cool ». Ce bijou atypique permet d’ajouter quelque chose en plus et d’affirmer sa personnalité, car les gens grillzés sont quand même assez rares. D’autant plus que chaque dent est différente, avec chaque grillz unique : c’est du sur-mesure. Pour certaines personnes, c’est occasionnel, tandis que d’autres le portent au quotidien et se sentent « nus » lorsqu’ils ne le mettent pas. La prothésiste dentaire a également des clients qui ont fait plusieurs compositions de grillz et ont donc plusieurs combinaisons possibles, ce qui leur permet de les adapter en fonction de leur humeur et de leur style de la journée.

L’une des valeurs les plus chères à Inès reste le respect de sa clientèle, et la dimension humaine de son activité. Elle s’efforce ainsi du mieux qu’elle peut à faire plaisir, avant de penser business. « Si quelqu’un hésite, je préfère lui dire de garder son temps de réflexion, pour savoir s’il ou elle veut un grillz ou non. Car c’est quand même un coût ». Comme pour les activités de Maë, Salomé et Aurore, les qualités indispensables à l’exercice de la profession sont encore une fois la minutie et la patience, ainsi que le sens du détail, puisqu’elles travaillent toutes sur de petites surfaces. Inès explique : « Je travaille au un dixième de millimètre. A la moindre erreur, le grillz ne rentre pas en bouche. C’est extrêmement rare, mais cela peut arriver, et c’est normal. Je le refais alors gratuitement et souvent les gens comprennent ». Les retours de sa clientèle sont ultra positifs. C’est l’aspect du métier qui lui fait le plus plaisir, car certain·es reviennent, sont vraiment fidèles et envisagent de nombreux projets grillz : « Ça va faire un peu nunuche, mais je le dis comme je le sens : je trouve que ça donne gavé d’amour quand ton ou ta client·e est hyper content·e, qu’il ou elle complimente ton travail. C’est vraiment ça qui me pousse à continuer malgré le temps que ça me prend. ».

Le grillzmaking est une activité qui reste très autodidacte. Il n’existe aucun centre pour se former, les techniques utilisées sont celles acquises en bijouterie, en prothésie dentaire ou transmises par les plus expérimenté·es. Dans le milieu, il y a selon Inès des professionnels « perso », et d’autres qui sont beaucoup dans une démarche d’entraide, d’échange et de soutien. « J’ai rencontré des grillzmakers vraiment incroyables comme La Couronne Paris par exemple qui est devenu mon pote ou Oh.my.grillz qui vient de Martinique, qui est super sympa et dont le travail est ouffissime, de grosse grosse qualité ».

A son échelle, Inès essaye de créer l’interaction entre professionnel·les bordelais·es. Elle est par exemple très fière de voir les progrès et l’évolution d’Iznogrillz à qui elle a « mis le pied à l’étrier ». Lorsqu’elle manque de temps pour honorer ses commandes, il lui arrive d’orienter ses clients et clientes vers des confrères ou des consœurs. Aussi, du côté de la communauté des adeptes du grillz, celles et ceux qui affectionnent cette culture donnent généralement beaucoup de force aux artistes. En revanche, c’est un milieu encore assez masculin, et il n’est pas rare qu’Inès reçoive des « Salut frère » ou « Wesh gros ». Elle réfléchit à davantage promouvoir le fait qu’elle soit une femme dans cette profession, afin de donner l’impulsion et peut être donner envie à d’autres femmes de se lancer dans le grillz et dans l’entreprenariat en général.

Passionnée par le grillzmaking, Inès songe aujourd’hui à arrêter la prothèse pour se consacrer uniquement à la conception de ces bijoux. Cela lui permettrait d’avoir du temps pour faire davantage de modèles personnels, de collaborer avec d’autres artistes, faire des « guests » (être invitée dans des salons) et pourquoi pas se former à la bijouterie, pour acquérir d’autres compétences. Elle voudrait également trouver d’autres collaborateur·ices que le bijoutier avec qui elle travaille, des artisans issu·es d’autres corps de métier, pour proposer une plus grande diversité de matériaux par exemple. Une volonté de développement pour combler son envie d’expérimenter davantage au sein de cette scène et cette culture qui l’anime, dont elle se nourrit et qui la fait avancer, malgré quelques doutes quant à l’importance de son travail, vite dissipés par ce qu’elle vit. « Une fois, un client était très complexé par ses dents, il m’a dit qu’il n’osait pas sourire et que, depuis qu’il porte des grillz, il n’a plus honte. Cela m’a touché. Des fois je trouve ce que je fais futile, je me dis que c’est juste de la mode. Mais quand on me dit quelque chose comme ça je trouve ça vraiment émouvant et encourageant ».

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